Vers dix-huit heures, Marie retrouva son amie Maïlis chez elle, mais elle n’avait pas la tête à choisir une tenue pour la soirée déguisée. Elle était encore perturbée par l’appel de Jean-Marc Duchemin. Samantha avait raison, elle avait été distante voire limite froide et antipathique. Décidément elle avait bien changé, elle si sociable en temps normal, ne se reconnaissait plus. Dès son arrivée, Maïlis remarqua que son amie était soucieuse et après lui avoir proposé un thé, elle tenta d’en savoir plus. Elle osa lui demander si son air contrarié était en rapport avec Christophe. Marie évita le sujet et s’attela à revenir à la raison de son passage : trouver un costume. Sentant que le moment n’était pas propice à des confidences, Maïlis n’insista pas, elles se dirigèrent vers le grenier. Maïlis ouvrit une première énorme malle qui contenait tout un tas de bric-à-brac, leurs vieux livres, les albums de photos de l’époque où elles n’étaient que des gamines, des jouets anciens, quelques vêtements de bébés, elle comprit que ce qui pouvait les intéresser se trouvait ailleurs. Elle s’accroupit pour accéder plus profondément dans le grenier d’où elle extirpa une seconde malle en paille tressée. En l’ouvrant toutes ces odeurs lui revint en mémoire, la malle sentait la naphtaline et le camphre, c’était effectivement celle qu’elle cherchait et au fur et à mesure qu’apparaissait, les chapeaux de tante Jeanne, ses jupons, gaines, gants et autres vêtements et accessoires lui ayant appartenu. Marie se rappelait tous ses longs après-midi où elles venaient jouer aux grandes dames avec son amie. Petit à petit, Marie se détendit et s’amusait même à essayer des tenues. Elles avaient trouvé deux robes qui devaient appartenir aux grande-tantes de Maïlis. A cette période, elles devaient avoir vingt-deux ans, c’était juste avant l’accident de Juliette, la sœur jumelle de Jeanne. Après cet événement tragique, Jeanne ne fut plus la même. Elle se cloîtra dans un univers où elle retrouvait Juliette. Elles vivaient à leur rythme hors du monde réel. Lorsque Jeanne s’installait à table avec toute la famille, elle insistait pour avoir à ses côtés une place pour sa sœur, place qui restait vide aux yeux de tous mais cela ne semblait pas gêner Jeanne qui continuait à parler à Juliette. Pour la grand-mère de Maïlis, leur sœur cadette, ce fut des moments difficiles à vivre surtout les premières années puis les médecins, les psychiatres et autres sommités ne trouvant aucun remède pour sortir Jeanne de cet enferment, deux choix s’offrirent à leurs parents déjà assez âgés : interner Jeanne ou la garder avec eux et accepter qu’elle vive ainsi. Jeanne n’ayant jamais montré une quelconque violence envers qui que ce soit, ses parents avaient pris le parti de la garder avec eux d’autant qu’à l’époque tout ce petit monde vivait dans leur propriété actuelle de Normandie où ils passaient leurs vacances. Ce n’est que quelques années plus tard, quand la grand-mère de Maïlis s’étant mariée, que toute la petite famille s’installa dans la région de Montpellier, à Carnon exactement, dans la maison où vivait encore Maïlis aujourd’hui. Et les uniques choses qui furent déménagés de Normandie, furent toutes les malles ayant appartenu aux jumelles. Jeanne ne pouvait pas vivre sans tous ces souvenirs qui n’en étaient pas vraiment puisque tous ses objets étaient infiniment plus que de simples souvenirs, ils représentaient à eux tous une petite partie de sa sœur. Certes, ils étaient son passé pour tous ses proches mais ils étaient également son présent pour elle. Et puis un jour, alors que Jeanne avait tout juste trente ans, elle ne s’était pas réveillée. Comme le temps avait passé ; trois ans avant, Maïlis et Marie naissaient. Elles n’avaient presque pas connu Jeanne, elles étaient beaucoup trop jeunes. Et pourtant lorsqu’elles montaient dans le grenier les sœurs jumelles, Juliette et Jeanne étaient présentes toutes les deux. On pouvait trouver tout ce qui leur avait appartenu du jour de leur naissance à l’âge de vingt-deux ans, puis plus rien, comme si les sœurs jumelles avaient disparu ensemble à cet âge. Jeanne durant les huit années où elle avait survécu à sa sœur n’avait été qu’une ombre d’elle-même ou de sa sœur, vivant dans un monde parallèle. A son décès, elle avait réellement rejoint sa sœur, cependant pour les rares personnes qui l’avaient parfaitement connue, elles savaient qu’en réalité, elle ne l’avait jamais vraiment quittée depuis son accident, en vivant en marge de la réalité. On ne parlait jamais de Jeanne sans évoquer Juliette comme si l’une et l’autre avaient disparues en même temps à l’aube de l’été 1930.
Marie et Maïlis venaient de trouver leur costume, deux robes charleston d’un beau ton saumon avec une dizaine de rangs de franges. Il y avait aussi tous les accessoires et breloques des années trente, serre-tête, sautoirs, porte-cigarettes, gants,… il leur faudra juste trouver des chaussures assorties. Ce retour en arrière, avait ravi les filles. Cette bouffée de nostalgie les avait enchantées et elles trouvaient dommage que leurs propres enfants n’aient pas le goût ou le temps pour se souvenir de leur enfance. En ouvrant un vieil album de photos, Marie songeait que le numérique avait du bon mais également du moins bon. Aujourd’hui, on visionnait les photos ou films mais on ne feuilletait que rarement un album retraçant les diverses étapes d’une vie. A cette pensée, Marie regarda Maïlis et s’écria qu’elle avait trouvé le prochain cadeau qu’elle allait offrir à ses enfants. Elle scannerait toutes leurs photos de la naissance à ce jour et ferait à chacun d’entre eux son propre album. Maïlis trouva l’idée si géniale, qu’elles décidèrent de se retrouver pour les réaliser ensemble. Mais pour l’heure, elles devraient se mettre en quête de trouver des chaussures.
Elles se quittèrent heureuses d’avoir passé ces quelques heures ensemble et se donnèrent rendez-vous le samedi suivant vers dix-huit trente ici même pour aller tous les trois, avec Sébastien le mari de Maïlis, chez Christophe.
Le lendemain matin, Samantha annonça à Marie qu’elle avait pris un rendez-vous avec la propriétaire du T2 qu’elle voulait proposer à Jean-Marc Duchemin. Elle pourrait la rencontrer en fin de matinée si l’horaire lui convenait, pour signer un mandat de location. La propriétaire acceptait même lui laisser un jeu de clés afin qu’elle le fasse visiter quand elle le souhaiterait.
Marie se dit qu’elle avait de la chance d’avoir embauché Samantha, même si à l’époque, tout le monde lui avait fait douter de ce choix. Il est vrai que Samantha n’avait pas un look traditionnel, limite gotique mais plutôt jolie et par-dessus tout très intelligente. Aujourd’hui, Samantha s’était un peu assagie et avait également revisité son apparence même si elle était encore très originale, elle passait admirablement bien auprès des clients qu’ils soient vendeurs ou acheteurs. Elle avait une voix agréable, douce mais sûre d’elle qui avait tendance à vous donner envie de prendre une décision. Son avis était sûr et elle savait comment parler aux gens, mettre le point sur ce qui leur paraissait important et à l’inverse minimiser ce qui ne l’était pas. Dans presque tous les cas, les clients revenaient vers elle, pour la remercier de les avoir convaincus. Et même si Marie était la patronne et gérait les grosses affaires, Samantha était tout à fait capable de gérer les affaires courantes mieux que quiconque, voire même, mieux que Marie elle-même. Alors son avis avait aux yeux de Marie une certaine importance. Voilà pourquoi, Marie reparla de la dernière conversation qu’elle avait eu avec Samantha à propos de Jean-Marc Duchemin.
– Tu es une super collaboratrice Samantha, sans toi, il m’arriverait de faire des erreurs de tactique comme l’autre jour avec Monsieur Duchemin.
– Merci, c’est gentil de le reconnaître même si parfois vous ne suivez pas mon avis. Mais l’autre jour, il est vrai que vous avez été un peu froide. Tout le monde a ses bons ou mauvais jours, celui-là n’était pas un bon jour pour vous, sans doute. Je crois que vous devriez le rappeler et lui proposer un rendez-vous pour l’appartement que vous allez visiter tout à l’heure, s’il est bien. C’est à vous de faire la visite, pas à moi. Je peux malgré tout rappeler Jean-Marc Duchemin pour prendre le rendez-vous mais c’est vous qu’il souhaite comme guide … et puis comme vous me le disiez, c’est peut-être un gros poisson pour l’agence. J’ai d’ailleurs commencé à rechercher des grands terrains au cas où il déciderait de vous confier cette tâche !!!
– Tu as gagné, c’est d’accord. Je vais visiter le T2 et en revenant, je te charge de mettre au point un rendez-vous avec ton client préféré du moment. Tu auras même le droit d’être charmante avec lui si j’ai du retard !!!!!
Le temps de passer quelques coups de fils et de mettre à jour ses dossiers, il est l’heure pour Marie de filer visiter cet appartement.
A son arrivée sur les lieux, elle va de surprise en surprise. La ruelle dans laquelle il se trouve est une voie sans issue, donc très calme. L’appartement est au second étage d’un petit hôtel particulier où vit la propriétaire, une dame d’au moins quatre-vingt-dix ans, très chic voire même assez belle. Elle devait être magnifique lorsqu’elle était jeune. Elle fit entrer Marie dans un très joli hall, le sol était recouvert d’un parquet en chêne entretenu avec soin, aux murs de très beaux tableaux prenaient place au-dessus de meubles d’une grande valeur. Il y avait là une commode Boule vraisemblablement, un bureau tout en marqueterie et quelques sièges Louis XVI dans un parfait état. Marie ne put s’empêcher d’exprimer son enthousiasme en parcourant la pièce. La vieille dame eut un petit sourire et expliqua que son mari adorait les belles choses. Ils avaient tout au long de leur vie aimé fouiner les vide-greniers, les puces, les antiquaires… Grâce à tous ces objets, elle avait l’impression de ne pas se sentir tout à fait seule dans cette maison sans doute trop grande pour elle. C’était une des raisons qui l’avait poussée à passer cette annonce, qu’elle avait d’ailleurs voulu retirer presque aussitôt car ses enfants craignaient qu’elle ne tombe sur des jeunes gens peu scrupuleux qui pourraient risquer d’abîmer ces souvenirs.
– Mais vous avez une secrétaire qui est particulièrement convaincante et charmante de surcroît. Elle m’a indiqué que vous recherchiez pour un cadre supérieur très bien sous tous rapports, un pied-à-terre pour quelques mois. J’ai pensé que je pourrais peut-être faire un essai. La solitude est parfois dure à vivre et j’aimerais tellement sentir marcher au-dessus de chez moi comme lorsque mon mari était encore avec moi, avait précisé la vieille dame avec un petit sourire amicale qu’elle avait adressé à Marie.
Marie voyait que cette dame charmante avait autant besoin de parler en ce moment qu’elle-même. Marie la suivit dans sa visite et l’écouta parler de sa maison, de ses souvenirs, de sa vie. Elle apprit que son mari était décédé l’année précédente. Marie lui dit qu’elle la comprenait car elle avait également perdu son époux, il y avait trois ans maintenant. Marie lui fit remarquer que dans son malheur elle avait eu le bonheur de vieillir en compagnie de son mari.
– Mon mari est parti vraiment trop tôt, j’aurais tellement aimé avoir la chance de profiter de notre retraite pour faire ce que nous n’avions pas eu l’occasion ou le temps de faire. Nous remettions toujours à demain certaines choses en pensant que nous avions largement le temps pour faire tout ce que nous avions prévu. Mais voilà, la vie en a décidé autrement et il nous faut avancer malgré tout, avait confiée Marie à son interlocutrice avec la gorge serrée.
– Vous avez raison, on croit toujours avoir du temps. Même nous, avions encore plein de projets en tête. Nous voulions visiter la Scandinavie où nous n’avions jamais eu l’occasion d’aller, lui avait répondu sur le même ton la vieille dame visiblement toujours très éprouvée par la perte de son époux.
Marie était très émue par cette vieille dame et elle lui demanda si elle voulait vraiment louer son appartement car elle ne devait pas se sentir obliger de le faire si toutefois elle ne le souhaitait plus. Marie lui expliqua qu’elle trouverait un autre appartement pour son client. Cette fois, ce fut au tour de la propriétaire d’être émue par Marie.
– Si vous pensez que votre client est une personne sérieuse qui prendra soin du mobilier et qui saura être à la fois discret et bienveillant, je suis prête à vous faire confiance. Venez visiter l’appartement avant de vous décider car peut-être serez-vous déçue par la décoration, l’agencement ou l’orientation …, avait précisé la vieille dame en se levant.
– Je vous suis, lança Marie voyant visiblement qu’elle se faisait une joie de lui faire visiter une partie de sa maison.
La vieille dame passa devant Marie, elle montait les marches avec beaucoup d’aisance presque une certaine légèreté. Après un premier palier relativement spacieux et toujours admirablement meublé, elle ouvrit une porte magnifiquement travaillée qui débouchait sur un second escalier menant à l’appartement T2.
Sans te commander, tu pourrais faire des paragraphes moins denses ? Ça m’oppresse. C’est probablement que moi. Désolé. Sinon c’est bien écrit. Cool. Continue.
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Les vieux greniers sont garants d’une sorte d’archivage dans nos mémoires… et la suite de ce récit en fournit les images.
Pour tout vous avouer, ce roman s’est écrit presque tout seul. Jusqu’à cette date et depuis environ l’âge de douze ans j’écrivais essentiellement des poèmes, histoires courtes et livres pour enfants mais rarement au-delà d’une dizaine de pages. J’ai imaginé cette histoire au fur et à mesure de l’avancement. Et j’ai bien entendu fait toutes les erreurs d’une novice. Je l’ai relu mille fois et me suis appliquée à reprendre certaines tournures. Relire ses propres textes est hyper difficile. Je n’ai pas fait de chapitre et sur le site wikipen.fr je l’ai découpé de façon à faciliter sa lecture sans penser que les paragraphes pouvaient être trop longs voire oppressants. Toutes mes excuses. J’espère que dans les romans suivants que je vais vous présenter vous y trouverez une évolution tant au niveau de l’écriture que de la conception même du roman. Depuis j’ai beaucoup appris.
Merci infiniment pour toutes vos remarques qui me touchent et me permettent d’évoluer.
Oui ben justement, j’envisage de proposer la lecture d’une saga dont le déroulement se situe "entre deux mondes" …. Elle est destinée à faire rêver les "enfants de 7 à 107 ans" et il me semble bien que je vais devoir couper aussi mes chapitres!