L’espace d’un instant où tout bascule – 2ème partie 6

8 mins

Au fur et à mesure de la visite, la propriétaire indiquait à Marie où, avec son époux, ils avaient trouvé tel ou tel objet. Puis elles entrèrent enfin dans un appartement très ensoleillé, éclairé par une grande porte-fenêtre ouvrant sur un petit balcon extrêmement bien entretenu. Il était envahi en partie par un jasmin d’été encore en fleur, de petites fleurs blanches très parfumées, qui se jetait sur un ravissant jardin au fond de l’impasse. L’appartement était parfaitement orienté, le séjour était exposé plein sud et le soleil se reflétait sur une immense glace suspendue sur le mur opposé diffusant sur la pièce une lumière étonnante en direction d’immenses poutres apparentes sous un toit mansardé recouvert de grandes planches de bois. Le tout légèrement blanchi à la chaux, illuminait l’ensemble pour lui donner plus de volume. Il était très admirablement meublé à l’image de l’ensemble à proximité e cette maison. Il y avait une grande cuisine toute équipée presque moderne, une salle d’eau tout à fait convenable et enfin une belle chambre, elle aussi très lumineuse grâce à une fenêtre en chien-assis donnant à l’est sur le jardinet de la vieille dame, lui avait-elle expliqué. Marie était à nouveau sous le charme de ce joli T2.

– Alors, pensez-vous que votre client pourrait être intéressé par cet appartement ?

– Qui ne serait pas intéressé par un tel lieu, avait répondu très spontanément Marie, puis elle avait ajouté, Je dois vous avouer que si j’avais envisagé de changer d’appartement, je vous aurais proposé de me le louer. C’est un véritable petit bijou qui devrait enchanter mon client.

– J’en suis ravie, descendons fêter notre rencontre devant un café ou un petit apéritif si ce n’est pas trop tôt et si, vous avez un peu de temps.

– J’ai du temps et je ne suis pas contre un petit vin cuit si vous en avez. Ainsi nous pourrons, si vous le souhaitez, signer les quelques documents que je dois impérativement vous soumettre pour avoir le droit de le présenter à mon client. D’ailleurs nous n’avons pas évoqué le montant du loyer que vous souhaiteriez.

De retour dans le hall d’entrée, la vieille dame lui indiqua qu’elle n’avait pas vraiment réfléchi, elle supposait que Marie connaissait le marché, elle n’avait qu’à lui faire une proposition qu’elle soumettrait à son fils à son prochain passage. Puis oubliant totalement cet aspect financier, elle ouvrit une porte vitrée magnifiquement décorée avec des vitraux art-déco datant vraisemblablement de l’époque de la maison. La propriétaire lui confirma que l’artisan créateur verrier avait présenté ce panneau à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs de Paris en 1925, il avait été acheté par ses parents qui avaient fait venir l’artisan pour réaliser cette porte.

La propriétaire préparait un petit plateau avec quelques tomates-cerises de son jardin, avait-elle précisé, et un pot d’olives noires également faites maison pendant que Marie s’installait et préparait ses documents. En revenant dans le salon avec son plateau, la vieille dame proposa à Marie de passer dans le jardin. Là encore Marie resta sans voix, ce jardinet était enchanteur, bien que tout petit, il y avait sur la gauche, aux abords d’un mur assez haut en vieilles pierres, une petite table ronde sous une pergola en fer forgé. Elle était recouverte d’une glycine encore verte mais dépourvue de fleurs, toutefois Marie imaginait sans mal la beauté de cet endroit en été lorsque des centaines de grappes pendaient et embaumaient l’espace. Les deux femmes prirent place sur des fauteuils recouverts d’un damassé vert pâle et beige. Tout était propre, placé avec un goût certain et la dizaine de pots répartis sur l’ensemble de cet espace étaient entretenus avec beaucoup de soin. Les fleurs fanées avaient dû être ramassées le matin-même ainsi que les feuilles sèches tombées des arbres. Le sol était recouvert sur une partie de tomettes anciennement, quatre petites allées partaient de l’endroit où se trouvait la table et regagnaient les quatre coins du jardinet. Entre ces chemins étaient plantées des dizaines de variétés de fleurs, certaines grimpantes le long d’un mur, d’autres rampantes recouvrant le sol et par-ci par-là des fleurs sortaient de terre. De petits arbustes de lavande remplissaient les espaces libres, et au fond trônait un olivier, d’où venaient certainement les olives que la vieille dame avait déposées sur son plateau. Marie s’installa à ses côtés et elles entamèrent une conversation qui dura fort longtemps. Elles parlèrent de la Scandinavie, Marie lui avoua qu’elle envisageait de faire ce voyage avec son frère désormais. Elle avait préparé cette expédition depuis un certain temps déjà mais elle avait reporté sans cesse son départ. Aujourd’hui, elle savait que ce voyage allait se faire et elle proposa même à la vieille dame de lui transmettre toutes les informations qu’elle avait recueillies. La vieille dame fut touchée par la sollicitude de Marie mais elle lui précisa que ses enfants étaient contre ce voyage. Ils craignaient qu’il soit trop fatiguant et sans doute avaient-ils raison. C’est ainsi que Marie apprit que la vieille dame avait un fils très attentionné qui vivait dans la région et une fille qui avait suivi son époux aux Etats-Unis. Vers midi trente, Marie prit congés en remerciant vivement la vieille dame, lui indiquant qu’elle reviendrait en fin de journée visiter l’appartement avec son client. Elle lui précisait que sa secrétaire la contacterait pour lui donner plus de détails.

– Vous avez les clés, c’est inutile de me contacter avant vos visites, je suis souvent dans le jardin et je n’entends pas toujours le téléphone, alors faites comme chez vous.

Marie insista pour lui présentait son client afin qu’elle valide ou pas son choix. Si cette personne ne lui convenait pas, elle lui confirma qu’elle se mettrait en quête de lui en trouver une autre. Elle avait fait cette proposition à la propriétaire afin de la mettre très à l’aise, Marie ne voulait pas qu’elle se sente prise au piège, néanmoins si l’appartement plaisait à son client, ce dont elle ne doutait pas, elle avait peu de doute sur un coup de cœur respectif, son client pour l’appartement et la propriétaire pour son locataire.

Les deux femmes se saluèrent puis se quittèrent. A son retour à l’agence, Marie n’avait pas de mots pour décrire le bijou qu’elle venait de visiter et surtout la magnifique rencontre qu’elle avait faite. Elle demanda à Samantha de prendre rendez-vous avec monsieur Duchemin ce jour en fin de journée ou le lendemain matin. C’était l’heure de fermer l’agence, Marie se rendit dans le restaurant de Maïlis pour déjeuner. Quelle fut sa surprise lorsqu’en arrivant, elle aperçut monsieur Duchemin. Maïlis qui se dirigeait vers lui pour prendre sa commande accueillit son amie et sans complexe aucun, lui demanda si elle était seule comme d’habitude tout en regardant la réaction de son client. Marie, gênée, resta sans voix et regarda son amie avec des yeux qui en disaient long sur sa stupéfaction… Voyant le manège de la patronne du restaurant, Jean-Marc Duchemin en profita pour plaisanter.

En s’adressant à Maïlis il dit : 

– Vous me sauvez Madame, je déteste déjeuner seul et si votre amie avait la gentillesse de m’accompagner, j’en serai vraiment ravi … ».

A cet instant, tous les trois éclatèrent d’un rire fort et communicatif qui fit oublier à Marie ses gros yeux. Jean-Marc Duchemin se leva et fit comme s’il se présentait pour la première fois à ces dames. Il prit la main de Maïlis et lui fit un baise-main plein de sollicitude puis se retournant vers Marie, il fit de même en se présentant.

– Madame, je suis Jean-Marc Duchemin mais je vous en prie, appelez-moi Jean-Marc. Je suis enchanté de faire votre connaissance, et je vous remercie de bien vouloir accepter de m’accompagner durant ce repas qui sera grâce à vous, en plus d’être bon, car j’ai appris de source sûre qu’on mangeait fort bien dans ce restaurant, un moment tout à fait délicieux en votre compagnie, à n’en pas douter, avait-il ajouté l’air canaille et quelque peu amusé par sa plaisanterie qui visiblement avait fini par conquérir son auditoire.

Leurs rires reprirent et Marie prit place à table, aux côtés de monsieur Duchemin, oh, pardon de Jean-Marc. Et les voilà qui bavardaient et reprenaient leurs conversations là où elles en étaient restées lors de leurs derniers échanges. Marie en profita pour prévenir Jean-Marc qu’elle lui avait trouvé un ravissant appartement de 50 m2 qu’il allait adorer. Elle en fit une description qui ne laissa nul doute à son futur locataire, puis au fil de la conversation, Marie se détendit. Ils parlèrent de mille choses et notamment de leurs enfants. Et comme lors de leur premier déjeuner celui-ci dura longtemps. Marie, prétextant deux ou trois choses urgentes à faire, lui proposa de passer en fin d’après-midi à l’agence pour signer différents documents avant de faire la visite. Ils se donnèrent rendez-vous à dix-huit heures. Vers quinze heures, ils se quittèrent sans que Marie puisse réagir quand elle voulut régler sa note. Marie tenait toujours à ce que Maïlis la laisse payer, elle trouvait cela normal même si c’était son amie. Parfois Maïlis avait gain de cause mais rarement. Et cette fois, Marie fut devancée par son client qui désormais avait demandé à la patronne de lui ouvrir un compte qu’il prendrait le soin de régler chaque semaine lorsqu’elle lui transmettrait sa facture. Maïlis eut envers son amie un regard évocateur de plein de bonnes chose mais Marie ne voulut pas à cet instant précis s’étendre sur ce sujet. Elles s’embrassèrent et se quittèrent.

De retour à l’agence, Samantha lui précisa qu’elle avait eu Jean-Marc Duchemin pour la visite, elle lui avait donné rendez-vous ce soir vers dix-huit heures. Marie ne fit aucun commentaire, Jean-Marc n’avait pas précisé à Samantha qu’ils s’étaient croisés à l’heure du déjeuner et c’était aussi bien. Elle s’attela aux affaires courantes puis à dix-sept heures quarante-cinq Jean-Marc Duchemin arriva. Marie laissa Samantha remplir avec lui tous les documents. Pendant ce temps, Samantha, toujours très subtile et fine, tenta d’en savoir un peu plus sur les activités de son client. Elle restait très discrète mais Marie savait où elle voulait en venir et la situation l’amusait beaucoup, tant et si bien qu’elle la laissa prendre les choses en main. Marie avait d’ailleurs pris beaucoup de retard sur sa journée déjà relativement chargée en rebondissements et elle en profita pour avancer son travail tout en tendant l’oreille.

Samantha et « Jean-Marc » discutaient très amicalement. Sa collaboratrice lui proposa un café qu’il accepta et la conversation se poursuivait ainsi quelques instants. Marie appris que son groupe cherchait deux grands terrains, l’un sur la région de Montpellier, l’autre sur celle de Béziers. Terrains suffisamment spacieux pour y installer une centaine de maisons de type T2 au T4 pour accueillir des jeunes retraités aisés désireux de bénéficier de toutes les prestations qui seraient proposées sur ce même site : salle de musculation et salle de gymnastique, cours de tennis, piscine couverte et découverte, terrain de foot, parcours de jogging, practice de golf, … Sur ce terrain, il serait intéressant qu’il y ait une petite forêt voire même un étang. Tous les résidents bien qu’en bonne santé pourraient aussi bénéficier d’une infirmerie et d’une salle de kinésithérapie. Samantha eut même le réflexe de dire que de telles installations pourraient lui convenir et qu’elle regretterait certainement de ne pas être une jeune retraitée lors de l’ouverture de cet endroit. L’atmosphère était détendue lorsque Marie pénétra dans le bureau et après avoir salué son client elle s’adressa à sa collaboratrice :

– Tout est ok Samantha ? Nous pouvons y aller ? Je suis désolée si ma collaboratrice vous a submergé de questions, c’est un vrai moulin à paroles, dit Marie qui se retournait vers Samantha en lui faisant un clin d’œil discret afin que son client ne s’en rende pas compte. Tout le monde se leva.

– Voulez-vous, Jean-Marc, que je me mette en quête du terrain idéal pour vous ???? Et …

Samantha n’eut pas le temps de terminer sa phrase que Marie l’interrompit.

– Samantha, s’il te plait, n’importune pas monsieur Duchemin, s’il a un besoin de ce genre de service, il nous le fera savoir.

Marie était à la fois confuse et ravie de l’intervention de Samantha vis-à-vis de son client, elle était la patronne et elle se devait de remettre sa collaboratrice en place même si elle savait qu’avec son air détendu, Samantha lui avait fait gagner temps précieux.

– Non, non, laissez, Samantha me semble être une personne tout à fait capable de trouver ce qui pourrait m’intéresser. Alors oui, faites des recherches et nous irons les visiter avec votre patronne si elle en est d’accord, avait-il ajouté à la fois très sérieusement à l’attention de Marie mais en faisant un clin d’œil à Samantha pour valider sa démarche et son culot.

Marie aurait voulu sauter au cou de sa si brillante collaboratrice mais elle s’abstint. En partant, pour effacer les reproches qu’elle avait faits à Samantha, elle lui fit un signe de la main, le pouce en l’air en signe de victoire et ajouta :

– Ferme l’agence Samantha, s’il te plait, je ne suis pas certaine de repasser. A demain.

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