L’espace d’un instant où tout bascule – 2ème partie 8

7 mins
La soirée de Marie se déroula comme elle l’avait prévue et le lendemain matin, elle regagna l’agence à pied. Il était sept heures du matin lorsqu’elle claqua la porte de son appartement. Elle avait passé une mauvaise nuit et prendre l’air lui fit énormément de bien. Malgré l’heure matinale, le temps était agréable, ce serait une belle journée.
Elle marcha d’un pas rapide, heureusement elle avait prévu de mettre de bonnes chaussures de marche et non pas l’une des nombreuses paires d’escarpins qu’elle aimait tant. Elle mit une bonne heure pour rejoindre son agence, et arriva malgré tout très en avance. Elle écouta les messages sur le répondeur puis se mit au travail.
Elle ne fut pas très opérationnelle pour quelqu’un d’organisé, elle semblait faire du surplace, trop de choses la préoccupait, or elle était incapable de déterminer pourquoi.
A l’arrivée de Samantha, vers neuf heures, elle avait eu l’impression de tourner en rond. Samantha vint aux nouvelles, elle voulait savoir comment la visite s’était passée. Elle n’avait eu, en guide de réponses, que trois mots : « Il le prend », sans autre explication. Samantha n’eut pas le courage de demander si Jean-Marc Duchemin avait signé les documents quand elle les aperçut là où elle les avait mis la veille. Ils n’avaient pas été signés. Sans chercher plus avant, elle proposa à Marie un café, qu’elle refusa et alla se mettre au travail.
La matinée fut calme et surtout silencieuse. Marie ne décrocha pas une parole, quant à Samantha elle poursuivit son travail en silence également. Vers quinze heures, elle se préparait à partir quand elle se dirigea vers Marie :
– Je m’en vais … avait-elle annoncé a mi-voix.
Marie plongée dans ses papiers leva tout juste la tête, tandis que Samantha poursuivit :
– Vous vous rappelez, vous m’avez donné mon après-midi, je dois passer des radios puis ensuite j’ai un rendez-vous chez mon médecin. Je ne repasserai pas à l’agence.
Et comme Marie ne répondait rien … Samantha haussa un peu la voix :
– Tout va bien Marie, vous souhaitez que je reste et que j’annule mes rendez-vous ?
– Non, tout va bien Samantha, vas-y, je fermerai, à demain, avait lancé Marie sans vraiment lever le nez de ses papiers.
Marie ne s’expliquait pas pourquoi elle était ainsi. Sans doute sa surcharge de travail, ou le manque de sommeil la rendaient morose. Elle manquait peut-être de magnésium, et se promit de passer en chercher à la pharmacie afin de faire une petite cure qui la remettrait en forme avant d’organiser son voyage en Scandinavie, ce qui lui ferait le plus grand bien.
Absolument pas concentrée sur ce qu’elle était censée faire, elle se mit à songer à Max, puis à Alexandre, à Christophe et enfin à Jean-Marc Duchemin. Sa vie depuis le décès de son mari était parfaitement organisée, elle aimait sa solitude, alors pourquoi tout le monde voulait-il la caser absolument. Elle n’avait nul besoin de personne. Elle avait ses enfants et son frère, c’était le plus important, et puis, elle avait aussi sa mère. Entre les uns et les autres elle n’aurait aucun mal à s’occuper.
Mille questions se bousculaient dans sa tête, elle essayait de comprendre pourquoi Max était entré dans sa vie avec son amie, dont elle ne parvenait pas à se souvenir du prénom. Au lieu de lui apporter leur aide comme ils le disaient tous les deux, ils n’avaient fait que lui attirer des ennuis, que lui compliquer la vie.
– qu’ils aillent au Diable, avait-elle dit tout haut, qu’ils aillent tous au Diable, avait-elle répété plusieurs fois en pestant contre elle-même et contre tous ceux qui avaient chamboulé sa vie ces dernières semaines.

Max de son poste d’observation

Max de son poste d’observation

Max et Sophie avaient été heurtés par les paroles de Marie qui étaient venues leur exploser au visage et avaient certainement résonné bien au-delà de leur propre univers. C’était ainsi que tous les deux s’étaient retrouvés dans le Grand Observatoire. Ils se regardèrent tout en observant Marie et comprirent que ni l’un ni l’autre n’avait fait preuve d’empathie vis-à-vis d’elle. Sophie savait qu’elle avait agi sur un coup de cœur ou plutôt un coup de tête. A l’époque, elle était encore très fragile parce qu’il lui était arrivée, elle refusait d’accepter sa situation. Des mois durant, Max et les autres avaient tenté de lui expliquer pourquoi elle avait été choisie, elle rejetait tout en bloc. Elle venait d’avoir vingt-sept ans, elle finissait ses études d’architecture et avait été embauché dans un grand cabinet à Toronto. C’était loin de chez elle, loin de ses parents mais sa jeunesse et sa réussite la poussaient à partir. Elle avait toute la vie devant elle, s’était-elle dit. Mais voilà, c’était sans compter avec le destin qui en avait décidé autrement. Elle s’apprêtait à rejoindre l’aéroport lorsque son taxi fit une embardée. Il avait été percuté par un autre véhicule lui-même frappait de plein fouet par un motard. Tous avaient été projetés hors de leur véhicule et n’avaient eu que quelques ecchymoses superficielles. Ils avaient tous eu beaucoup de chance, malheureusement elle n’en n’avait pas eu autant. Lors de sa chute, elle avait atterri la tête la première sur un muret de protection qui n’avait pas su la protéger mais qui au contraire lui avait ôté la vie.

Dès cet instant, elle s’était retrouvée là-Haut impuissante sans réaliser ce qu’il lui était arrivée, se demandant sans cesse pourquoi. Pourquoi elle, alors qu’elle avait devant elle une vie de rêve toute tracée. Pourquoi devait-elle assister impuissante à ses funérailles auxquelles toute sa famille, tous ses amis assistaient. Ses parents, ses frères et sœurs en pleurs lui fendaient le cœur. Elle aurait voulu les serrer dans ses bras et les embrasser une dernière fois et leur dire qu’elle les aimait et qu’elle ne les oublierait jamais. Mais tous ici lui avaient dit que c’était impossible. Elle refusait de les quitter ainsi sans un mot et dès ce jour-là, elle s’était murée dans un silence dont rien ni personne n’avait pu la sortir. Elle était restée prostrée toute seule dans son coin à ne rien faire des moins durant. Puis un jour, une voix l’avait attirée et la fit déambuler jusqu’à un lieu que tous appelaient le Grand Observatoire.

Là, elle avait erré longtemps sans vraiment saisir ce qui lui arrivait. Sophie avait surnommé cet espace : la salle des pas perdus. Certains y passaient, d’autres s’y arrêtaient quelques temps puis repartaient, on aurait dit un grand hall de gare où chacun se croisaient sans se soucier des autres. Au centre de cette pièce se trouvait un dôme immense, il lui semblait que c’était de là que lui était parvenue la voix qui avait retenu son attention. En se penchant et en se concentrant on pouvait voir ce qu’il se passait en bas, là où elle aurait dû être.
Ne maîtrisant pas les compétences qui lui auraient permis de mieux comprendre comment ce dôme fonctionnait, elle se retrouva transportée, par la voix qui résonnait toujours dans sa tête, dans l’appartement de Marie, sans savoir ni comment, ni pourquoi. Elle aurait certainement préféré se retrouver chez elle, face à ses parents ou ses frères et sœurs mais il en avait été autrement.

D’autres mots cette fois lui martelaient la tête, la voix était la même pourtant elle était différente, beaucoup de désespoir, de déception, de découragement, de désillusion, et de regret étaient exprimés dans les quelques mots terribles que Marie avait prononcés « Qu’ils aillent au Diable ». Ces mots lui avaient déchiré les entrailles, elle avait eu l’impression de se consumer, de disparaître petit à petit. Et elle comprit qu’elle était sans doute responsable de la colère de Marie. Elle avait tant espéré lui être de bon conseil, or rien ne s’était passé comme elle l’avait prévu et maintenant elle avait honte et peur des conséquences de ses actes.
Max s’adressa à Sophie voyant qu’elle se sentait coupable de ce qui s’était produit. Il lui expliqua qu’elle avait des torts mais elle n’était pas la seule. Elle avait le droit de se tromper car elle ne contrôlait pas encore suffisamment son rôle et les tâches qu’elle devait accomplir, mais lui avait eu une attitude irresponsable. Max, comprenant la souffrance qui rongeait Sophie, lui vint en aide :

– Toi comme moi, avons eu tort ce jour-là. J’ai essayé de rattraper ton erreur mais j’ai moi-même commis des erreurs. Et aujourd’hui on en paie le prix. Nous avons chamboulé la vie de Marie et elle ne sait plus quoi faire de peur de commettre des erreurs. Nous avons mis le doute dans son esprit.
– Comment peut-on y remédier ? Et puis, pourquoi existons-nous si nous n’avons pas la possibilité d’apporter de l’aide à ceux qui en ont besoin ? Était-elle intervenue d’un air attristé et visiblement désolée de ne pas avoir pris la mesure de la situation.
– Dès lors que tu es arrivée ici, tout le monde a tenté de t’expliquer quel était ton rôle mais tu n’as écouté personne, tu t’es obstinée et t’es cloîtrée dans tes souvenirs. Si tu as été choisie c’est que tu as un rôle à jouer mais faut-il écouter.

Sophie regarda Max d’un air solennel comme on regarde un maître qui vous a pris en défauts. Elle voudrait s’excuser, voudrait comprendre, voudrait tenter de réparer ce qu’elle a chamboulé, elle s’en veut tellement. D’un air suppliant, elle s’adressa à Max avec tant de déférence qu’il sait qu’elle n’a jamais été aussi sincère depuis son arrivée en Haut.

– Max expliquez-moi, je saurai écouter, je vous promets.


Ainsi Max précisa en quoi consistaient leurs actions. Ils n’étaient pas là pour visiter leurs proches ou donner des conseils à qui voulaient bien les entendre. Non, ils étaient choisis pour combattre les injustices. Max tenta de prendre un exemple. Mais ce n’était pas vraiment clair aux yeux de Sophie. Et elle lui demanda de choisir un autre exemple, le sien. Pourquoi avait-elle été choisie ? Devait-elle prendre soin de sa famille ? Pourquoi certains étaient choisis et pas d’autres et tous ceux qu’elle croisait ici avaient-ils tous le même rôle ? Depuis son arrivée en Haut, Sophie n’avait jamais posé autant de questions et aujourd’hui elle voulait des réponses à tout et tout de suite mais il fallait du temps et ce temps leur manquait pour aider Marie à retrouver le cours normal de sa vie.
Max tenta de lui donner quelques explications. Il revint sur l’accident dont elle avait été la victime. Le chauffeur à l’origine de son décès, était un motard qui avait trop bu, il était coutumier des faits et risquait de causer de nouveaux carambolages plus graves encore. Dans son cas, elle avait été la seule à perdre la vie mais cela n’avait tenu à presque rien pour que les conséquences aient été plus graves. Son rôle était d’aider cet homme à prendre conscience de ce qui aurait pu se produire pour que plus jamais il ne soit aussi irresponsable. Sophie ne comprenait pas pourquoi c’était à elle d’aider l’homme qui l’avait en quelque sorte tuée. C’est lui qui méritait d’être mort à sa place. Sans doute avait-elle raison mais ici d’autres en avaient décidé différemment et en Haut rien n’était discutable, il fallait obéir car tout était organisé pour que le monde tourne rond. Que tout se passe aussi bien que possible, ils devaient donner ce qu’ils avaient de meilleur en eux. D’autres se chargeraient du pire… mais il n’était pas encore temps d’aborder ce sujet avec Sophie ; chaque chose en son temps.

Sophie était une jeune femme intelligente, elle comprenait vite. Elle avait remarqué lors de sa visite chez Marie que tout le monde ne pouvait pas la voir, seule certaines personnes. Pourquoi ? Max lui expliqua que seules certaines personnes avaient ce don mais qu’il ne fallait jamais en abuser car cela se terminait souvent mal. Mais pour l’heure, ils devaient agir à propos de Marie et vite. Max ne pouvait pas retourner la voir, il avait promis et rien ne pourrait le faire changer d’avis, toutefois Sophie pouvait tenter quelque chose. Elle était novice et On ne lui en tiendrait pas rigueur pour cette fois puisque c’était pour dénouer une situation qu’elle avait elle-même créée.
Max lui expliqua comment agir pour rejoindre Marie et pour le reste il lui dit qu’elle devait se faire confiance avant tout sans jamais mentir ou éluder la vérité. C’était risqué mais cela valait la peine d’essayer. Certaines personnes comprenaient et Marie pouvait faire partie de celles-là.

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