Histoires de dragons
Certains prétendent que les dragons n’existent plus ou même qu’ils n’ont jamais existé. Ce sont des naïfs à qui l’on peut faire croire n’importe quoi. Les dragons existent et ont toujours existé parce qu’il y a des trésors et un trésor sans gardien, ça n’existe pas. Et les gardiens des trésors sont les dragons. Mais, il faut le reconnaître, ce sont des as du camouflage. Ils peuvent être là, juste sous notre nez, sans que nous soupçonnions le moins du monde leur présence. Nous pouvons même les toucher sans savoir que nous les touchons. Ils peuvent nous brûler de leur feu intérieur sans que nous sachions que nous brûlons. Attention, la dragonne n’a rien à voir avec les dragons qui ne sont ni mâle ni femelle ou selon qui sont à la fois mâle et femelle : c’est pourquoi on dit le dragon et la dragon. Petit, on parle plutôt de dragonneau que de dragonnette.
Les naïfs qui ne croient pas à l’existence des dragons sont les mêmes que ceux qui croient que les trésors sont des amoncellements d’or et de pierres précieuses. Et que le bonheur réside dans leur possession. Et dire que certains de ces naïfs s’appellent des libres penseurs. On peut vraiment leur faire croire n’importe quoi. Un trésor, quand on l’a conquis, on le garde pour toujours. Leurs ongles auront beau continué à pousser dans leur tombe, ces pseudo trésors d’or et de pierres précieuses seront définitivement hors de leur portée. Et fascinés par ces richesses, ils resteront longtemps dans le regret de leur perte, immobilisés dans leur cheminement intérieur. Ces trésors-là sont des trésors pour les enfants.
Non les vrais trésors, les trésors des grandes personnes, qui peuvent d’ailleurs être des enfants, sont d’un autre ordre : les vrais trésors sont les trésors de sagesse, d’amour, d’amitié, de compassion, de joie, de béatitude, de sérénité. Personne ne les possède, mais ceux qui en jouissent les répandent à profusion autour d’eux. Un vrai trésor est inépuisable et son partage, si grand soit-il, ne l’entame jamais.
Les vrais trésors sont à l’intérieur. Ils viennent tous de la corne d’abondance. De ce point où la corne s’affine et disparaît. De ce point où il n’y a plus rien et d’où viennent toutes les vraies richesses. Et là où il n’y a plus rien, la matière ne cache plus ce qui lui donne naissance, la conscience. Tous les trésors viennent de la conscience. De l’Esprit.
Quand nous faisons les premières expériences de ces trésors intérieurs, perdant le contact avec l’expérience de la conscience, parce que la matière de notre corps n’est pas prête, ne s’est pas suffisamment transformée, nous nous les approprions. Notre individualité perd le contact avec son universalité. Ainsi nous ne les percevons plus comme les attributs de la conscience mais comme nos propres attributs. Nous sommes tellement beaux, tellement magnifiques, nous sommes comme des anges de lumière.
Le dragon a fait son office : gardien impitoyable et jaloux de ses trésors il compte et recompte son or et referme la porte de nos trésors intérieurs. Le dragon est dans notre corps. C’est notre corps qu’il faut éduquer. Quand le corps soutiendra de façon permanente l’expérience de la conscience, le dragon sera apprivoisé. Il ne fermera plus la porte de nos trésors intérieurs. La vie dans la conscience est une vie de profusion et d’abondance : celles des vrais trésors.
Dans les contes, on raconte que le preux chevalier tue le dragon. Malheureux, ne faites jamais cela. Nous avons besoin de lui pour nous transformer. Il est le juge de paix qui ouvre les portes quand nous sommes prêts. Il faut lui parler, faire connaissance, l’approcher, l’apprivoiser. Mais d’abord le réveiller : car bien souvent le dragon s’est assoupi devant la porte. Oh, il ne dort que d’un œil. Mais il dort quand nul visiteur ne se présente. Pourquoi veiller si les voleurs sont occupés ailleurs à amonceler bêtement pièces d’or et joyaux. Dans notre époque matérialiste, la plupart des dragons sont engourdis dans un profond sommeil. Tous les voleurs courent après de nouveaux portables, de nouvelles voitures, de nouvelles maisons, toujours plus, toujours plus, d’illusions de bonheur qui ne durent qu’un instant dans une course épuisante et sans fin. Au moins les dragons se reposent !
Première étape donc, le réveil. Il est souvent impromptu, inattendu. Devant un splendide paysage, à l’écoute d’une musique, à la lecture d’un poème qui nous ouvre le cœur, dans une méditation profonde, dans un moment de grâce où nous nous acceptons totalement, aux mots doux de notre bien aimé(e), devant le sourire d’un enfant, au son d’une cloche qui disparaît dans le lointain…Les occasions sont innombrables et en même temps rares et précieuses. Ce sont des moments uniques ou notre individualité se fond dans l’universalité. Nous touchons l’amour qui lie silencieusement toute chose, qui fait du monde un uni – vers.
Voilà de quoi réveiller le dragon : une âme s’est approchée du trésor. Le voilà qui crache son feu et referme brutalement la porte. Notre individualité a vacillé dans cette expérience : elle perd tous ses repères. Notre monde s’effondre car il perd le paradigme sur lequel il reposait. Nous avons entre aperçu l’autre monde, celui des vrais trésors. Et nos trésors personnels prennent tous un goût de cendre. Il nous faut accepter de les perdre pour avoir accès au vrai trésor. L’ego doit s’effacer devant l’être. C’est le long chemin de l’apprivoisement du dragon, de la colère de l’ego détrôné. Vous avez bien sûr entendu parlé du vizir qui voulait être calife à la place du calife. Il s’appelle Iznogoud. Et c’est sûr l’ego is not good tant qu’il ne veut pas s’effacer devant l’être. Cette première expérience innéfable de la conscience, qui nous comble est en même temps une très grande épreuve. Les portes du temple intérieur resteront fermées jusqu’à ce que nous acceptions de perdre nos richesses antérieures. N’avez-vous pas entendu quelque part quelqu’un dire qu’il est plus difficile à un riche d’entrer au royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille…Pour y entrer nous devons devenir pauvres. Pour être comblé de vraie richesse, il nous faut d’abord accepter de perdre notre fausse richesse. Que ce à quoi nous donnions valeur précédemment n’en ait plus à nos yeux. Il nous faut accepter de passer par ce moment où nous n’avons plus rien où nous ne sommes plus rien. Ce n’est pas que nous devions donner nos biens et devenir des mendiants. C’est simplement, mais combien c’est long et difficile, renverser nos valeurs intérieures : donner la place première à l’invisible. Dans cette ultime humilité, nous serons comblés. Le rien deviendra le plein parce que le plein aura accepté de devenir le rien. Le vieux paradigme sera mort, le nouveau paradigme régnera reposant sur la conscience pure, hors du temps et de l’espace, animant de ses valeurs chaque seconde du temps et chaque fraction de l’espace.
C’est de cette mort intérieure que vient la résurrection.
Crucifié sur la croix de nos valeurs matérielles, si nous acceptons qu’en nous elles meurent, nous pouvons accueillir les valeurs de la conscience, de l’Esprit.