La grande salle était comble. Beaucoup de postulants avaient dû rester debout. Vlad Imgar faisait partie de ceux-là. Il promena son regard sur l’assistance. Peu importait, bientôt il y aurait suffisamment de sièges pour tout le monde.
L’annonce des résultats allaient commencer d’ici quelques instants. Il sentait une légère tension chez certains : probablement ceux qui quitteraient la salle. Vlad ajusta sa raie de côté et plaqua une mèche blonde rebelle. Il était impeccable dans sa veste anti-poussière de couleur noire. Autour du cou, il portait un émographe original. La majorité de ces appareils se portaient sur l’avant-bras sous le vêtement, mais certains voulaient montrer leur droiture en adoptant ce modèle. Ainsi exposé, il montrait aux autres sa capacité à rester stoïque. Vlad n’avait rien à cacher. De plus, la moindre vibration dû à une émotion trop forte était particulièrement désagréable et pouvait donner une migraine carabinée. Vlad, lui, n’avait pas ce problème. Il voulait postuler dans la Tetra, et devenir un Antesigne. Faire cette école serait un bon tremplin.
Il fixa ses yeux d’un bleu intense sur le sas d’entrée de l’amphithéâtre. Sa grande taille aidant – il faisait une bonne tête de plus que ses congénères – il n’avait aucune difficulté à voir tout ce qui se passait dans la salle.
Enfin, une femme d’un certain âge entra suivie par un homme brun que Vlad identifia comme le directeur de l’école : Elios Duval. Aussitôt, le bourdonnement qui emplissait les lieux s’éteignit.
– Bonjour à toutes et à tous ! commença le directeur. Je serai bref. Nous allons vous communiquer les résultats des tests d’entrée. Mme Kriev, ici présente, est secrétaire aux admissions – il désigna la femme qui l’avait précédée. Elle va annoncer votre nom et la spécialité pour laquelle vous avez été retenue. Vous viendrez prendre la carte mémoire de votre inscription immédiatement et regagnerait votre place.
Vlad remarqua qu’un individu venait d’entrer le plus discrètement possible dans la salle. Il semblait avoir couru. L’homme se mit légèrement en retrait derrière le directeur, qui continuait son discours.
– Vous pouvez encore refuser, mais je vous rappelle que vous ne pouvez pas choisir votre spécialité ; elle est le résultat de vos tests et ce pourquoi vous serez le plus apte. Une fois l’annonce des personnes reçues effectuées, Mr Iagudas – il désigna l’homme qui venait d’entrer – vous présentera son organisation, le Syndicat, qui se mettra à votre service pour vous accompagner dans votre vie professionnelle. Les cours commenceront dès cet après-midi.
Il ne prit pas la peine de saluer et s’éclipsa rapidement. La place libre, Mme Kiev s’avança vers le pupitre et éclaircit sa voix. Elle commença alors à citer des noms d’une voix monocorde. A mesure qu’elle lisait la liste sous ses yeux, les étudiants descendaient, récupéraient leur précieux sésame et remontaient aussitôt à leur place…pour ceux qui en avaient une.
Ganel regardait cette masse de jeunes gens agglutinés devant lui. La plupart ne resteraient pas. La vieille aux cheveux grisonnants continuait de déblatérer des noms. Malgré la tension d’un tel moment, aucun émographe ne se manifesta. Ces jeunes étaient, pour beaucoup, issus de la classe des hauts fonctionnaires ; ils se maîtrisaient, probablement mieux que lui. Et cela lui déplaisait. Il fronça les sourcils mais se reprit bien vite quand l’étudiante aux cheveux blonds entrain de descendre récupérer sa carte lui lança un regard suspicieux.
– Igor Ratkin, télékinésie, continua la vieille. Zana Echensi, hypnotisme. Mizuchi N’Amil, télépathie. Azreba Dune-Rouge, guidage…
La voix monocorde continuait, imperturbable. Ganel n’était pas seul face aux étudiants. A sa droite, dans un coin de la salle non loin du sas d’entrée se tenaient deux militaires : un colonel et un lieutenant au vu de leurs insignes respectifs. Sur sa gauche, outre la directrice adjointe, dont le nom lui échappait, il y avait trois personnes. Des civils, probablement des enseignants de l’école.
– Kyming Bloodhalf, analyse. Anka Tidisfal, hypnotisme. Esmée Radisky, télépathie…
Visiblement, hormis les étudiants, les personnes présentes savaient à quoi renvoyer ces termes. En fait, vu leur expression satisfaite, certains étudiants semblaient également connaitre les disciplines travaillées dans cette nouvelle école. Ganel secoua la tête. Laissez transparaitre son émotion de la sorte alors qu’on rentrait dans une école d’élite…quel mépris ! Il consulta l’heure. Son discours devrait être abréger. Il n’aurait pas le temps sinon.
– Laya Balthor, analyste, continua la secrétaire. Vlad Imgar, guidage. Traor Youssen, télékinésie.
Le rendez-vous de cet après-midi ne pouvait être reporté. Pas cette fois.
L’impatience commença à gagner Ganel. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que Mme Kriev daigne enfin lui céder la place. Le syndicaliste attendit que la masse des recalés sortent de la salle. Quand le dernier eut passé le sas, il se tourna vers les étudiants restants. Cette fois, tout le monde était assis, silencieux et prêts à écouter. Il avait fait cela maintes et maintes fois au sein des universités, des entreprises voire même dans certaines associations. Présenter le Syndicat, ce réseau de travailleurs, était devenu une routine.
Son discours allait à l’essentiel. Il insistait bien sur le lien social et l’entraide entre les différents corps de métiers. Il garantissait une certaine forme de solidarité dans la société et maintenait sa cohésion. En effet, le Syndicat était d’une aide précieuse au jour le jour pour trouver un emploi ou se former. Il fournissait des conseils juridiques, assurait la sécurité de certains transports ou livraisons pour les entreprises. Il organisait des sessions de rencontre où les anciens partageaient leur expérience avec les plus jeunes dans de nombreux domaines. Le Syndicat servait la société et la société se servait du Syndicat.
Une fois son discours achevé, Ganel se hâta de quitter les lieux, laissant les deux militaires prendre à leur tour la parole. Il les entendit parler de hiérarchie et de commandement militaire alors qu’il fermait la porte du sas. Une fois dehors, il regagna l’artère principale de la ville et prit le premier cab qui passait par là. Il restait du temps avant son rendez-vous. Finalement, la vieille n’avait pas été trop longue pensa-t-il. En fait, il avait même le temps de faire un crochet par le labo et vérifier si tout était en ordre pour le combat de ce soir.
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