Il fut un temps, fort fort lointain, où j’ignorais ma condition d’introvertie.
Je le confesse aujourd’hui, cette absence de diagnostic me poussa, malgré moi, à trahir ma nature originelle en sortant plusieurs fois en soirée avec des amis. Chose dont je m’abstiens désormais, trop heureuse de m’être enfin dégoté une identité digne de ce nom, fusse-t-elle celle d’une ermite.
Étant une femme du monde, j’avais toutefois la décence de n’y prendre aucun plaisir et ne quittais sous aucun prétexte cette attitude prétentieuse et désenchantée qui m’allait si bien au teint.
Il me reste peu de souvenirs de ces escapades nocturnes, pourtant, l’une d’elle garde une place singulière, oserais-je dire précieuse, dans mon coeur.
Un soir d’été, nous arpentions les rues célébrant nos 48 h de liberté qui allaient être gaspillées, une fois de plus, dans une multitudes d’activités inutiles dont le récit condensé du lundi matin était toujours le même : « J’ai le seum, j’ai encore rien fait de mon week-end ».
Faisant fi de cette future déception d’ordre existentiel et après plus de deux heures de perdition urbaine mi-sobre, mi-raisin, nous décidions finalement de marcher en direction de la place de la ville, QG des lycéens, et point de rendez-vous hebdomadaire des roulages de pelles et vomissements en série. Pas toujours dans cet ordre, au grand dam des normes canoniques d’hygiène buccale.
Arrivée sur place, un des garçons du groupe remarqua une canette de bière à moitié pleine, laissée en évidence sur un petit muret.
Heureux de sa bonne fortune, l’individu dont le QI baignait depuis plusieurs heures dans un mélange whisky-cola, s’en empara.
Vous croyez que je peux la boire ? Elle est peut-être à quelqu’un.
“Ça sent quoi ?”
…j’sais pas… la bière.
“Bah vas-y alors. Goûte.”
Sûr ?
…
Je ne pourrais vous dire si c’est la curiosité, la juvénilité ou la stupidité qui emporta les dernières réticences de ce jeune homme mais il décida de porter la canette à sa bouche d’une main assurée.
C’est non sans une certaine malice qu’un sourire s’échoua au bord de mes lèvres lorsqu’il recracha la liqueur, les traits défigurés par le dégoût.
Le constat fut sans appel.
La canette contenait un pourcentage non négligeable de pisse et le moment le plus excitant de la soirée était maintenant derrière nous.
La chute est un peu prévisible, mais c’est tellement bien écrit.
Merci.