La photo de Clown

5 mins

La Fête des Vendanges 2016, dans les jardins Rosa-Luxemburg, à Paris, assis sur une chaise. manches blanches trop longues, pantalon noir trop court, mini chapeau blanc, posé sur une houppette brune et chaussures immenses avec le nez rouge, mon Clown Watt’s Watson, regarde l’objectif. Ce moment restera au présent, imprimé sur une photo couleur.

J’aime bien sortir le nez de Clown de temps en temps, surtout en extérieur, ce qui n’est pas tout à fait pareil. Ce jour-là j’avais plusieurs nouveautés à mon costume. Un costume qui n’arrête pas d’évoluer au fil du temps, depuis treize années. La grande nouveauté, c’étaient les chaussures. Fabrication “Maison” et les premières qui marchaient vraiment. Noires, grises et blanches au milieu, 68cm de long, j’en suis fier. Ce jour-là des enfants me diront que ça ne va pas : elles sont plates. Les enfants sont de terribles critiques. Ils sont sincères et sans barrières. Il y a certains Clowns qui jouent surtout pour des enfants. Moi je préfère jouer pour les adultes, proposer plus de finesse. Dans le jardin, un grand nombre de petits gamins virevoltaient autour de moi, cherchaient l’échange, le dialogue, à en savoir plus. Les chaussures avaient vite évoluées suite à cette journée…  

Un court numéro “Joyeux Anniversaire” s’était préparé en vue de cet événement. L’accessoire principal consistait en une tarte à la crème. Avec un ami, élève Clown, nous avions déjà fait un duo “Joyeux Anniversaire” où chacun se prenait en pleine fraise des tartes à la crème. Pour moi c’était une recette facile et savoureuse. Avant et après mon passage en solo, j’étais resté en Clown et ne faisais rien, à part amplifier chacun de mes mouvements de manière excessive. Anne Bourgeois, grande metteuse en scène et professeur de Clown nous l’a appris, “Ne rien faire, juste se laisser voir, regarder, admirer peut-être. Mais ne rien faire, enfin ne pas trop en faire”. Et cela peut-être déjà beaucoup. Avec mon costume, je suivais ses précieux conseils. Ils fonctionnaient. Et je gardais cet état d’esprit d’émerveillement et du plaisir de jeu, ce qui suivait dans le corps. De nombreux spectateurs ou promeneurs me prennaient en photo, parfois avec l’une ou l’un d’eux à mes côtés, sous ce beau ciel bleu d’octobre. 

 On avait sympathisé avec le photographe qui prenait des photos de l’événement. Il m’avait demandé mon autorisation pour cette 1ère photo, de mon Clown, assis à le regarder. Il s’appelle Joseph, rencontré à cette occasion, on avait sympathisé. Il avait immortalisé de moi d’autres photos. Dont une, avec une minuscule petite gamine à côté de moi debout, dos à la cabane de bois. Elle me tendait la main pour que je la lui prenne. Là j’étais bien embêté…  

Il y a quinze ans, je suivais ma 2ème année d’un atelier d’impros. Dans ce lieu j’avais vu annoncer un stage de Clown sur un week-end. J’en avais entendu parler et je l’avais suivi par curiosité. Cela avait été un énorme coup de foudre. J’aimais déjà bien les mots et en impro j’e naviguais, vers les jeux de mots et l’absurde. Mais j’avais vu là avec le Clown qu’on pouvait aller beaucoup plus loin que les mots. Enfin, toucher l’auditoire de manière bien différente.

Stages et ateliers ont succédés et m’ont vite appris que l’aveu était une notion importante en Clown. L’aveu de son échec en jeu par exemple. L’aveu de ce qu’on est soi-même, de ses défauts, faiblesses, de ses qualités aussi, ce qui est moins bien intéressant pour le public. Le fait d’avouer ce que l’on vit sur le moment en piste. J’ai constaté lors d’un exercice sur ce thème que des participants révélaient des choses parfois horribles sur eux-mêmes et que c’était vraiment drôle. On se sentait souvent proche de cet élève, car c’était humain. Le Clown révèle beaucoup d’humanité. Et cela nous rapproche de nous-mêmes. Si on est proche de soi, de son Clown et qu’on révèle tout ce qui nous traverse, le Public y verra de l’interêt. Car ce sont des moments de jeu et de vie révélés. Par contre si on n’est pas juste le public va le faire savoir. Le Clown m’a appris à ne plus avoir peur de me dévoiler.

 Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir en regardant qui m’observait sur le côté gauche le grand Clown Slava Polounine. Mime Russe, Clown, Réalisateur et Metteur en Scène, j’avais vu son fabuleux Spectacle, aux milliers de représentations à travers le monde, le “Slava’s Snow Show” au Théâtre Montfort. Il m’avait même autorisé un selfie avec lui. Tout en disant “mais il ne faut surtout pas le mettre sur Internet.” A ce moment dans le jardin je m’étais levé avec une immense joie et envie d’aller lui parler, il avait réagi plus vite en me faisant “Chut” et en posant son doigt devant la bouche. Avec un petit clin d’œil malicieux. Son petit-fils, je pense, s’était jeté dans ses jambes en riant et avait lancé un mot russe. Slava m’avait fait un nouveau clin d’œil en me tendant le pouce et ils s’en étaient allés. J’étais déçu, mais je savais que pour lui parler je devais retirer mon nez et sortir de mon rôle, de mon Clown. Un grand Monsieur et un grand Clown ce Slava pour moi. J’avais lu qu’il avait joué sous différents régimes en Russie et qu’il avait dit, “On n’était pas bien vu par les politiques. Mais ils ne pouvaient rien nous dire, puisqu’on ne disait rien.” Des paroles en or pour moi. Il m’avait accordé deux clins d’œil et surtout son pouce levé, ce grand artiste. Un exemple.

Treize années en arrière, j’avais monté plusieurs numéros en parallèle. Deux solos et deux duos, avec des partenaires différents. Tous ont connu leur public et l’un de ces numéros a participé à un festival des Arts de la Rue à Gand. On m’avait attribué une plaque de “Performer” sous plastique avec mon nom et celui d’artiste. Des “Performers” m’avaient expliqué que le Public aimait bien voir les artistes se préparer. Pour ma 1ère j’y étais allé avec cette optique. J’avais posé mon sac, le tabouret pliant, la plaque de “Performer” en évidence. Il fallait la présenter pour annoncer qu’on était autorisé, en vue des forces de l’ordre. Un couple m’observait déjà sur mon côté cour. Je mettais de longues minutes à me préparer. Je mets toujours autant de temps, dans les trois quarts d’heure à me mettre en costume des pieds à la tête. Il m’était difficile de relever le bas du pantalon. Cousus en dedans et à vingt centimètres de hauteur de chaque extrémité, l’accès aux pièces adhésives en était difficile depuis le bas et l’intérieur du pantalon que je portais. Si les velcros pouvaient adhérer le bas du costume de ville se transformait et devenait beaucoup trop court. Un moment interminable pour réussir à ajuster et à accrocher le nœud papillon au cou, avec sa minuscule attache de métal sur le côté. Debout, prêt et parti, mon numéro c’était “Titi”. Titi, c’était mon toutou. Il s’agissait d’une énorme perruque brune et bouclée. Une laisse y était nouée. Je promenais Titi, lui faisait faire pipi. Il m’en mettait un peu sur les chaussures, la sale bête. J’en étais complètement gâteux de mon Titi. Et en même temps j’étais dur, sadique avec lui. J’alternais la méchanceté avec la gentillesse. La dualité de l’humain, mais démesurée, poussée aux extrêmes. D’où l’effet comique. Le clou du numéro arrrivait après quelques minutes, puis la fin et le salut. Il y avait un peu de monde, des applaudissements, des pièces dans le chapeau. Le public s’était dispersé, au fil des secondes et le couple m’était réapparu toujours à la même place, à me regarder sans bouger. J’ai été vers eux, ils avaient préparé avec soin une pièce de 2€. Elle n’avait pas suivi dans le chapeau. Je l’avais prise dans la main et mise dans ma poche arrière. Elle représentait une valeur énorme pour moi. J’avais remercié comme j’ai pu ces deux spectateurs exceptionnels. J’avais mis un temps fou à me préparer. Flamands, la barrière de la langue n’avait pas permis les mots, mais les regards et les actes étaient bien là. Ce que m’avait offert ce couple, c’est bien plus que les deux euros. C’était là une certaine forme de reconnaissance. C’était magnifique à mes yeux.

Marco O’ Chapeau le 5 décembre 2022

débuté le 25 novembre 2022

Vidéo “Mise en costume lors de cet événement”

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10 Commentaires
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d'Hystrial Haldur
2 années il y a

Hello Marco, je préfère tes petits textes poétiques. Cependant c’est pas mal de se retrouver à vivre de l’intérieur d’un homme qui pratique ce métier si rare et mystérieux.

d'Hystrial Haldur
2 années il y a

Disons que le texte est sympa. Il y a des bons passages, j’aime bien le personnage, j’aime bien le passage avec le clown admiré, qui fournit une phrase, et la description du numéro par exemple. Ce que je n’arrive pas bien à ressentir, c’est l’ambiance. Mais ce n’est que mon ressenti. Je me dis que l’avalanche de dates n’y est pas pour rien. Car quand je commence à voir des dates, comme j’oublie instantanément, quand j’en vois une autre je me demande si c’est avant ou après et ça me casse la magie.

d'Hystrial Haldur
2 années il y a

Je ne sais pas si c’est ça mais je l’ai mieux apprécié. Je pense tout de même que de dire il y a quinze ans situes-mieux sans réfléchir. Il faudrait d’autres avis !
A bientôt !

d'Hystrial Haldur
2 années il y a

Oui le passé, c’est bien, personnellement je supporte difficilement le récit au présent. Je ne m’étais pas aperçu de cela pourtant, mais peut-être inconsciemment.

d'Hystrial Haldur
2 années il y a

Il y a toujours le quatrième paragraphe au présent, sauf deux verbes au passé composé.

Sisyphus Roll
1 année il y a

Bonjour Marc O’Chapeau,
Plus que sur la piste, dans le costume ou les chaussures, vos mots m’ont entrainé dans le regard que le clown porte sur lui même et pour finir sur le regard qui lui est offert. Merci

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