– Iliana –
Ma rencontre avec Iliana, pour la première fois, date d’il y a peu.
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Enfin, c’était il y a plusieurs semaines, même quelques mois. Dans une papeterie pas loin Place de Clichy que je fréquentais rarement. Je m’intéressais déjà de près aux articles d’écritures et de bureau. Mon niveau d’attention est monté d’une quarantaine de degrés, sur l’échelle d’un rapporteur. Ma motivation à m’y rendre plus souvent était née.
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Assez grande et plutôt fine, brune aux cheveux longs, un joli minois. Son corps et ses poses semblaient provenir du tableau «La Naissance de Vénus » de Sandro Botticelli. Elle respirait la grâce et la fraîcheur. Elle m’a étonné, quand elle s’est approchée directement de moi, sans cesser de me regarder, dès qu’elle m’a vu, pour me demander ce que je voulais. On était plusieurs à attendre après une personne au guichet et j’en étais loin. J’étais le dernier de la file, derrière cinq ou six personnes, le plus proche de la porte d’entrée du commerce et le plus éloigné des caisses.
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La surprise s’est élargie quand elle a fait mine de ne pas m’entendre lorsque je lui disais qu’il y avait des gens avant moi.
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Mais en même temps, il faut bien l’avouer, j’avais rajeuni de trente ans en quelques secondes, j’étais gonflé par la fierté, la rage de vivre m’emportait à revivre et un large sourire illuminait mon visage.
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Et ça a réveillé chez moi le désir de compagnie qui attendait, enfoui, ce genre d’événement.
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La deuxième fois, je lui ai proposé de lui présenter à nouveau ma carte d’identité, pour retirer ma commande. Elle m’a dit « C’est inutile, je vous reconnais, je vous ai déjà vu. » De nouveau, elle ne pouvait pas me faire plus plaisir et je lui ai dit « Moi aussi je vous ai déjà vu. C’est impossible d’oublier une aussi jolie fille que vous ». Et quand je l’ai entendue pouffer, dans une petite gaieté, j’ai songé « Tu marques des points là. C’est bien. »
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Comme elle me paraissait bien jeune, surtout comparée à moi. Quand elle m’a présenté mon achat, je lui ai demandé si elle travaillait là pour les vacances. Elle m’a répondu qu’elle était en contrat d’alternance, en seconde année de BTS.
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La 3e fois, son visage s’est ouvert et éclairé lorsqu’elle m’a remarqué et elle m’a enchanté avec un « Ah c’est vous, ça fait bien plaisir de vous voir ! » Elle m’a annoncé qu’elle s’appelait Iliana. Je lui ai dit que c’était un bien joli prénom Iliana. J’ai noté ces mots et son prénom Iliana dans mon carnet-semainier, une fois chez moi rentré. Il s’agissait du mardi 9 août 2022 et il était gravé « Saint Amour » sur l’éphéméride.
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On s’échangeait des sourires de plus en plus appuyés, les yeux de plus en plus plissés et rivés l’un sur l’autre. Mais je suis souvent un peu long à la détente… Pour la 4e fois, j’étais venu le mardi 16 août, le lendemain de l’Assomption. Je lui avais préparé un mot.
« Bonjour Iliana,
J’aimerais bien vous connaître.
Vous montrer un endroit bien sympa,
Près de Place de Clichy, il en est à deux pas
Une petite place piétonne, aux terrasses sympathiques
Où il y a aussi l’entrée d’un petit jardin public,
D’où partent deux allées, chacune de son côté.
Et sur chaque, plusieurs bancs, certains souvent vacants,
Tournés vers la nature, et des oiseaux le chant.
Profiter d’être à l’air, sentir sur les joues, venir murmurer le vent.
Si ça vous dit…
Marc
06 .. .. .. .. »
Mes espoirs avaient atteint leur apogée. Chaussures de sport blanches, chaussettes rouge vif, pantalon de toile noir, chemise à motifs en nuances de bleu, chapeau d’été Trilby bleu ciel. Eau de Toilette Concerto. C’était le grand jour. J’avais acheté pour l’occasion une rose rouge à l’enseigne
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« Fleurs des Batignolles ». La fleuriste l’avait raccourcie de façon à pouvoir la dissimuler dans ma sacoche. Peut-être allait-elle me dire « D’accord » ou « Pourquoi pas ? ». Que je lui dévoilerai et lui offrirai la fleur ? Que cette relation allait prendre son essor ? J’avais marché d’un bon pas en chantonnant
« Still Loving You » l’alternant avec « Nothing compares to U » et quand j’ai poussé vivement et joyeusement la porte de la vitrine, un jeune, roux, rougeaud, le visage couvert d’acné, avec une mèche bleue et verte, un nouveau, corpulent, s’étalant. Il était avachi lui, derrière le comptoir. Alors qu’Iliana était si vive, toujours tellement en activité…
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Le gérant se tenait, comme à son habitude, dans un recoin, en diagonale pas loin des caisses. Il jetait un œil, comme toujours sur chaque nouvel arrivant. Au fond de la boutique, une nouvelle stagiaire empilait maladroitement des ramettes de papier. Patatras !
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Le choc, Iliana s’était volatilisée. À mon avis, il s’agissait aussi de jeunes en contrat d’alternance. Iliana, elle devait être en vacances.
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Mais elle devait sûrement se souvenir de mon nom, de mon prénom, elle avait dû les enregistrer depuis ma carte d’identité, c’était sûr. Et elle allait regarder ce que j’avais à la va-vite proposé sur mon profil Facebook. C’était certain ce jour-là. Avec la photo de ce mot, mon numéro de téléphone avec ses chiffres camouflés pour le web. Pour cette publication, j’avais rédigé sur un papier un petit texte qui décrivait les circonstances et les faits de cette relation, avec la photo du mot. Elle se terminait par un « Qui sait ? ».
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Puis je m’étais dit que puisqu’elle était en alternance, les autres aussi devaient l’être. J’avais réécrit mon mot afin de m’appliquer de ma plus belle écriture. En ajoutant du rouge au noir. En rouge et noir. Rouge pour : « Iliana » un large trait afin de souligner « Marc » et pour mon numéro de téléphone. Le plus important « Iliana », ensuite moi et pour finir le lien qui pouvait permettre de nous voir selon la couleur du cœur, de la passion…
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Un jour, j’étais sur place et le mot qui normalement se trouvait dans ma poche arrière de pantalon n’y était plus. Il s’était égaré. Je l’avais perdu. Pas de Iliana non plus. « Perdue elle aussi ? » m’était rapidement venue en tête.
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J’ai raconté cette histoire à Amy. Ma vieille voisine de 96 ans, et amie de palier. Je lui ai dit que j’avais voulu faire plus attention avec Iliana, du fait de son jeune âge, surtout par rapport à moi. Que je devais veiller à ce qu’elle soit au moins majeure. Je lui avais montré la troisième version du mot qui lui était destinée.
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Mon numéro était écrit plus gros et le stylo était repassé à plusieurs reprises sur les chiffres. Elle m’avait fait la remarque que c’était un peu trop grand, trop visible, grossier, cette façon d’exposer le numéro. Puis elle m’avait lancé « À suivre donc ! » Ce qui m’avait incité à y retourner dès le lendemain.
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J’ai toutefois refait le mot avant. Personne. Iliana était bel et bien introuvable.
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J’y suis retourné plusieurs fois, à des intervalles de plus en plus espacés. Je m’arrêtais en face du magasin et faisais mine de recevoir un appel téléphonique. Avec un « Allo, allo ! Ah c’est toi ! Salut, ça va ? Tu vas bien » et puis des mots lancés de temps en temps, à droite à gauche, en l’air, par terre, vers la boutique, certaines fenêtres. Et je bougeais, tournais sur moi-même, suivant le fil de cette conversation improvisée et imaginaire. Je guettais ceux qui s’activaient dans la boutique. J’observais la rue, ses mouvements, passantes, passants, vélos, véhicules, regards. Une partie du magasin était non visible depuis la rue. Mais les employés qui y étaient ne restaient jamais longtemps.
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Je patientais tant que je n’avais pas aperçu les trois employés. Une fois que j’avais fait le tour de la question, je repartais, téléphone à l’oreille, en lançant parfois des
« Salut. À bientôt. » Souvent quelques jurons salvateurs, afin de me détendre, ou bien tout ce qui me venait à l’esprit. C’était devenu un jeu, une quête inaccessible, un rêve qui s’était envolé.
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Un jour, il manquait une personne de l’équipe. Mon cœur a bondi. Je me suis dit qu’elle devait être en arrêt de travail. Un arrêt maladie. Une panne de cœur. Surtout que ça ne pouvait pas être la pause déjeuner, il était à peine midi moins le quart. Et j’y suis retourné. Iliana avait bel et bien disparu.
Ce n’est qu’au mois d’octobre que j’ai eu l’idée lumineuse de rechercher les dates de rentrée pour les BTS de commerce et vente. Le web m’a répondu « septembre-octobre ». Et là j’ai réalisé que si en août elle m’avait annoncé qu’elle était en 2e année, avant le mois de septembre, c’était qu’elle annonçait la fin de son alternance, donc de sa présence…
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Une histoire sans début. Juste deux, trois mots échangés, deux regards qui se croisent. Qui se revoient. Même s’il y avait bien des années d’écart, une histoire qui m’a donné envie de cette rencontre. Je m’en suis fait tout un roman, un film. Une histoire qui a éveillé chez tous les deux, ou peut-être seulement chez moi à vrai dire, le désir d’en voir le début, avant d’en voir un jour la fin. Une histoire sans début. Une histoire sans fin.
Marco O’ Chapeau le 31 décembre 2022
débuté le 10 décembre 2022
Bonne année Marco
Merci @Haldur d'Hystrial
Bonne & Heureuse Année à toi et à tes proches :))