Je me réveillai au son des cloches. J’étais assurément en retard : la procession des anges était en marche ! Je me relevai tant bien que mal et m’élançai pour les rejoindre, mais je basculai aussitôt, la gorge enserrée toute chaîne tendue.
“Satané boulet ! Je l’avais oublié celui-là ! Si je trouve le sagouin qui a pris la décision de m’incliner cette punition, je n’sais pas ce que je lui fais !”
Moitié étranglée, moitié ahurie, je fulminais, c’est à peine si j’arrivais à dire “Merde !”
Je soupirai et tirai sur la chaîne. Un sillon se formait sur mon passage. Les jardiniers célestes allaient me haïr, mais tant pis.
J’aurais tant aimé que le père Ronce soit là pour me soutenir, mais il avait disparu depuis notre dernière entrevue sous le chêne de la Sagesse. Aucune nouvelle non plus de Skylar et de la bande de Salem. Sans doute étaient-ils avec le Sylvanium. Je me sentais abandonnée.
“Seule et fière de l’être, Mary ! Rappelle-toi, droite dans tes bottes quoi qu’il advienne.”
Une fois de plus les paroles du père Ronce me venaient en aide.
Je parvins jusqu’à l’église au bas des escaliers et rejoignis les anges bleus alignés solennellement tels les colonnes du Parthénon d’Athènes. Tous les regards se tournèrent vers moi. Le seul qui ne m’offrit pas un air de dégoût fut le Sylvanium, ouais, peut-être parce qu’il brillait aux lumières de la dérision. Sa grandeur commençait sérieusement à me taper sur le système.
Il m’adressa la parole en se moquant de ma condition.
“Eh bien, Grimmins, on vous a enfin reconnu à votre juste valeur ?”
Si j’avais osé enfreindre la loi je lui aurais remis une bonne taloche ou mieux, un bon coup là où ça fait mal, mais une gueuse de ma sorte n’avait pas même le droit de toucher ne serait-ce qu’à un cheveu de “Sa sainteté ! Oh ! Combien miséricordieuse !” La gifle que je lui avait admonestée quelques jours auparavant aurait pu me valoir d’être écartelée. Je ne me laissai pas démonter et lui répondis la tête haute:
“Très drôle. À titre de sans-rang et d’âme non-jugée, j’ai reçu hier le droit exceptionnel d’assister au Conseil céleste. L’exigence à propos de cet accoutrement est entrée une heure après. Une huile de haute stature aurait apparemment jugée qu’il me faut plus d’humilité.”
— Pfftt ! Vous auriez une qualité manquante ? Impossible !” me dit-il. Et alors il jeta quelques sels sur ma chevelure en me bénissant.
Ce geste, je dois le dire, me remplit d’humilité et je lui en fus reconnaissante. Je pensais, les mains jointes, qu’il me manquait effectivement une qualité. Je n’avais pas ce petit supplément qui permet à une femme d’être aimée, mais un jour, je montrerais à cet homme qui siégeait fièrement sur un trône, que j’allais acquérir cette chose élusive, j’allais moi aussi devenir une créature digne d’amour, aussi digne que lui !
Je ne voulus surtout pas montrer le trouble qui me submergeait, et je ne pus que maugréer entre mes dents: « Attendez que je rencontre ce fils d’incube qui s’est permis de me rabaisser aux yeux de tous. »
Je saisis alors l’occasion qui s’offrait à moi de faire comprendre au Sylvanium que l’heure était grave, qu’il ne fallait surtout pas la prendre à la légère. Mais imaginez une tortue qui tente de suivre un milan royal. Ce boulet pesait une tonne ! J’eus à peine le temps d’expliquer au Sylvanium que l’Ange Noir était autrefois un ange gardien dépravé qui passait tous ses caprices à sa protégé au point de la laisser s’enivrer et qu’elle mourut au volant d’une voiture volée en tuant trois innocents. Et bam direct aux enfers la môme ! L’Ange Noir responsable de ce désastre prétendit à l’injustice. Fou de colère, il déclara que si ce traitement était bon pour sa protégé, alors toutes les âmes devaient être damnées. Il s’était alors joint aux démons, ceux-là trop heureux d’intégrer un double face. Une fois aux enfers, l’Ange Noir avait rapidement gravi les échelons. Il travaillait désormais activement au sabotage du travail des Anges gardiens.
Je n’eus pas le temps de dire au Sylvanium que le Corps n’était pas, comment dire, complet, et ça avait rapport avec l’arme secrète de l’Ange Noir ! Mais imaginez une gueuse de mon genre en train d’affirmer une telle hérésie ! Aussi bien prendre moi-même un rendez-vous chez l’empâleur.
Le Sylvanium était au haut de l’escalier, alors que je hissais mon fardeau sur les premières marches, mon corps couvert de sueur. Je lui hurlai de toutes mes forces qu’il devait prévenir le Conseil d’un danger imminent. Il fallait d’urgence envoyer une troupe en enfer ! …et du même coup, me rapporter une pierre rouge mais ça, je ne le lui avouais pas, l’ALS3000 devait rester secret. Je n’avais aucune confiance en lui.
Je finis par atteindre le parvis, mais le portier éclata de rire en me traitant de “sale sorcière”. Il referma les battants avant que je ne réussisse à les franchir, mon boulet au pied. Je venais de rater ma chance d’assister à l’événement le plus important de ma vie. Je n’avais plus qu’à prier pour que le Conseil ne reste pas sourd à l’urgence comme à son habitude.
Je restai seule avec cette satanée sphère noire et ma chaîne verrouillée à quatre tours. J’étais encore hors d’haleine quand les démangeaisons dans ma chevelure s’amplifièrent. Les cloques grossirent jusqu’à laisser s’échapper des couleuvres ! Je fondis en larmes. Et alors, je réalisai que j’avais confié la clé du cadenas de cette chaîne maudite et même celle de ma Cocci aux gardes du Palais Céleste, lesquels se trouvaient maintenant enfermés à l’intérieur.
J’aurais tout abandonné sur le champ, mais un semblant de fierté m’imposa de relever la tête.
“Droit dans tes bottes, Mary !”
Je m’assis au sommet de l’escalier, entravée par ces solides maillons qui me liaient au boulet. Le Conseil allait durer des heures et je ne pouvais plus rien accomplir. J’étais au bord des larmes. J’avais ce besoin, celui d’un homme, d’une présence, chaude, solide, capable de me réconforter.
Je pensai alors au docteur Etherwood. À défaut de m’aimer, ce gentleman semblait m’apprécier. Son charme avait touché mon cœur et sa présence avait l’heur de me donner des ailes ! Il appréciait mon travail et pouvait devenir un véritable allié. Sa fortune, même si ce n’est pas ce que je cherchais, pouvait couvrir les frais d’une expédition en enfer.
Je saisit mon I-techphone sanglé à ma cuisse. La jarretière en dentelle qui le retenait tomba sur ma cheville. Pendant la sonnerie, je caressai ce morceau de broderie. Ma mère adoptive m’avait encouragé à ne pas désespérer. « Il te sera forcément utile un jour » avait-elle dit.
Le soleil descendait à l’horizon. J’étais affreusement seule. Je priai pour que James Etherwood réponde.
Quel point de vue ! Ainsi, le Sylvanium a ce don de blesser les femmes autour de lui… Mmm… et ils été nommé le grand chef des anges.., Pfftt…
Que fera Mary Grimmins ? Réussir a-t-elle à mettre au point son ALS3000 ? Cette arme de destruction massive de griffons ? Avant la grande déferlante ? Et que fait le Sylvanium ? Réussir a-t-il a convaincre le conseil céleste qu’il y a urgence ? Évidemment, les lecteurs du Corps ont une petite avance dans leur suivi de cette histoire, mais les aventures de Grimmins jettent un éclairage plus large sur le travail des forces du mal !
Sauf que si j’étais le Sylvanium, j’écouterais Mary Grimmins !