J’avais trouvé au milieu des ordures de ma cuisine une casserole à peu près propre. Il restait quelques traces mais ça irait. Je fixais l’eau. J’attendais. Ma tasse était prête. Elle renfermait la précieuse poudre.
J’avais besoin de ce petit coup de fouet pour affronter la journée. Ce n’était franchement pas terrible. Une eau tiédasse et trouble, chargée en caféine, tout au plus. Mais c’était mon remède.
L’écran s’était allumé à mon réveil et la longue litanie se déroulait dans toute la pièce. Diagrammes, infographies, citations. Il fallait faire de nouveau des efforts supplémentaires, relever le pays, construire un futur meilleur, pour la souveraineté. Les experts se succédaient et disaient la même chose, peu importe s’ils contredisaient les propos de la veille.
Un nouveau scandale faisait tomber en disgrâce un grand de ce monde. Et l’atmosphère était toujours aussi chargé de particules.
J’avais une heure devant moi.
Assis à poil au milieu de la pièce, avec mon substitut de café, je pouvais m’adonner à la seule activité qui pouvait encore m’apaiser.
J’avais un nouveau livre. Piaro, mon libraire de fortune, l’avait trouvé en triant les vidanges des beaux-quartiers.
Le livre n’avait plus de couverture, ses pages étaient jaunes et aussi crasseuses que mon studio. Mais le premier mot du texte était “liberté”.
Je n’étais pas sûr de tout comprendre. Certains mots avaient été vidés de leur sens par le ministère de la pensée flexible. Lire les livres des temps obscures, c’était prendre le risque de ne pas être tout à fait sûr. Je crois qu’il était question d’un homme, à la peau noire, qui cherchait à fuir une plantation de coton. C’était sûrement un roman fantastique. Au cours de mes études j’avais entendu parler de la légende selon laquelle des hommes de couleurs différentes vivaient ensemble. Aucune preuve archéologique ne permettait de l’affirmer tout à fait.
Piaro avait vu juste. Ce livre serait un régal.
L’hymne national retentit sur l’écran. C’était le signal pour le début de la journée de travail. Une voix synthétique couvrait la musique, annonce ministérielle de catégorie A.
“Citoyens fonctionnaires du département des protocoles cognitifs, bonjour.
La France a besoin de vous, la France compte sur vous.
Pour faire face à l’exigence de souveraineté, notre vénérable Ministre, son Excellence Emmanuelle Peillon, demande à notre institution de concevoir 156 nouveaux ingénieurs.
Les impératifs de programmation cognitive vous sont envoyés en ce moment sur vos interfaces.
Exigez l’excellence, servez la France.
Productivité, Égalité, Fraternité.”
– Productivité, Égalité, Fraternité, dis-je en me levant, la main posée sur le cœur.