Chapitre 6. Un nouveau monde. Partie 3

10 mins

   Je fis signe au voiturier qui nous ramena la voiture sans tarder. Il sortit rapidement du véhicule, me cédant la place côté conducteur, ne laissant pas le choix à Anton. Il s’assit sur le siège passager, sans broncher.

Je fixais la route qui défilait sous mes yeux sans réellement y prêter attention. Je voyais ses courbes sombres, ses lumières bleues incrustées dans l’asphalte brûlant, mais mon esprit était trop occupé à évaluer les dangers potentiels de la route. Ma conscience ainsi que la véritable Kaylah livrait une bataille sans merci, pour savoir s’il valait mieux que je me retire du projet ou non. Les menaces de Noah d’un côté et les sombres desseins d’Andrew de l’autre. Charlie qui s’éloignait de l’être que je pensais connaître. Mon frère cachait derrière lui un secret qui l’éloignait de ma mère, de mon père et de moi. Toute cette cacophonie me donnait tout simplement l’envie de hurler. Je sentais le poids encombrant d’une responsabilité nouvelle que je n’avais jusque-là jamais envisagé. Les arguments d’Andrew étaient tout à fait audibles et si cela avait été un autre, je les aurais acceptés. Seulement avec tout ce que j’avais appris au cours de mes recherches, dans les propos de Jane, ne me rassurait guère sur ses motivations réelles. Ce complexe d’infériorité qui peu à peu le faisait sombrer dans la folie. Et puis, il y avait cette étrange Expérience 2.0 que son Conseil d’administration lui reprochait, sans jamais oser entrer dans les détails. Andrew était une menace pour tous. Il était certainement responsable de la mort de son frère, et peut-être d’autres innocents. Une Syrienne l’avait désigné comme le diable en personne devant l’Organisation des Nations Unies et était morte peu de temps avant qu’on ne lui demande de détailler ses propos. Ma conscience et la vraie Kaylah, au regard de tous ces éléments étaient d’accord sur le fait qu’on ne pouvait confier l’avenir du monde entre ces mains. La seule chose qui m’empêchait de prendre une décision, était ma peur. Pour la première fois, je craignais d’échouer. Les enjeux étaient grands et les risques inconsidérés. Je pouvais tout perdre comme tout gagner.

  Je garai la voiture au pied de l’immeuble où se trouvait l’appartement d’Anton. Je pouvais apercevoir la lumière du salon émaner de la fenêtre qui se situait au troisième étage. Quelques lampadaires éclairaient les trottoirs déserts, les branches des arbres qui longeaient la route étaient presque immobile, même si une légère brise faisait frémir ses feuilles. Le silence témoignait de l’heure tardive à laquelle nous étions arrivés.

   – Tu veux monter ? demanda Anton au moment où le moteur se tut.

   – Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, répondis-je en désignant cette lueur qui témoignait de la présence d’Elias.

   – C’est vrai. Mais comme tu n’es plus Kaylah, mais Charlotte, on peut très bien… 

   – Anton, soupirai-je soupçonnant sans mal ses intentions. Cette époque est terminée….

   – Peut-être, mais tu me manques, tu sais. Cela a beau faire deux ans, j’ai dû mal à croire que tu aimes quelqu’un comme Charlie Van Hood.

   – Moi aussi, confiai-je ma tête reposant sur l’appui, mes yeux contemplant la route déserte.

   – Peut-être qu’un Noah te conviendrait mieux….

   – Quoi ?! rétorquai-je en me redressant, sentant subitement mes joues piquer un fard.

   – Arrête de jouer les innocentes. J’ai bien vu comme tu étais avec lui, comment tu le regardais et surtout lui comment il te regardait.

   – Cela ne veut rien dire.

   – Si, Kaylah. Cela signifie que tu n’es pas heureuse avec Charlie.

   – Et qui te dit que je serais plus heureuse avec un inconnu ?

   – Mon intuition.

   – Elle est mauvaise, ton intuition, marmonnai-je en détournant le regard.

   – Pourquoi mentir, Kay ? Pourquoi te mentir à toi-même ? Aux autres ?

   – Parce que c’est mieux ainsi.

   – Et te mettre en danger de la sorte, c’est mieux ? renchérit-il sur un ton réprobateur. Qu’est-ce que tu cherches en te grimant ainsi ? En venant te frotter à Andrew Van Hood ? À quel jeu joues-tu ?

   – Un jeu dangereux, manifestement.

   – Alors cesse. Arrête tant qu’il en est encore temps.

   – Je ne peux pas.

   – Pourquoi ? objecta-t-il presque furieux.

  Je laissai un silence s’installer. Une pause, pour réfléchir. Je sentais cette déchirure en moi, cette plaie béante qu’avait laissée mon frère en partant loin de nous pendant presque trois ans. Je me souvenais de ses mots, et de l’homme qu’il était devenu à des kilomètres de nous. Cet homme torturé par ses craintes, par quelque chose dont lui seul avait connaissance. La guerre lui avait légué un fardeau que je m’efforçais de connaître, mais qui ne cessait de m’échapper, encore et encore. Ma seule piste m’amenait droit vers VANHOOD Industries. Il y en avait d’autre, comme Peter, et il y en aurait d’autres, j’en étais absolument convaincue. Andrew devait arrêter ses expériences. L’avenir du monde était entre les mains de ceux qui le façonnent chaque jour et non entre celles d’un seul et même homme.

   – Parce que c’est ma seule chance de découvrir ce qu’Elias me cache depuis qu’il a répondu à cette satanée annonce. Je savais au fond de moi, qu’il ne serait plus le même. Jour et nuit, j’ai prié pour qu’il échoue à ce test, mais il l’a réussi. Il est parti pendant deux ans. Deux longues années, où je me suis demandée s’il était encore vivant. Pendant ces vingt-quatre mois, je n’ai reçu aucune lettre, aucune photo. Juste une somme d’argent sur mon compte, comme unique preuve de sa survie. J’ai vu ma mère fébrile, tentant de combattre cette foutue maladie avec cette inquiétude qui la rongeait un peu plus chaque jour. Je l’ai entendu pleurer toutes les nuits. J’ai senti cette culpabilité me torturait chaque seconde, chaque minute, chaque heure, sans me laissait un répit. Même si je me devais d’être forte pour mes parents, je n’ai jamais cessé de penser que tout était de ma faute. Alors qu’en vérité, l’unique coupable était Andrew Van Hood. S’il n’avait pas proposé cette bourse, ce test, jamais nous ne serions ici. Jamais nous n’aurions connu toute cette souffrance. Jamais cette peur ne nous aurait tourmentée. Alors, même si ce jeu est dangereux, je ferais tout ce qui a en mon pouvoir pour faire tomber Andrew Van Hood. Je m’assurerais que plus aucun ne connaisse tout ce qu’il nous a fait endurer.

   – Et si Charlie t’en empêche ?

   – Je ne le laisserai pas faire. Je ne laisserai personne m’empêcher de faire ce qui me semble juste. S’il se met en travers de ma route, il en paiera le prix, comme son père.

   – Je comprends ce que tu ressens, Kaylah. Mais laisse-moi te prévenir que tu ne sais absolument pas à qui tu as affaire. Andrew Van Hood, de ce que j’en sais, a des amis très hauts placés, capable de te faire disparaître en un claquement de doigt avant même que tu puisses révéler quoique ce soit.

   – Je serais prudente.

   – Je l’espère, car je ne laisserai personne toucher un seul cheveu de ta petite tête, et je pense que je ne serais pas le seul.  

  – Ceci est mon combat. Je t’interdis de t’en mêler, ni même d’en parler à Elias.

  – Ça sera à moi d’en décider, rétorqua-t-il en poussant la portière.

  – Anton ! m’écriai-je sentant un vent de panique s’emparer de tout mon être.

  – Je ne dirais rien à ton frère, tu as ma parole. Mais garde en tête, qu’il est malin et qu’un jour ou l’autre, il finira par apprendre la vérité.

  – Alors espérons que ce soit le plus tard possible, grommelai-je avant qu’Anton ne claque la portière.

  Je filai dans les rues quasi-désertes de Boston, jusqu’à rejoindre mon appartement. Ma décision était prise. J’étais déterminée à ne pas laisser ma peur gagnait du terrain. Mon objectif était simple. Détruire VANHOOD Industries. Empêcher Andrew d’accomplir le moindre de ces projets, et même si cela signifiait affronter Charlie dans le même temps. J’enlevai les couches de maquillages qui dissimulaient mon visage avant d’ôter mon masque pour retrouver la véritable Kaylah. Dans ses yeux émeraude luisait la flamme d’une détermination sans faille. J’entendais la voix de ma raison m’ordonnait dans un murmure d’agir avec prudence, me rappelant la menace de Noah. Noah. Son visage m’apparut alors dans le reflet de ce miroir. Je pouvais distinctement voir ses traits tantôt moqueurs, tantôt sérieux, ses grands yeux marron tranchant avec la pâleur de sa peau, ses cheveux bruns soigneusement ébouriffés. Doucement, la chaleur qu’il provoquait, montait en moi. Cette douce vague exquise qui enflammait ma peau, réveillant un désir charnel, de plus en plus virulent. Je voyais à nouveau nos deux corps, si proches, bercés par le rythme de la musique. Sa main dans le creux de mes reins, l’autre tenant fermement ma paume. Ma mémoire ravivant l’odeur musquée de son parfum. Je gagnais mon lit, un sourire béat devant ce ballet d’image qui venait apaiser mon cœur. Je me blottis dans mes draps, gagnant avec bonheur les bras de Morphée qui me promettaient une aventure impossible dans le royaume des songes.

   Il me fallut un temps pour discerner ce qui était réel et ce qui ne l’était pas. J’ouvris à moitié les yeux, découvrant avec déception que j’étais bel et bien seule dans ce grand lit. Le bruit de coups violents retentit à nouveau, me prouvant que tout ceci était bien vrai. Ma main tâtonna la surface lisse de ma table de chevet avant de saisir dans l’obscurité mon téléphone. La lumière aveuglante me sauta au visage avec virulence. Au bout de quelques secondes, ma vue me révéla l’heure à laquelle on venait de m’extirper de mes rêves. Trois heures quarante-deux. L’individu devant ma porte d’entrée était visiblement sur le point de défoncer ma porte. Ne désirant pas voir cet inconnu surgir dans mon salon, je m’extirpai avec lenteur de mon lit, enfilant au passage une robe de nuit. La salve qui menaçait la robustesse de ma porte se fit de plus en plus pressante et violente. Je dus hurler que j’arrivais pour qu’elle cesse enfin. Arrivée devant celle-ci, je glissai mon œil dans le judas pour constater que l’unique responsable de ce réveil brutal était mon frère. J’ouvris, sentant ma raison se mettre en alerte, pendant que ma conscience se cachait bien dans les profondeurs de mon âme.

   – Mais ça ne va pas la tête de taper comme ça à quatre heures du mat, dis-je sur un ton que j’aurais pensé plus vigoureux, mais qui ne fus finalement qu’une gémissante complainte.

 Elias n’en eut que faire, passant devant moi, comme si je n’existais pas. Il était furieux. Sa crinière brune était décoiffée, ses yeux bruns injectés de sang et son corps tremblant de rage. Les muscles sous son T-shirt sombre étaient tendus. À tel point, que je me demandais s’ils n’allaient pas transpercer sa peau.  

   – On peut savoir ce qui t’a pris ?! vociféra-t-il, se figeant à quelques mètres de moi, un regard assassin se plantant dans le mien, un peu perdu.

   – Comme je te l’ai dit Elias…il est presque quatre heures du matin…soupirai-je, en prenant place sur le canapé pendant que ma raison tentait de trouver l’origine de sa colère.

   – Dis-moi simplement, que ce que je viens d’apprendre n’est pas vrai. Dis-moi que tout ceci n’est qu’un mensonge, articula-t-il la mâchoire crispée, ses mains m’implorant de lui donner ce qu’il souhaitait.

   – Si tu ne me dis rien, je ne peux pas te dire si c’est vrai ou non, dis-je en croisant les bras sous ma poitrine.

   – Est-ce que tu enquêtes sur Andrew Van Hood ? demanda-t-il en serrant sa mâchoire, à tel point que j’entendais presque ses dents grincer.

   – Quoi ? Répliquai-je sentant brusquement un courant électrique courir le long de mon échine, me redressant d’un seul coup devant lui.

   – Je sais que tu as emmené Anton à une soirée de VANHOOD Industries, tu
étais déguisée…te faisant passer pour une autre…et… Il ne faut pas avoir fait des études supérieures pour savoir ce qu’il se passe ! Mais simplement dis-moi que ce n’était qu’un stupide jeu…malsain ou que ce que l’on m’a dit n’est que pure invention.  

  – Non ! C’est la vérité, avouai-je défiante, plantant mon regard dans le sien.

  Elias se recula de trois pas. Blême. Le mouvement de sa tête indiquait qu’il refusait de croire ce que je venais de lui affirmer. Prise dans mon élan, sentant cette poussée d’adrénaline courir dans mes veines, il n’était plus possible de faire machine arrière.

   – Oui. C’est vrai. Depuis bientôt un mois, j’enquête sur VANHOOD Industries et plus particulièrement sur Andrew Van Hood. Oui, j’ai demandé à Anton de m’accompagner. Oui, j’étais déguisée pour êtreCharlotte Hawkwood. Oui, j’ai réussi à m’infiltrer dans le conseil d’administration. Et oui, je suis bien résolue à découvrir ce qu’il cache, affirmai-je devant son visage qui se décomposait à chacun de mes mots. 

   – Non, mais ce n’est pas vrai ! explosa-t-il dans un ténor furibond que je n’avais jusqu’alors jamais entendu. Qu’est-ce que j’ai fait pour avoir une sœur aussi stupide !!

   – Stupide ?! Vraiment ? Et on peut savoir pourquoi ? persiflai-je, en essayant de conserver une sérénité fragile.

   – Tu ne te rends tout simplement pas compte du danger que tu cours et que tu fais courir à d’autres. Anton ! Putain, il a fallu que tu entraînes Anton ! Tu imagines, si un d’eux l’avait reconnu ? Tu sais ce qui aurait pu se passer si Andrew t’avait reconnu.

   – Ce n’est pas le cas, que je sache !

   – Tu ne le connais pas Kaylah ! Tu ignores de quoi il est capable !! Tu ne sais pas à qui tu as affaire, siffla-t-il menaçant.

   – Alors dis-moi ! Dis-moi Elias, à qui j’ai affaire ?! Qu’est-ce qu’il cache ?!

   – Kaylah….ne me provoque pas…

   – Non, je n’arrêterai pas Elias ! Tu me reproches d’ignorer ce dont est capable Andrew sans me le dire. Alors vas-y ! Je t’écoute ! Puisque tu le connais si bien, dis-moi de quoi est-il capable ? Pourquoi aurait-il pu reconnaître Anton ? Que se serait-il passé, si cela avait été le cas ? Parle Elias ! PARLE-MOI ! PARLE ! m’écriai-je me rapprochant toujours un peu plus de lui, tandis qu’il reculait.

   – Arrête Kaylah…murmura-t-il, mais ce n’était pas suffisant.

   – Non tant que je ne connaîtrais pas la vérité, tant que je n’aurais pas découvert ce que tu me caches alors, je ne cesserai pas. Jamais. Sauf si tu changes d’avis ? demandai-je espérant secrètement qu’il se confesse.

   – Bien. Comme tu veux, dit-t-il sèchement en levant les mains en l’air. Fais ce que tu veux Kaylah. Après tout, tu es une grande fille, visiblement, tu es plus forte que tout le monde. Cependant, sache une chose, ce sera sans moi. No voy a ir a tu funeral,* articula-t-il à quelques centimètres de mon visage avant de prendre le chemin de la sortie.

   – Alors quoi, Elias ?! Tu m’abandonnes, encore une fois ? Tu préfères fuir plutôt que voir celle que je suis véritablement ?

   – Alors tu vas faire quoi ?! aboyais-je en me retournant vers lui. Tu vas fuir ?! Comme il y a cinq ans ? Tu vas m’abandonner encore une fois ? Parce que c’est tout ce que tu sais faire Elias…fuir. Soy mucho más fuerte de lo que crees.**

   – Tu as beau pensé être forte, face à lui, tu ne fais pas le poids, chuchota-t-il avant de claquer la porte.

    Furieuse, je hurlai ma rage, tout en frappant du pied le canapé qui se poussa de quelques centimètres. Une fois de plus, il me laissait là. Sans réponse. Face à silence abyssal. Refusant de croire en l’existence de celle que j’étais véritablement. Encore une fois, il me demandait de me taire, de tuer la vraie Kaylah. Seulement, cette fois-ci, j’étais déterminée à ne pas me laisser faire. J’allais lui prouver qu’il avait tort. J’étais prête à lui montrer celle que j’étais véritablement. J’allais avoir la peau d’Andrew Van Hood.

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* ” Je n’assisterai pas à tes funérailles.”

** “Je suis bien plus forte que tu le penses”

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