Oyez, oyez ! Gentes dame et doux sires, damoiseaux et damoiselles ! je viens ici porter une nouvelle qui ravira plus d’une oreille: La Bruyère est entré à l’Académie française ! Point pour faire ripaille, ou pour jeter le gant, mais s’instruire auprès de grands savants. C’est donc sous le masque de la plus belle jouvence qu’il franchit le seuil de l’institut de France. Derechef après avoir piétonné dans bibliothèque et coupole, tout en suçant la substantifique moelle de la connaissance, nous nous dirigeâmes vers la salle de la conférence. La menuaille enfin attablée, attendait avec ardeur l’arrivée de notre précepteur. M.Zinc apparu alors, seigneur courtois de bon aloi, et nous convia à odir l’histoire de la poésie amoureuse médiévale. Afin de saisir le concept de la poésie médiévale, notre ingénieux répétiteur a tout d’abord insisté sur les origines de celle-ci. La poésie médiévale porte en effet un héritage antique. Dans la littérature antique, l’amour est présent (Héroclite), mais il ne constitue pas un genre essentiel.Les deux grands genres étaient en effet selon Aristote l’épopée et la tragédie. Dans ces œuvres, les hommes éprouvent du désir érotique ( Achille, Ulysse), ou un certain attachement, (Ulysse, Hector).Les femmes sont quant à elles, toujours amoureuses ( Didon Médée)… L’amour est, selon l’Antiquité, réservé à leur genre.
Durant l’Antiquité, on considérait la poésie comme un “oracle”. Le poète était comme foudroyé par l’inspiration ( furos) grâce à une divinité qui la lui insuffle. Au Moyen-Age, la poésie est tout d’abord considérée comme inutile, car l’on a pas pas besoin de celle-ci pour communiquer avec Dieu. En effet, la communication avec celui-ci est assurée en prose. Par ailleurs la poésie était considérée comme un langage mensonger, qui contournait les vérités. La prose était par opposition considérée comme l’écriture qui disait le vrai ( prose=posum (ligne droite)). Enfin, l’Antiquité est considérée comme polythéiste, ce qui est très mal vu dans l’époque médiévale très chrétienne d’alors.
Il naît donc un tout nouveau genre de poésie qui contraste avec la poésie populaire au moyen-âge. Ces “chansons de femme”sont très souvent composées par des hommes. Cette poésie nouvelle donne naissance aux trouvères, c’est-à-dire “trouveurs” (troubadours). Le premier troubadour est un grand seigneur Guillaume IX. Malgré son immoralité et sa réputation de coureur de jupon ( des chansons à ses compagnons à chanter ” entre hommes”composées par celui-ci en témoignent), il compose des chansons sur des amours délicates avec quelque chose de presque adolescent, mêlant désir et respect. Pendant plus d’un siècle, des milliers de poèmes avec les mêmes caractéristiques et la même originalité sont écrits.
L’amour est pour l’homme l’expression de ce désir amoureux qui cherche son assouvissement, et donc, par extension, son extinction. Ainsi, l’on est en face à un paradoxe puisque le désir cherche sa propre mort.Il s’agit du concept de joy: un mélange de tourments,de stress, d’angoisse, et de joie dans la passion.
On remarque alors des conséquences sur la nature même de la poésie: celle-ci devient extrêmement élaborée, avec des schémas métriques très complexes qui ” cassent” “le plaisir de l’oreille”. La langue est volontairement obscure, il y a quelque chose de rêveur. C’est ce qu’on appelle le Trobar Clus.: c’est une recherche de quelque chose de pénible, qui “râpe” l’oreille dans la poésie car le sujet doit ressembler à ce que le poète exprime.
La poésie amoureuse s’est beaucoup appuyée sur les romans courtois, qui narrent des amours mêlant galanterie et bonnes manières dans le cadre de la cour, (invention de ce concept par Gaspard Pâris). Cela donne lieux à des poèmes d’un amour sublimé, respectueux de la dame. Le chevalier est le vassal de la dame, les comportements et les sentiments y sont très délicats. Cette représentation de l’amour est mise en récit notamment par Chrétiens de Troyes dans ses cinq romans. C’est ainsi que naît le concept de fin amor: il s’agit d’une dichotomie entre poésie grivoise et amour transi,genre très populaire au moyen-âge.
Par ailleurs, la poésie médiévale subit une grande influence chrétienne qui regardait d’un mauvais oeil la poésie considérée comme païenne.L’amour est finalement venu occuper de ce vide poétique afin de ne point ” fâcher” l’église. C’est ce qu’on pourrait appeler alors ” la religion” de l’amour.
Le christianisme oblige à repenser la poésie . Il faut essayer de ne pas renoncer à l’amour passion mais oublier l’amour charnel. ( Ainsi, plusieurs textes réfléchissent à l’amour comme Dante dans sa Divine Comédie qui procède à une réflexion sur la passion amoureuse, et Au nom de la rose qui abolit l’amour courtois en le justifiant par le seul besoin de la reproduction).
Chrétien de Troyes aborde le mariage comme un pacte que le chevalier ne doit pas briser. Il ne doit donc pas se disperser, et avoir le sens du devoir envers son épouse.
C’est ainsi qu’après avoir fait bonne chair de cet amas de garnitures intellectuelles que les jouvenceaux et jouvencelles du lycée La Bruyère firent lumière sur les mystères poétiques médiévaux.
Nous remercions donc chaleureusement les membres et le personnel des académies pour l’accueil bienveillant dont nous avons bénéficié. Merci également à Michel Zink pour sa bienveillance et sa patience lorsque nous avons posé nos questions ainsi que pour la conférence qui fut très instructive pour nous tous.