Journal d’un COVID ordinaire (en cours)

Entre fantasmes et réalités, le coronavirus a beaucoup fait parler de lui. J’ai longtemps cru à tort que quand on l’attrapait, c’était hôpital ou pas de symptômes. Loin s’en faut. Voici donc en toute humilité le déroulement de mon COVID, ou devrais-je dire notre, puisqu’il s’est installé dans notre foyer.

Jour 0 ? Mercredi – avant la tempête

Un jour de semaine ordinaire dans le contexte actuel. Partir le matin avec nos masques, métro, boulot comme à l’accoutumée. Aucun indice ne laisse présager de la suite. Ma femme est en déplacement professionnel pour la journée. La moitié de mon équipe a déjà été renvoyée chez elle, chacun avec sa propre suspicion de “cas contact”. C’est dans un open space presque vide que je traverse cette journée.

De retour à la maison, ma femme est bien enrhumée. Son nez coule, elle tousse beaucoup. Bon on se dit que c’est la saison, et qu’on n’a pas pris de risques, donc pas de raison particulière de s’inquiéter. D’autant que les symptômes sont légers.

Jour 1 Jeudi – le cas contact

Une autre journée ordinaire dans mon open space vide. Nous avons des règles assez draconiennes de distanciation, pas plus d’un bureau sur deux, flux contrôlé à la cafétéria pour maintenir les distances, gel hydroalcoolique disponible absolument partout, je me dis que ça va bien se passer. Un coup de téléphone de ma femme à nouveau en déplacement pour la journée, qui m’annonce d’une voix bien enrhumée 

– [amie] a été testée positive au COVID

Elles ont brunché ensemble le dimanche précédent. Symptômes ou pas, la procédure c’est de signaler à nos entreprises respectives ce cas contact. Et là se révèlent toutes les différences de traitement auxquelles peuvent faire face les personnes concernées.

Dès mon signalement, mon employeur me demande de prendre tout ce qu’il faut, et me renvoie en télétravail jusqu’à présentation d’un test négatif. De son côté à elle, l’employeur ne veut rien entendre -à noter que son quotidien est tout à fait compatible avec le télétravail-. Comme les symptômes du cas contact sont apparus dans la mauvaise fenêtre de tir, la sécu ne la considère pas officiellement comme “cas contact”. Ma femme doit donc continuer à venir travailler jusqu’à preuve qu’elle soit porteuse.

Jour 2 Vendredi – Inégalité

Je suis donc en télétravail de mon côté, complètement asymptomatique, ma journée se déroule normalement, tout mon entourage comprend la situation, et je suis content de me dire que nous faisons ce qu’il faut pour protéger un maximum de gens.

Mon épouse, elle, est en revanche contrainte de prendre les transports et se rendre à son bureau. Toujours bien enrhumée, les symptômes sont toutefois encore compatibles avec un simple coup de froid.

Jour 3 Samedi – La fièvre du samedi matin

Nous nous levons tous les deux avec la tête dans un étau. La fièvre vient de s’installer. Encore dans le déni, je me dis qu’il arrive quand même d’avoir un peu de fièvre avec un rhume ou une angine. Je mouche peu, mon nez est plutôt sec, donc ça ne colle pas vraiment. 

La journée finit par disparaître complètement dans le brouillard, impossible de se concentrer, ou de faire quoi que ce soit de productif. Beaucoup de sommeil et de paracétamol, ça finira bien par passer.

Jour 4 Dimanche – La fièvre s’installe

Rebelote le lendemain. Le mal de tête refuse de s’en aller. Nous toussons beaucoup tous les deux. Si nous avions croisé qui que ce soit ce jour là, j’avoue que je n’aurais pas été confiant. Le week-end complet vient d’être gâché par cette fièvre tenace. Température 38-38,5°, rien de particulièrement inquiétant, mais une douleur vraiment handicapante, avec des pics à chaque quinte de toux.

Aucun autre symptôme spécifique ne s’est encore manifesté à ce moment là. Ça pourrait être une “simple” grippe. Je pose tout de même un rendez vous dans un laboratoire pour un test COVID par acquis de conscience, on ne sait jamais.

Nous sommes restés isolés jusque là, donc pas de risque pour nos proches.

Jour 5 Lundi – La conscience professionnelle

Nous avons tous deux d’importantes échéances professionnelles, aussi ce lundi le travail continue comme d’ordinaire. Télétravail pour moi, présentiel pour ma femme.

Je passe la journée entre des conf calls qui me rappellent combien il est désagréable d’avoir un casque sur la tête avec de la fièvre et la sensation grandissante que quelque chose ne va décidément pas. Je vois dans le miroir de la salle de bains le pourtour de mes yeux cerné de rouge, semblables à ceux d’un lapin sous myxomatose. Ça y est j’accepte. Je suis malade. 

Ma femme assure comme une championne sa journée de travail, toujours contrainte de tenir la baraque, et s’effondre en rentrant. Le mal de tête persiste, elle prend la décision d’agir.

Jour 6 Mardi – La téléconsultation

En me levant difficilement mardi, la tête toujours dans un étau, je sais que je serai incapable de travailler ce jour là. Je prends mes dispositions, quelques coups de fil pour prévenir mon équipe et mes responsables et je retombe dans un sommeil peu réparateur. J’ai arrangé entre temps une téléconsultation avec mon médecin traitant pour le milieu de matinée.

Lorsque je parviens à me lever, la tête lourde, je titube jusqu’à la cuisine et entame machinalement mon petit déjeuner. Arrivé à la moitié de mes tartines, quelque chose me chiffonne. Ce que je mange n’a aucun goût. Alors certes je me souviens du gout que ça a, et mon cerveau a du compenser, mais objectivement ce qui est dans ma bouche n’a pas de gout.

Je farfouille pour trouver des fioles d’huiles essentielles que nous avons en stock, là pas de doute possible, les odeurs sont si fortes que je devrais les reconnaître. Rien. Je ne sens rien. C’est la première fois que ça m’arrive, et je commence à paniquer. La perte du goût et de l’odorat est symptôme répertorié du COVID.

Arrive la téléconsultation, ma praticienne est presque convaincue que j’ai attrapé le virus star du moment, et ma femme par extension aussi. Je suis arrêté pour une semaine, avec comme consignes “isolement, paracétamol et repos”. Le reste de la journée défile dans un demi sommeil vaseux devant la trilogie Star Trek, un truc où je n’ai pas trop besoin de réfléchir.

Ma femme a pu également décrocher une consultation ce jour là. La médecin est formelle, elle doit être arrêtée, et isolée en attendant un test. Elle en profite pour aller se faire tester dans la foulée le soir même, dans un centre public de notre ville.

Après trois jours d’alertes flagrantes, ma femme est enfin isolée de ses collègues.

Jour 7 Mercredi – Le test

Nouveau réveil la tête dans le seau. Mon test est ce matin. Tout le monde m’a raconté qu’on nous enfonce un écouvillon profondément dans le nez, que la douleur est forte, bla bla bla. J’arrive donc entre brouillard et effroi devant le labo, où attend déjà une vingtaine de personnes. Ils ont tous rendez-vous. Le labo a un peu de retard. Nous sommes donc dans la rue, dans un froid relatif, une vingtaine de personnes masquées sur le trottoir, et moi au milieu, très probablement porteur. Je fais le maximum pour garder les distances pendant une vingtaine de minutes, pas évident.

Arrive le test lui même. Mon nez est déjà tellement en feu que je ne sais pas à quoi m’attendre. Finalement la douleur est très supportable. Alors soit l’infirmière est super douée, soit l’écouvillon est top qualité, soit mon nez est déjà dans un sale état et je ne sens plus rien. Surement une combinaison des trois. En tout état de cause, le prélèvement est expédié en trois minutes, un passage du coton tige géant dans chaque narine et c’est plié.

Je fais ensuite un détour par la pharmacie récupérer du paracétamol, mon fix du moment. Je reçois de nombreux messages d’encouragement de mes collègues, et des instructions claires de mon entreprise, je me sens compris et soutenu. Mais pâte à tartiner, surimi ou banane ont le même goût, c’est à dire aucun, et c’est très frustrant.

Je me connecte rapidement à mon ordinateur professionnel pour transmettre quelques instructions et fichiers indispensables, prendre quelques nouvelles, et le referme avant de m’affaler sur le canapé.

Malgré l’arrêt maladie, le téléphone de mon épouse continue de chauffer. Fiévreuse, elle est contrainte de gérer les urgences de son entreprise sur la table du salon. Incapable de s’adapter au contexte, ou refusant de le faire, son employeur regarde avec suspicion cette absence imprévue. Lunaire.

Je commence à avoir des courbatures, mes membres tremblent. Une faiblesse insidieuse qui s’est accumulée depuis le début de la maladie. Et comme je mange peu, ça n’arrange rien.

Le soir, le résultat de mon épouse arrive vers 21h : positif.

Quelques minutes après, mon téléphone sonne, c’est le laboratoire : positif.

Entre fatalisme et soulagement, au moins, maintenant on sait. Le téléphone de mon épouse sonne, c’est l’équipe COVID de l’assurance maladie qui vient récupérer les informations de cas contact éventuels. Nous sommes tous les deux surpris de l’horaire, toutefois est bienvenu de voir que le problème est pris au sérieux. La personne au bout du fil demande si nous sommes dans la même pièce, et en profite pour nous auditionner tous les deux. Efficace par dessus le marché.

Jour 8 Jeudi – Accalmie

Je n’ai toujours aucun odorat, et pour être franc c’est ce qui m’inquiète le plus. La fièvre s’est calmée, j’ai enfin passé une nuit correcte. J’ai transmis la veille le résultat de mon test via notre plateforme dédiée, je reçois un appel des RH qui me donnent des instructions claires et rassurantes, et quelques encouragements bienvenus.

Du côté de ma femme, le résultat du test déclenche des réactions qui ne surprennent même plus. Elle entend dans un téléphone mal raccroché sa responsable tenter de raisonner son patron “Elle est pas cas contact, elle est testée positive !”. Incompréhension, ou déni complet de la situation. Toujours en arrêt maladie, les appels et le travail continuent de s’accumuler, elle gère des urgences sans soutien particulier. Son service est finalement envoyé en télétravail. Enfin.

Nous programmons tous les deux la téléconsultation de suivi après réception des résultats. Nos médecins traitants complètent quelques informations et précisent qu’ils sont disponibles pour répondre à toutes nos questions. 

Ma fièvre est tombée, seule subsiste la faiblesse. Mon épouse souffre elle toujours de maux de tête. Le paracétamol n’aidant pas de son côté, elle passe encore une journée difficile. Sensation étrange pour ma part, ma cage thoracique me brûle de tous les côtés, comme de toutes petites courbatures des muscles entourant les poumons. Mon t-shirt pourtant en coton très doux me donne des picotements, un peu comme la sensation de la laine brute sur la peau en plus marqué.

Nous donnons des nouvelles à nos proches, réglons quelques détails administratifs, et les interrogations de mes amis me conduisent à la rédaction de cet article qui se veut le plus proche possible de la réalité.

Jour 9 Vendredi – 9 jours plus tard

Ce matin nous commençons à remonter la pente. La nuit n’a pas été la plus reposante, notre sommeil reste agité. Mon épouse tousse encore. J’ai du mal à compenser la fatigue nerveuse de rester enfermer et peu bouger.

Les sensations de brûlure ont disparu, je suis juste encore un peu faible. Mes jambes tremblent très légèrement.

Deux semaines plus tard

Je commence à retrouver le goût depuis deux jours. Nous sommes tous les deux encore assez fatigués.