Chapitre 1

6 mins

    Lizt observait la forêt depuis les branches d’un arbre. Tout était calme. De temps en temps, il voyait un animal passer, ou en entendait le cri. Encore un peu. Le jeune homme blond attendait dans cet arbre depuis le matin : on l’avait envoyé exterminer un aféla qui avait été aperçu dans les environs. Depuis quelques temps, ces étranges créatures étaient repérées de plus en plus souvent près des villes, entraînant l’inquiétude parmi la population.
    Enfin, il trouva sa cible. L’aféla se tenait une vingtaine de mètres plus loin, et semblait errer sans but précis. Il tournait dans un sens, dans l’autre, se mettait à courir avant de s’arrêter net,… Lizt sauta sur un arbre proche, et continua de s’approcher en passant de branche en branche, avant d’arriver juste au-dessus de son objectif. Si de loin, la créature ressemblait à un petit animal à la fourrure sombre, de près, elle était impossible à décrire précisément. On aurait dit une sorte d’amalgame de plusieurs animaux de la région, et chaque détail semblait changer à l’instant où on se concentrait dessus. Sans un bruit, le chasseur sortit son arme, une petite dague décorée, puis sauta sur sa proie. Le combat qui s’ensuivit fut court : l’aféla blessé peinait à se défendre, et Lizt attaquait sans relâche, sapant peu à peu la vitalité de la bête jusqu’à son épuisement, moment auquel l’homme acheva sa cible d’un coup dans ce qu’il pensait être la tête. Il nettoya sa lame, puis repartit vers la ville.

    Gaerwyn, que l’on surnommait la grande capitale de l’Ouest, était la plus grande ville de la région. Un amas de briques et de pavés à l’organisation hasardeuse encerclant une colline sur laquelle se dressait un château ancien et délabré, tel un vieillard refusant de laisser sa place. Lizt se rendit sans hésiter dans une grande bâtisse au cœur du quartier Sud, qui servait de base à la milice de la ville. A peine eut-il le temps d’entrer qu’une voix l’interpella :
« Tu es enfin revenu, Lizt ! J’imagine que tu as réussi. »
Le garçon acquiesça légèrement de la tête.
« Bon travail, même si ça n’avait rien de compliqué. Installe-toi donc, ne reste pas debout comme ça. »
La salle était plutôt spacieuse. Plusieurs grandes tables étaient disposées au centre, avec assez de chaises pour accueillir les deux cent cinquante-huit membres de la milice, même s’il était rare que tout le monde soit là. Lizt se dirigea vers une table et s’assit silencieusement. L’homme qui lui parlait, un grand milicien du nom d’Assyl, s’approcha. Il portait l’armure de l’organisation, et avait laissé son casque sur une des tables. Son crâne chauve arborait une cicatrice qu’il présentait comme le souvenir d’une bataille épique où il massacra à lui seul plusieurs centaines d’afélas. En réalité, il l’avait reçue au cours d’une dispute avec son frère, un soir où ils étaient ivres. Il s’assit à côté de son confrère.
« Pourquoi t’éloignes-tu autant de moi ? On prend soin de toi pendant toutes ces années, et tu restes toujours aussi froid. On n’est pas assez bien pour toi ? C’est pour ça que tu ne daignes même pas nous adresser la parole ? »
Lizt le regarda d’un air éteint.
« Peut-être que tu ne rechignes pas à la tâche, mais ici, on en a tous assez de ton arrogance. Est-ce que c’est une manière de nous remercier pour notre bonté ? »
Pendant qu’il parlait, Assyl avait approché son visage de celui de son interlocuteur, jusqu’à pratiquement le toucher.
« Tu sais, ce côté distant ne me déplaît pas chez toi, repris-il sur un ton plus doux. Mais comment veux-tu t’entendre avec tout le monde si tu n’essaies pas d’être plus normal ? »
Au moment où il prononça ce dernier mot, il amena sa bouche au cou de Lizt, et commença à le mordiller. Ce dernier tenta de se retirer, mais fut retenu par son collègue.
« Calme-toi donc ! Il n’y a personne pour nous déranger. Tu nous dois bien quelques petits services, depuis le temps. Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te faire de mal tant que tu te tiens tranquille. »
Le jeune garçon sentit quelque chose d’humide remonter le long de son cou, atteindre sa bouche, puis tenter d’entrer à l’intérieur. En même temps, des mains essayaient de lui enlever ses vêtements. Le supplice fut toutefois rapidement interrompu par le bruit de la porte d’entrée, suivi de l’arrivée en trombe d’une jeune femme. Elle dévisagea rapidement Lizt, puis Assyl, qui faisait comme si rien ne s’était passé. Après avoir repris son souffle, elle tenta d’expliquer la situation, malgré son état de choc évident. Elle s’appelait Tishaya, et était venue demander l’aide de la milice pour éclaircir la mort de son père dont elle venait de trouver le corps. Saisissant l’opportunité, Assyl proposa Lizt, prétextant qu’il serait parfait pour la tâche.

    La maison du père de Tishaya était située près du flanc ouest de la colline. C’était un petit bâtiment relativement ancien, mais bien conservé. Une fois arrivés, la jeune femme expliqua la situation.
« J’étais venue lui rendre visite, comme toutes les semaines. Et quand je suis entrée, je l’ai vu par terre, couvert de sang. J’étais pétrifiée, et n’ai donc pas pu l’examiner en détail, mais il était encore parmi nous hier, j’en suis sûre ! S’il vous plaît, trouvez le coupable et faites-le payer ! »
Lizt fit un signe de la tête et franchit la porte. L’intérieur était relativement sombre. Le jeune homme explora les quelques pièces à la recherche d’éventuels indices, mais ne trouva rien qui sortait de l’ordinaire. Enfin, il atteignit la chambre, où le corps avait été découvert. Le père de Tishaya était recroquevillé au fond de la pièce, mais quelque chose n’allait pas. Elle l’avait trouvé le matin même, c’est ce qu’elle avait soutenu. Pourtant, au vu de son état de décomposition, il était impossible de s’y tromper. Le cadavre était ici depuis bien plus longtemps ! La jeune femme aurait-elle menti ? C’est alors qu’un déclic se fit dans la tête du jeune milicien : il se vit, enfant, déambulant dans sa maison au cours d’une journée plus sombre que les autres. Il criait encore et encore, sa peur grandissant à chaque seconde qui passait, mais personne ne lui avait jamais répondu. Il était seul, il l’avait toujours été et il le sera toujours.
    Lizt sortit de sa torpeur. Etait-ce vraiment ses souvenirs, ou une simple divagation de son esprit ? Tout était flou. Il prit quelques secondes pour se réhabituer à l’obscurité, puis s’approcha encore plus, examinant le corps minutieusement. Ce dernier avait sur l’avant-bras une sorte de creux qui capta l’attention du milicien qui regarda de plus près. Ce qui semblait être un creux était en réalité une cicatrice à la forme recourbée, un peu comme un croissant de lune qu’on aurait dessiné grossièrement. Une nouvelle vision assaillit Lizt. Un cadavre tout à fait semblable à celui-ci, identique jusqu’à la cicatrice. Un enfant sur le côté, complètement abattu. Un père et son enfant… Un pleur qui se mue peu à peu en cri viscéral, suivi par des bruits de course, la voix s’éteignant de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle ne devienne qu’un sifflement à peine perceptible. De la neige tombant mollement sur un sol glacial au cours d’une nuit sans étoiles. Le froid mordant, grandissant au point de recouvrir le monde entier, figeant tout sur son passage. Le froid qui pénètre au plus profond des os, progressant inéluctablement vers le cœur, et cause des dommages irréparables.
    Alors qu’il était encore sous le choc, Lizt sentit quelque chose lui percuter violemment le flanc. Reprenant de nouveau ses esprits, il put voir celui qui l’avait attaqué, le coupable de cette affaire ; il était difficile de distinguer les traits de l’assaillant dans l’obscurité de la pièce, mais on ne pouvait pas s’y tromper. Le mystérieux assassin était un aféla. Le jeune homme sortit son arme et tenta un assaut. La créature esquiva sans peine, puis riposta d’un coup de griffe visant la gorge de son adversaire. Ce dernier en profita pour saisir la chose et la clouer au sol, avant de lui porter le coup de grâce. L’aféla agonisa pendant un court instant puis s’évapora, laissant sa victime comme seule trace de son passage.
    Quand Lizt sortit du bâtiment, il fut accueilli par Tishaya, dont le visage trahissait l’inquiétude.
« Vous avez trouvé quelque chose ? » Elle remarqua son arme couverte de sang. « Vous vous êtes déjà occupé du tueur ? »
Le jeune homme hocha la tête, puis se tordit de douleur.
« Mais vous êtes blessé ! Laissez-moi voir ça… La plaie est superficielle, mais il vaut mieux s’en occuper tout de suite. »
Elle amena le milicien chez elle, et pansa sa blessure. Elle le laissa ensuite partir après lui avoir demandé de prendre du repos.

Alors qu’il rentrait, Lizt repensa aux événements qu’il venait de vivre. De toute sa vie, il n’avait jamais entendu parler d’un aféla qui aurait réussi à entrer dans l’enceinte de la ville. Malgré leurs penchants agressifs, ils ne s’étaient jamais attaqués aux peuplements humains. Quelle était donc la signification de cet incident ?

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