Azilis s’arrêta devant la porte d’entrée. Elle entendait déjà les paroles incessantes de sa sœur à travers le bois et elle n’avait pas envie d’entrer. Kelia trouvera certainement beaucoup de choses à lui reprocher et la jeune fille n’avait pas envie de se battre avec sa mère. De plus la scène à laquelle elles avaient assisté dans la forêt tournait en boucle dans sa tête. Pourquoi les Faés voulait soudainement mettre en pièces les Nephilys, alors que des négociations de paix étaient en cours depuis plusieurs semaines ? Elle voulait des réponses, et avec ou sans aide, elle les trouverait.
La jeune fille pris une profonde inspiration et poussa doucement la porte qui s’ouvrit dans un léger grincement. La maison semblait calme, le feu était presque éteint dans l’âtre de la pièce centrale et une forte odeur de plantes médicinales régnait dans l’air. Devant, l’étroit couloir qui débouchait sur trois portes était vide. Astrée semblait s’être tut car Azilis entendait à présent le chuintement de l’eau bouillante qui venait de la cuisine. La jeune fille s’avança doucement vers le fond du couloir et s’arrêta dans l’embrasure de la porte. une femme d’une trentaine d’années était occupée à préparer le repas, vêtue d’une robe brune, ses cheveux retenus en une tresse délicate. A ses côtés, Astrée était assise à la table carrée et demeurait silencieuse devant un gobelet de bois remplit d’un liquide noir.
Kelia se retourna vers Azilis, un sourire crispé aux lèvres.
« Peux-tu m’expliquer jeune fille, ce qu’il vient de se passer ? »
L’intéressée baissa les yeux sur sa cadette qui ne bougeait toujours pas.
« Astrée ne t’a pas raconté ?
– Si bien sûr, mais elle était dans un tel état que je n’ai rien suivi. Je lui ai donné un mélange de Tym ’i pour qu’elle se calme.
– Ce n’est pas dangereux ? Je veux dire, elle a l’air en transe…
-C’est le cas. Maintenant cesse de changer de sujet Azilis. Dis-moi tout. »
A contre-cœur, la jeune fille raconta la scène, depuis la crique où elle avait senti un bouleversement magique jusqu’à l’arrivée dans le village. Elle omit plusieurs détails comme le fait qu’elle avait laissé sa cadette en arrière pour rejoindre les chevaux, mais aussi sa piètre expérience avec les cailloux qui avait vraisemblablement manqué de les faire tuer. Pendant qu’elle parlait, Kelia s’était remise à préparer le repas et remuait à présent des plantes dans le chaudron d’eau bouillante. Quand Azilis eut fini, un lourd silence s’installa dans la cuisine. La mère de famille se retourna pour faire face à ses deux filles et sourit, soulagée.
« Au moins la Prêtresse vous garde, vous êtes encore en vie. »
A ces mots, la jeune fille eut une étrange impression, comme si son pendentif s’agitait intérieurement. Elle le prit dans sa main et aussitôt son sentiment s’estompa. Azilis resta perplexe mais se désintéressa rapidement du collier pour poser son regard sur sa sœur, qui semblait reprendre doucement ses esprits.
Les deux filles s’installèrent pour manger, et le repas débuta dans le plus grand des calmes. Kelia souriait mais elle semblait soucieuse, tandis qu’Astrée fixait le fond de son assiette avec une mine affreuse. Azilis s’efforçait de manger la mixture de plantes avec un air détaché, mais le malaise grandissait dans la pièce. Après quelques minutes, la jeune fille posa sèchement sa cuillère dans son écuelle.
« J’ai manqué un élément ? »
Kelia ferma les yeux un instant et soupira.
« Astrée ma belle, tu veux bien nous laisser discuter ? »
Cette dernière acquiesça mollement et prit son assiette, puis sortit de la cuisine pour aller s’enfermer dans sa chambre. Kelia faisait tourner nerveusement sa cuillère dans sa main et finit par relever la tête pour plonger son regard dans celui de la jeune fille.
« Astrée m’a fait part de ses préoccupations à propos de son père. Rivann … Il est parti rencontrer les chefs Faés avec d’autres médiateurs, il y a trois jours de cela. Il … Il n’est toujours pas revenu et cela inquiète beaucoup ta sœur. »
Azilis fixa la porte de chambre de sa cadette d’un regard lourd de reproches .
« Ma sœur ne m’en avait rien dit… Je croyais qu’il était parti à Venine en tant que médecin !
– C’est ce qu’il t’avait dit, en effet. Il pensait que s’il te disait la vérité sur ses intentions, tu tenterais de l’en empêcher. Il t’aime beaucoup Azilis… »
Cette dernière se tut pour digérer l’information. Son père adoptif était parti pour trouver un accord avec les Faés et cesser les hostilités, sans l’en informer et sans protection. De plus, il n’était toujours pas revenu alors que la ville Faés la plus proche était à peine à une demi-journée de marche. La jeune fille rejoua la scène du matin dans sa tête. Les Faés voulait attaquer les villages Nephilys pour, d’après les dire du mystérieux général, détruire le commerce médicinal entre Chasseurs de fées et Nephilys.
La jeune fille secoua la tête pour chasser ses sombres pensées et reporta son attention sur Kelia.
« Que penses-tu de la situation ? L’absence de Rivann ne t’inquiètes pas ? »
L’intéressée reposa sa cuillère sur la table en douceur et se força de paraître sereine et souriante.
« Ce n’est pas dans son habitude de disparaître sans donner de nouvelles, c’est vrai. Mais je suis certaine, qu’il reviendra dans peu de temps. Et je l’espère de toute mon âme, avec de bonnes nouvelles ! »
Dans ces paroles, Azilis sentit que le cœur n’y était pas et sa mère adoptive était bien plus anxieuse qu’elle ne voulait le montrer. La jeune fille se leva et entreprit de débarrasser son couvert. Elle plongea son assiette de céramique dans l’eau qui commençait à refroidir et elle répéta le geste avec sa cuillère et son gobelet, sous le regard peiné de Kelia.
« Je t’en prie Azilis, ne fais rien de stupide. »
L’intéressée serra les poings pour contenir la colère qui montait en elle.
« Pourquoi ne m’a-t-il rien dit ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Les Nephilys ne sont pas des guerriers ! Vous êtes des guérisseurs ! S’il m’avait demandé de l’aide, nous serions déjà rentrés. Sain et sauf.
– Azilis … Il ne voulait pas. Tu sais aussi bien que moi que la diplomatie est, disons … Disons que ce n’est pas ton point fort. S’il te plait, il va revenir. Et je suis sûre qu’il sera heureux de te voir à son retour. »
La jeune fille leva les yeux au ciel et, d’un air renfrogné, quitta la pièce pour se diriger vers la porte d’entrée. Elle marmonna des injures et poussa le battant de bois pour se retrouver sur la place centrale du village, sous le soleil de midi. L’agitation matinale avait laissé place à un calme irréel, ou résonnait les bruits de la forêt et de l’écurie. On pouvait entendre les chevaux qui mâchaient leur foin et renâclaient de bien-être, sous la chaleur ambiante. Même les animaux de basse-cour s’étaient tut et dormaient dans leur cabanes de fougères, au frais. Les arbres oscillaient lentement sous la brise et les oiseaux se répondaient de temps à autres, par de joyeux piaillements.
La jeune fille parcourut la cour du regard puis se mit en marche vers l’écurie où devait l’attendre son étalon. Le bâtiment était fait de pierres rougeâtres semblables à celles des maisons, et son toit de branchages tressés était recouvert de boue séchée, pour maintenir la fraîcheur dans son enceinte. Azilis s’approcha du porche qui faisait office d’entrée et, traversant la salle des harnachements, arriva dans la partie couverte où les destriers étaient attachés et soignés. L’ambiance était très calme. Les hommes en charge des chevaux étaient partis déjeuner, et seule la petite palefrenière que la jeune fille avait croisée plus tôt était encore présente. Elle soignait minutieusement les petites plaies d’Aalto à l’aide d’un cataplasme blanchâtre, et elle ne sembla pas s’apercevoir de la nouvelle venue.
Azilis siffla doucement pour signaler sa présence et s’approcha de son cheval. La petite fille se redressa vivement, et sourit à l’intention de la jeune fille.
« Je m’en suis occupée Misis. Comme vous me l’aviez demandé. Il va bien et il a mangé. »
Azilis remercia la palefrenière d’un signe de tête et caressa l’encolure de sa monture. Elle lui chuchota des mots doux, puis recula et se dirigea vers la vieille jument d’Astrée. Cette dernière semblait exténuée par l’effort qu’elle avait fourni le matin même et elle se reposait, les yeux fermés, la tête basse. La jeune fille se tourna vers la palefrenière qui semblait attendre quelque chose.
« Merci à toi petite. Va chez Kelia et dit lui que c’est moi qui t’envoie. Elle te donnera une récompense. »
La petite fille ne se fit pas prier et sortie de l’écurie en trombe, laissant Azilis seule avec les chevaux. Elle contourna les animaux qui somnolaient et retourna vers l’entrée du bâtiment, puis s’engagea dans la pièce où l’on stockait les harnachements. Le long du mur, les brides et les selles se succédaient, toutes semblables, tandis que seule la couleur du cuir variait selon sont usure. La jeune fille prit la bride de son cheval, s’assit par terre et entreprit de la nettoyer avec un vieux chiffon qui traînait là. La sensation du cuir sous ses doigts l’apaisait et ce depuis son plus jeune âge. Cela lui permettait aussi de réfléchir, laissant ses mains faire un travail qu’elles connaissaient bien, parcourant les lanières et attaches, pour retirer toutes les saletés qu’elles rencontraient.
Azilis repensa aux paroles du vieux faé. « Il est grand temps, mon cher ami, d’abolir le savoir-faire ancestral des Nephilys. … nous ne ferons aucun prisonnier » Pourquoi voulait-il détruire les Nephilys ? Cette espèce magique était la meilleure magie médicinale du continent, et les mages guérisseurs étant principalement basés dans la région Tyséique, ils se déplaçaient beaucoup pour répondre à la demande des populations en remèdes et conseils. C’était l’espèce la plus pacifique que la jeune fille connaissait. Et ils voulaient l’anéantir.
Un claquement sec retentit soudain et Azilis réalisa qu’elle venait de casser sa bride. Une lanière venait de rompre sous les frottements énergiques de la jeune fille, qui sans s’en rendre compte, avait passé sa colère et son inquiétude grandissante sur le cuir. Elle poussa un profond soupir d’exaspération et se leva mollement pour ranger le harnachement. Elle se promis de la réparer plus tard et tourna les talons pour quitter la pièce quand une sensation de chaleur la parcourut des pieds à la tête, manquant de la faire tomber.
La jeune fille s’immobilisa et respira bruyamment, cherchant à calmer les battements affolés de son cœur. Cette sensation, elle la connaissait bien. Elle ne pouvait signifier qu’une chose. La furie était revenue et elle allait enfin pouvoir réaliser son souhait. Alors que l’excitation la gagnait, Azilis sortie de l’écurie à toute vitesse et fonça vers la maison de Kelia.