Brielle.
Brielle n’avait pas souhaité assister aux excuses officielles d’Ismaël. Elle avait feinté un mal de ventre de dernière minute ce qui avait contrarié fortement sa mère. Elle arriverait avec du retard lui avait-elle promis. Mais la raison était tout autre. Du haut de ses sept années, Brielle était très mâture et avait pris conscience des méthodes malveillantes de sa mère. Elle avait entendu les gardes de la Reine parler des conditions de détention du jeune Ismaël et cela l’avait empêché de dormir deux nuits consécutives. Elle était très sensible comme son père et s’était promis d’être une reine aimante et à l’écoute du peuple de Terre. Le contraire de sa mère.
La propriété de la Reine était une demeure luxueuse et moderne mais de taille moyenne loin des modèles ancestraux qui sillonnaient la région occidentale jadis. La demeure était un cadeau de l’ensemble des souverains du Nord à la princesse nouvellement née, Téodora. Ceux- là voulaient se rassurer ainsi de leur alliance avec cette future Reine. La Reine du Nord était la première depuis que la prophétie s’était déclarée et les populations nordistes avaient mis beaucoup d’espoir en ce changement de gouvernance. Depuis la prophétie, le Nord avait perdu tout privilège et avec ça de sa superbe. Les populations étaient revenues à un mode de vie rural afin de subvenir à leurs besoins primaires. Le temps de l’abondance n’était qu’un vieux souvenir qu’on racontait dans les livres et une certaine rancune était née avec cette vie minimaliste. Ainsi ils espéraient retrouver avec Téodora une amélioration de leurs conditions économiques et sociales. Et leur vœu fut exaucé. La région avait bien prospéré depuis le règne de la Reine polonaise.
C’est dans cette même demeure que Brielle avait grandi ces sept dernières années et elle en connaissait chaque recoin. En descendant les escaliers pour se diriger vers la salle de réception où se tenait la cérémonie d’honneur en faveur d’Ismaël, elle vit un jeune garçon à l’allure élégante se diriger précipitamment vers la sortie. Elle ne savait pourquoi mais elle était totalement absorbée par cette silhouette et en oublia la dernière marche. Quand elle reprit ses esprits, elle se trouvait à califourchon sur le sol et en relevant la tête elle vit une main puis ce regard. Ce regard dont elle ne se remettra jamais.
Brielle n’avait jamais vu des yeux d’une telle beauté. Les yeux immenses du jeune garçon étaient d’un noir profond ce qui contrastait avec leur extrême brillance et leur donnait un air magique. Aussi, ils étaient entourés de cils très longs et tout aussi noir ce qui renforçait cet air féroce que le jeune garçon voulait se donner. Ils étaient aussi tristes et on n’y percevait aucun espoir et cela toucha tout de suite Brielle au plus profond de son âme. Elle avait mal de ce regard qui pénétrait son âme chaque seconde un peu plus et finit par baisser les yeux le temps de réfléchir à ce qu’elle allait faire… de préférence quelque chose d’intelligent qui pourrait plaire au jeune garçon. Elle se leva aussitôt acceptant sa main et lui demanda.
– Là tout de suite, qu’est ce qui te manque le plus ?
Aussitôt ces mots prononcés, elle se rendit compte du ridicule de la situation. Elle venait de se vautrer dans les escaliers et s’était retrouvée à quatre pattes. Dans cette position elle observa le garçon comme s’il détenait au fond de ses yeux le secret de la vie éternelle. Et la suite n’était pas mieux. Une fois levée, elle lui posa une question des plus intimes. Bien sûr, elle ne s’était pas présentée au jeune garçon pour avoir en retour son prénom. Même s’il était difficile de vivre dans l’anonymat quand on était l’héritière de la prophétie, il y avait tout de même des règles de savoir vivre à respecter. Qu’elle était sotte pensa-t-elle si fort qu’elle eût eu peur qu’il l’entende. Et en plus elle ne l’avait pas remercié de l’avoir aidé à se relever. Au moment où elle voulut corriger son manque de savoir vivre, il lui répondit :
– Le désert.
Sans réfléchir encore une fois, elle lui prit la main et l’emmena en courant vers une sortie du château qui donnait sur un petit bois. Et là, tel un génie qui exauce les souhaits, elle transforma de ses mains le paysage verdoyant en désert avec en bonus une tente de bédouin et un chameau. Ismaël n’en revenait pas. Il se déchaussa et enfonça ses pieds dans le sable chaud. Et là il souriait. Il lui souriait. C’était pour elle qu’il souriait.
Ismaël.
Sa capacité à faire semblant arrivait à ses limites et s’il ne sortait pas de suite il risquait de ne plus se contenir. Dès qu’il fut libéré par Emilio qui lui avait présenté au préalable les autres élus, il prit ses jambes à son cou comme s’il était poursuivi par le diable en personne. Il était épuisé d’avoir réalisé un tel effort et n’avait qu’une envie fuir. Il voulait même partir sur le champ. C’est là qu’il entendit un bruit derrière son dos qui venait des escaliers. Il se rapprocha aussitôt et découvrit une petite fille à quatre pattes. Elle venait sûrement de dévaler quelques marches. Instinctivement il tendit sa main pour l’aider à se relever. Sa mère lui avait appris à toujours proposer son aide face à quelqu’un en difficulté et davantage quand il s’agissait d’une dame ou d’une fille. Les princes arabes étaient des modèles de galanterie lui répétait-elle sans arrêt. Ses mots résonnaient dans sa tête si bien qu’il avait oublié que la seconde d’avant il cherchait à s’enfuir. Et puis la petite fille qui n’était pas si petite que ça tout compte fait leva les yeux vers lui et ils restèrent ainsi plusieurs secondes à s’observer. Un sentiment mitigé l’envahit : il ressentait une grande plénitude en présence de cette fille et cela lui était très agréable mais en même temps il sentait un lien entre eux qui l’abîmait et lui rappelait les pires moments de sa vie. Sa mère. Elle était si expressive avec ses grands yeux couleurs miel qui s’accordaient parfaitement à ses cheveux ondulés détachés jusqu’aux avant-bras. Elle portait une robe fluide couleur crème à la fois simple et précieuse qui réhaussait son teint doré. Elle était parfaitement belle se dit-il après cet examen visuel rapide. Il ne s’était jamais posé cette question au sujet d’une fille auparavant. Bizarre pensa-t-il. Et le plus bizarre était à venir. On dirait que la fille aux cheveux miels avait décidé de rester dans cette position et de ne pas accepter sa main tendue. Peut-être n’était-elle pas tombée et était-ce une façon de se prosterner pour prier un Dieu quelconque dans son pays. Malgré les sept pays qu’il avait traversés pendant sa fuite, Ismaël avait toujours été tenu éloigné des habitants de peur qu’on découvre sa véritable identité. Donc il ne connaissait pas grand-chose des autres civilisations. Heureusement, Emilio avait pris le temps de lui expliquer que la Reine s’entourait de personnes issues de différentes civilisations avec des coutumes et des traditions qui leur était propre et que justement, toujours selon Emilio, c’était intéressant de découvrir ces différences. Ok pensa-t-il alors je l’ai sûrement offusqué en débarquant pendant sa prière. Au moment où il allait se retirer discrètement, elle se redressa sa main dans sa main et lui posa une question très directe :
– Là tout de suite, qu’est ce qui te manque le plus ?
Elle était décidément très étrange cette fille. Après l’avoir dévisagé longuement, elle voulait qu’il lui révèle ses secrets les plus intimes alors qu’ils ne se connaissaient même pas. Sa tolérance face aux étrangers avait ses limites se rendit-il compte. Mais il n’arrivait pas à lui en vouloir, son visage était si enjoué à l’idée d’entendre sa réponse qu’il n’eut pas le courage de lui tourner le dos. Il réfléchit donc sérieusement à sa question. Il fallait répondre à la question sans que ce soit interprété ou révélateur d’une faiblesse de son passé. Se protéger avant tout. Il se rappela ainsi sa mère et sa nostalgie du désert d’Arabie qu’il n’avait jamais connu. Elle lui disait souvent que ce qui lui manquait le plus en Arabie ce n’étaient pas les repas somptueux qu’elle dégustait ou les robes élégantes qui sillonnaient ses appartements. Non, ce qui lui manquait le plus, c’était de sentir le sable chaud du désert sous ses pieds la nuit tombée. Ses pensées dépassant sa volonté de se défaire d’un passé, il répondit :
– Le désert.
Son regard s’illumina de mille feux. On aurait dit que ses deux mots prononcés étaient la clé d’un bonheur infini dont elle était l’heureuse gagnante. Elle attrapa sa main et l’entraîna vers un couloir, puis vers un autre et enfin une porte qui donnait sur un jardin sauvage. Et là elle lâcha sa main pour l’employer à rejoindre l’autre. Puis en quelques secondes à peine le bois et l’herbe qui tapissaient le jardin devint sable. A sa gauche une tente de type bédouine assez spacieuse se dessina et à côté un chameau. La pauvre bête avait l’air de débarquer tout comme lui dans ce décor impossible. Les larmes lui montaient aux yeux mais hors de question de pleurer. Non il allait profiter de tout ça avant que tout disparaisse. Il voulut ressentir ce qui manquait le plus à sa mère alors il se déchaussa en toute hâte et plongea ses pieds dans le sable. Tout y était, même la chaleur dans chacun des grains de sable et tout ça alors que le soleil se couchait. Elle avait réalisé le rêve de sa mère.
Il souriait. Il n’avait pas souri voilà des mois. Mais là il souriait grâce à elle et pour elle.
La magie du moment fut interrompue par l’arrivée de La Reine Téodora et avec elle son cortège d’invités. Les élus et les gardiens étaient là eux aussi.
– Brielle, qu’as-tu fait ? Gronda la reine
– Je voulais voir le désert d’Arabie maman répondit Brielle. Et vu que ce n’est pas possible dans l’immédiat alors j’ai fait venir le désert à nous. Elle continua en regardant cette fois-ci Ismaël : Je ne savais pas mais maintenant je sais. J’aime le désert.
Ismaël n’en revenait pas. Il venait de partager ce moment unique avec l’héritière de la prophétie qui était aussi la fille de la Reine. Cette réalité l’avait affaibli au point où il en tremblait. Pendant ce temps, la foule applaudit les exploits de Brielle et en première ligne les élus. Les garçons n’avaient jamais vu quelque chose d’aussi cool. Un désert au milieu d’une forêt en Pologne. Incroyable pouvait-on entendre de part et d’autre. Au milieu du brouhaha, Ismaël fut attiré par la conversation de deux jeunes élus qui avaient mentionné le nom de Brielle.
– Brielle est vraiment super. C’est la meilleure. Heureusement qu’elle est là. Admit le premier garçon.
L’autre garçon renchérit :
– Toi tu es amoureux d’elle c’est sûr.
– Qui ne le serait pas franchement répondit le premier tout en bousculant le second.
Il n’en fallut pas plus à Ismaël pour sentir le serpent de la jalousie s’enrouler autour de son cou. Finalement il allait renoncer à s’enfuir. Quand on fuit c’est qu’on a peur. Lui n’était pas un lâche. Et il avait un meilleur plan : conquérir Brielle.