La nuit au dehors mange le jardin et la forêt environnante. Quelques lueurs blafardes scintillent de ci-delà. Des petites lucioles un peu ivres.
La pièce n’est éclairée que par le rougeoiement des braises dans l’âtre et une faible lampe posée sur le guéridon dans l’angle.
Assise dans le sofa, les pieds posés sur la table basse, je guète son retour sans trop d’impatience. J’ai l’habitude de ses fugues.
J’écoute les bruits de la nuit. Le hululement de la chouette dans l’érable. Le pétillement des braises qui se consument lentement. Le coassement crispant du crapaud. Le chant du vent chaud dans les jeunes feuillages.
Des fenêtres entrouvertes souffle un air doux aux senteurs de renouveau.
Il est si imprévisible, mon homme. Je l’imagine dans la nuit, ses grandes foulées battant les sentes dans les bois du domaine. Déchargeant sa rage d’impuissance. « Il n’est pas la hauteur!». Ces paroles répétées maintes fois tel un mantra défaitiste. « Je ne suis pas à la hauteur ! ». Pourquoi ce manque de confiance en lui. S’il savait comme je l’aime, malgré lui, malgré moi.
Quand j’entendrai ses pas sur le gravier, je saurai qu’il aura tout déchargé et que tout reviendra dans l’ordre. Pour un temps seulement !
La pendule égraine les secondes ralenties par l’attente. Imperturbable aux mouvements du monde, le temps fait son chemin dans la nuit. Mon homme marche. J’attends à-demi assoupie. Le plaid sur les jambes. Le feu s’assoupit. Je devrais remettre une bûche. L’obscurité grandit dans la pièce à mesure que le rougeoiement de l’âtre rosit. Dans l’embrasure de la fenêtre, les étoiles s’allument une à une.
Un bruit dans les fourrés. Une agitation passagère. Suivi d’un long, très long silence. La chouette s’est tue. Le crapaud et le monde s’arrêtent de respirer.
Et soudain, les pas dans le gravier et la porte qui s’ouvre.
Un mouvement. Une main au chambranle. Pour le moment ce n’est qu’une main. L’homme à qui elle appartient ne se montre pas. Chargé de honte, de regret, comme à chaque fois.
La main d’un homme qui ne s’aime pas. Mais que j’aime tant.
Belle description de l’amour d’une femme soumise sans doute, un amour qu’on aimerait d’autrefois mais qui reste tellement actuel !
J’aime particulièrement la phrase « S’il savait comme je l’aime, malgré lui, malgré moi » :-))