Drôle de nom pour un drôle d’oiseau. Monsieur Desotroisu, la cinquantaine bedonnante, célibataire par défaut, petit fonctionnaire zélé accroché à son bureau depuis tant d’années dans les sous-sols improbables de l’hôtel des impôts de Pontivy, Monsieur Desotroisu y use son ennui.
Sa vie ? Le néant, une sorte de trou noir sans fond peuplé de ses phantasmes imbéciles. Une solitude trop lourde à porter, une existence machinalement déroulée. Monsieur rêve de longues distances, des pays exotiques bon marché, de vahinés dociles et de cocotiers.
Il doit s’en sortir, il veut s’en sortir. Il vieillit, son temps lui est compté.
Il s’est inscrit la semaine dernière à un stage de cuisine du terroir qui a lieu tout proche de chez lui, dans son quartier. Non pas qu’il soit passionné par le sujet culinaire, non, juste pour lui un moyen facile de probables rencontres. Monsieur rêve, mais n’est pas un aventurier.
La cuisine plutôt que le rugby ou toute autre activité. La cuisine et ses charmantes cuisinières, pulpeuses, généreuses à souhait. Le presque chauve sourit béatement à cette idée.
Le jour J est enfin arrivé. Monsieur Desotroisu est à l’heure, c’est d’ailleurs là sa principale qualité. Propre sur lui, unique mèche mourante bien peignée, il sonne, la porte s’ouvre. Il n’est vraiment pas déçu, elles sont six, six jolies gargotières, en comptant la maître stagiaire.
Présentation sommaire, poignée de main et bises de politesse échangées, il jubile, les observe, six créatures de rêve offertes à son pantagruélique appétit.
Au programme de la journée : Andouille de Vire sur canapé.
Il commence par une certaine Anémone, met les mains dans le plat et bientôt, ne tarde pas à y mettre les pieds et à tôt-fait se faire envoyer bouler par la fleur convoitée. Il faut dire que monsieur Desotroisu a le romantisme plutôt précipité, il ne fait pas vraiment dans les cinquante nuances de gris.
Que diable, le remballé persévère, s’essaie en vain auprès de Nicole et Georgette. Il est à la peine, mains baladeuses et front suant, les deux chattes teigneuses le renvoient aussi sec dans les cordes huileuses de sa crasse bêtise.
Lui reste les deux autres. L’ambiance s’est entre temps quelque peu refroidie, l’approche stratégique risque de s’avérer maintenant bien plus délicate. Une ultime arme : le calembour romantique, la plaisanterie façon Gérard de derrière le comptoir. Ne dit-on pas que femme qui rit est à moitié dans son lit ? Les blagues fusent, fadaises grossières et puantes qui n’ont pour effet immédiat que d’éloigner les deux dernières bergères.
Monsieur Desotroisu n’en peut plus, ne sait plus à quel sein se vouer. Il faut à tout prix se reconcentrer, il lui reste tout de même la maître stagiaire. Faire une pause, se calmer, en profiter pour peaufiner l’assaut final, dévoiler l’atout imparable, la carte qui fera de la maître sa fiancée. Il sort prendre l’air sur le palier, allume une cigarette, douces volutes grises qui éclaircissent ses noires pensées. Il se retourne. À droite de la porte d’entrée, une plaque en cuivre gravée que dans sa promptitude précipitation il avait oublié : amicale des lesbiennes gaies de Pontivy. C’était bien là sa triste chance, six gouines dans une cuisine. Décidément, le monde était bien trop mal fait.