À des années-lumière d’hier…

8 mins

      Cette journée du mois d’août deux-mille-cinquante de la Terre avait respecté la promesse de la veille. On l’avait argumentée en bien par le sourire de la météorologiste vedette de la chaine “TV 267”. Le bon maintien du moral des troupes réputées consommatrices oblige! À la différence que ceux-là-même qui les constituaient maintenant, étaient censés avoir enfin trouvé le moyen de ne plus se laisser tondre la laine sur le dos aussi facilement que ce connurent ceux du siècle précédent…

      Comme un rai annonciateur s’immisce sous une porte, l’info confiture s’était tout de même faufilée entre deux belles tranches de publicité. S’attachant à prévenir le bon peuple d’un exceptionnel dégagement du ciel, elles avaient été configurées pour être résolument incitatives à faire l’acquisition de tout un fatras de cosmétiques et d’objets, tous jugés quasiment à tort, pour être fort utiles à se protéger des UV qui entre autres rayons cancérigènes, ne manqueraient pas de vous éclabousser copieusement de la tête aux pieds si vous faisiez le choix, jugé téméraire en haut lieu, de passer outre l’avertissement qui se disait compétant…

L’or, en vous fiant à la vaine illusion de la possible échappatoire, que procurait à l’esprit ce qui restait de la couche d’ozone… Laquelle était sensée pouvoir vous protéger quelques heures seulement une fois franchi le bouclier protecteur de la ville…

    

     L’homme, qui pour l’occasion s’était chapeauté d’un vieux Panama, avait sobrement revêtu pour la circonstance un ensemble pantalon de toile et Saharienne. C’est ainsi qu’il réfléchissait en mâchouillant négligemment la tige d’un brin d’herbe sèche.
Parti de bon matin, il avait fait une halte casse-croûte dans une grotte qu’il connaissait bien. Cela lui avait procuré pour un temps un abri antiradiation de qualité suffisante. À présent qu’il l’avait quitté, il concentrait plus particulièrement sa pensée sur la vaine projection oasis d’une modeste grenouillère anaglyphe. Il devait s’agir d’un ancien lac devenu vasière et ne montrant plus guère qu’une grande nappe d’eau noire entourant un ilot bizarre.

Du fleuve qui autrefois l’alimentait, il ne subsistait guère qu’un modeste ruissellement sinuant entre des bancs de terre glaise. Lequel se montrait d’ailleurs, pour être de moins en moins muni d’une eau venant de sources dont le débit continuait de s’amenuiser en raison de la surexploitation non encore jugulée des nappes phréatiques. Lesquelles étant utilisées pour en tirer d’une part, l’oxygène alimentant l’air des villes, et d’autre part, pour extraire du sol surexploité ce qui pouvait encore s’obtenir de gaz de schistes.
Aux alentours immédiats de ses berges, des lianes qui seraient bientôt mourantes, étranglaient encore les fûts de grands saules aussi morts que des carcasses de bateaux échoués. Ces restes de plante ligneuse nous rappelant à l’image irrésistible de quelques garrots de pendus. Alors, pour ne plus les imaginer ainsi, l’homme porta son regard en amont, s’intéressant cette fois sans le vouloir, à un maigre troupeau de moutons dont le corps chétif sous une laine salement poisseuse, cherchait ce qu’il pouvait subsister de nourricier: quelques touffes d’herbe rare, que les ovins piétinaient nonchalants, au sein d’un vague enclos jouxtant une maisonnette.

   Trônant au faîte d’un toit d’ardoises grises, une cheminée constituée de briques rouges laissait s’échapper un mince filet de fumée ocrée qui semblait s’étouffer doucement de lui-même: se mêlant volontiers à des lambeaux de brume, dont l’apparence spectrale, s’annonçait par ce matin frais, avec le hululement lointain d’une chouette improbable… Relève annoncée du petit jour, qui, restant trop longtemps blafard, s’obtenait tant bien que mal par quelque soleil ne brillant guère mieux qu’un sou neuf qui serait pourtant perdu dans cette atmosphère produisant de temps à autre, des relents diaphanes pareils à des rais morts-vivants.

     À ses pieds survivaient rares, quelques arthropodes… l’homme s’employait à ne pas les écraser, respectant au mieux ce qui peuplait encore les biotopes… Car ils témoignaient à l’évidence, d’un reste d’activité organique… Traces de vies cellulaires noyautées, que des mitochondries opportunes adaptaient comme faire se peut à ce qui subsistait de la flore.

Estompés en quasi-permanence derrière le rideau plombé d’un ciel déjà redevenu triste et sans le moindre oiseau, les astres lointains avaient passablement disparu des mémoires. C’était comme si même les nues seraient bientôt absorbées par l’épais brouillard gris-jaune qui constituait à présent pour plus de dix pour cent, la plus basse couche de l’atmosphère terrestre. Au mieux, c’était la lune qui donnait parfois l’impression bizarre de rayonner davantage que la lumière directe du soleil ne le faisait de jour. L’astre froid semblait vouloir se rapprocher encore pour percer courageusement la noirceur considérable de nuits, au cours desquelles régnaient à présent les vespertilionidés et autres Molossidés qui, bien qu’ils fussent autrefois apparentés au diable, prenaient maintenant des allures d’anges. Tant leur présence pouvait encore laisser naître un vain espoir de réconciliation entre l’humanité prédatrice de la nature agonisante…

      La conquête de l’espace qui avait débuté au siècle d’avant s’était révélée un fiasco total par le fait conjugué que la constitution du corps humain lui interdisait de quitter son système solaire et que de toute manière, on n’avait rien trouvé qui soit capable de le propulser à une vitesse qui soit à la fois supportable et suffisante. Alors on avait dépensé sans compter pour rechercher, à l’aide de sondes, les traces d’une éventuelle civilisation extraterrestre en espérant non sans risque qu’elle disposât de la technologie qui faisait cruellement obstacle au rêve humain… En vain.

À présent que tout avenir était devenu gris sur la terre comme au ciel, c’était une pluie trop souvent acide qui faisait l’ultime tentative de féconder quand même le sol moribond. Retombée dénaturée, qui plus attendue par l’homme que par la complicité trop sollicitée de sa terre nourricière, faisait que l’eau devenue précieuse agonisait avant même de disparaitre, comme avalée par le caniveau désespérant du temps perdu…

      C’est un fait indéniable: la meute des prédateurs humains s’était donné des moyens qui se sont révélés encore plus efficaces que les guerres pour s’autodétruire! Et c’est ce ciel, décidément bien trop souvent sombre pour éclairer comme il faut ce qu’il a le plus eu à déplorer qu’à s’en être éploré, qui en témoigne.

     Soulignant la terre d’un horizon indéfinissable, l’aveu qui se voyait encore plus déchirant en hiver se montrait affligeant par le déversement avare d’un cru millésimé de neige fondante et sale. Le tout s’avérant par la vague liquéfaction d’une concrétion vaguement malodorante. Cette rare précipitation restait tout de même comparable à une soupe, certes élaborée entre ciel et terre, mais servie par des nuages depuis longtemps devenus bassement toxiques. Et puis il y avait cette température anarchique qui se la jouait du genre yoyo, escaladant ou sautant avec une certaine grandiloquence parmi les grilles affolées des météorologistes paniqués. d’autant que si elle se révélait pour être devenue totalement absurde, c’était aussi par sa délirante alternance de vents froids équatoriaux et de souffles tièdes venant des pôles!  Alors, c’était tout de même faire fi en vérité, que malgré tous ces basculements désaxés de la planète affolée: le début de la fin qui fut prédite en 2012, avait quelque raison d’être pris cette fois au sérieux, calendrier Aztèque périmé ou pas!

     Mais il s’entendait pourtant de paroles bien asservies: que l’ex état français se trouvait toujours en zone dite: tempérée!

Oh! Me direz-vous, l’empoisonnement prévisible de la planète avait été amorcé de longue date! Alors qu’il s’était vite avéré que des faits plus que galopins à leur début, se sont très rapidement transformés en désastres galopants qui faute d’entente réelle entre les nations, se sont montré non seulement irréversibles, mais carrément annonciateurs d’une incontournable série de marasmes inéluctables. Tant les intérêts d’une minorité de roitelets gaussiens plus cloches fêlées que raisonnantes, n’avaient eu longtemps de flux que dans l’accomplissement machiavélique de leurs funestes ambitions démesurées…

      Si l’on ne peut pénétrer sans rechigner parmi ce qui subsiste de la forêt, c’est peut-être qu’imaginer la verdure qu’elle magnifiait autrefois est devenu un acte de pensée nécessaire. Il restait toutefois un moyen d’entrer en elle autrement que virtuellement. À la condition d’être un tant soit peu perceptif à ses gémissements naturels, et donc capable d’écouter attentivement ses chuchotements plaintifs, quand ils peuvent s’entendre encore de la faune angoissée… Mais quant à espérer trouver ici ou là, sur le sol noir tapissé d’un vague restant de feuilles dévastées, quelques lichens hétérotrophes dévorant la pourriture, ou du moins, ce qu’il pouvait en subsister de profitable, d’organique: cela se révélait nettement plus simple que de chercher dans nos jardins la blanche rose de noël des hivers d’antan…

Ainsi la lente, mais inéluctable dégradation qui s’était activé depuis longtemps continuait de progresser. Plus rien ici ne subsistera bientôt de l’exubérance passée. Cette ère, dite de haute technologie, est entrée dans une phase qui s’est révélée hautement catastrophique pour la planète dont les forêts surexploitées n’ont pas été replantées, puisque l’on avait alors choisi de les remplacer par des cultures de céréales OGM, dont une partie était surtout destinée à l’élevage intensif et autres élaboration de bio-carburants.

     Il ne faisait aucun doute qu’en s’obnubilant siècle après siècle, la pensée humaine s’était aussi aveuglée à regarder le trompe-l’œil des campagnes de propagande. Lesquelles diffusant à tout va, inculquaient des idées qui s’admettaient de plus en plus uniformément. Le matérialisme et l’égocentrisme, s’étant taillé la part belle d’un comportement humain, au demeurant si néfaste, que même les actes sexuels sont devenus des gestes d’amour hygiénique. Les hommes, pour la plupart étant stériles, laissaient à d’autres le choix de servir, autant qu’à fournir, des banques de cryogénie génétique. Elles-mêmes étant affiliées à des cliniques employant de jeunes mères porteuses spécialisées dans la conception de bébés-éprouvette que pouvaient adopter les couples qui souvent étaient du même sexe, en respectant toutefois des quotas qui avaient été établis de manière à pouvoir limiter le peuplement des villes aseptisées.

On faisait comme on achèterait un animal fétiche ou un gadget, en regrettant mollement qu’un certain conformisme passif ait fini d’étrangler irrésistiblement ce qui conduisait autrefois à l’idée d’un partage réellement humanisé. Lequel étant alors plus sainement ouvert au retour d’anciennes tolérances qu’à certains des usages civiques devenus irrémédiablement obsolètes.

Indubitablement, puisque le résultat connut cette année-là un pic de négativité jamais atteint, il était montré pour l’exemple à des gens qui sans chercher plus loin approuvaient les directives nouvelles en applaudissant des deux mains l’occultation menteuse. Cela produisant des décisions gouvernementales qui étaient plus fatales aux peuples les unes que les autres, car aptes à les fourvoyer dans l’erreur qui se reconduisait de génération en génération, en même temps que l’inexorable déclin que connaissait la Terre.

     C’est ainsi que l’on avait pris l’habitude de vivre sans plus chercher à se donner bonne contenance. Sinon qu’à parquer tout ce qui nait encore de flore et de faune, dans des bulles jardins publics et zoologiques. Des sortes de cloches dont les parois imperméables  ne craignaient en rien les pluies acides, et sous lesquelles on réinventait,  sous protectorat artificiel, les paysages naturels d’autrefois. Alors qu’au-dehors, de soi-disant renégats vivotaient en irréductibles jardiniers vaguement écologistes, obligés depuis fort longtemps, de plastifier des tunnels sous lesquels croissaient péniblement des légumes maraichers dits « bio » qui se vendaient à prix d’or, par rapport à ceux industrialisés…

      Si la fêlure entre les deux sociétés (celle des opportunistes, et celle des désintéressés,) fut provoquée par la course au profit d’une partie de la race humaine peu courageuse, tandis que l’autre laborieuse, optait pour le conservatisme naturel: il faut avouer que bien qu’il soit suicidaire, le choix de liberté des derniers, considérés comme étant les ultimes survivants de l’ère d’avant, n’était pas plus mauvais que celui des peuples parqués sous cloche et encasernés comme des militaires, dans des tours faites de béton banché et de verre. Toutes étant alimentées en énergie par la géothermie terrestre. Cela leur offrant le confort feutré de « cases » d’habitation dont on s’extirpait rarement, non plus par des rues ouvertes et avenantes, mais par les circuits mécanisés des ascenseurs qui les déposaient sur des tapis piétons motorisés, dont beaucoup essentiellement souterrains, s’apparentent à ces tristes couloirs aux voûtes couvertes de céramiques blafardes, des lignes de métro, qui depuis longtemps avait cessé leur va-et-vient courageux pour cause d’air définitivement vicié.

     Chaque citadin ayant choisi de vivre dans ces nouvelles cités aseptisées était donc dépendant de la centrale de retraitement des déchets, et par-là, se trouvait astreint à vivre avec des gestes quotidiens consistants, entre autres pires, et sous peine d’exclusion de la communauté, à se prêter au cycle sempiternel du tri et de la collecte sélective, de la consignation/récupération de tout. Ceci incluant le retraitement recyclage et réemploi « ad viteam eaternam » de ce qui habille, mais aussi de ce qui nourrit! Toutes ces choses pour la plupart artificielles, transgéniques, ou même clonées, qui pourtant étaient devenues le lot quotidien des résidents peu enviables de ces villes champignonnières expérimentales, où tout se faisait en autarcie.

Ainsi, nul ne saurait dire si ceux-là, qui sont programmés pour “durer” une vie citadine de cent ans, sont plus ou moins heureux que les irréductibles ruraux qui eux, ne dépassent guère comme autrefois en moyenne, les quatre-vingt hivers, mais sont presque assurés de vivre humainement, car mieux conditionnés pour assumer au dehors une plus noble mission que celle de ces zombies robotisés des villes, et qui, tant que l’univers galactique produira des étoiles, se poursuivra, souhaitons le néanmoins: longtemps encore…

RHD

 

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2 Commentaires
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Équipe WikiPen
Administrateur
4 années il y a

Votre joli Pen a bien été ajouté au concours.

Équipe WikiPen
Administrateur
4 années il y a

Bonjour Robert-Henri,

Vous terminé à la seconde place du concours, félicitations pour votre Pen !

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