Mon nom est Victoria Lotry. C’est tout ce que vous avez à savoir sur moi. Mon physique n’est pas important, ce qui importe est qui je suis. Une personne à part entière, enfin, c’est ce que je pensais.
Je suis là, mettant un pas devant l’autre, sachant ma destination. Pas une seconde de retard, je marche vers mon appartement. Des inconnus me passent, me dépassent, tandis que j’avance. Un homme dans la quarantaine, habillé d’un veston cravate, tenant la main d’une jeune femme qui n’est clairement pas sa femme, elle n’a pas de bague, elle. La jeune femme porte une robe rose moulante, des talons hauts, un rouge à lèvres rouge sang, des boucles d’oreilles qui doivent valoir des milliers et une sacoche en forme de chien sur son épaule. Leur visage est à découvert, ils se dirigent vers le taxi avec des billets d’avion, ils sont insignifiants.
Beaucoup me diraient paranoïaque, mais je préfère dire que je suis sur mes gardes. Qui ne regarde pas derrière son épaule de temps en temps? Qui dans ce monde si imparfait ne garde pas un pistolet dans sa sacoche au cas où? La manière dont je me suis procuré cette arme n’est pas pertinente, le fait est que je n’hésiterai pas l’utiliser. Mon psychologue ne recommanderait probablement pas qu’une personne dans un état mental comme le mien ait accès à une arme à feu, mais je n’ai pas besoin de tout lui dire, je suis ma propre personne. C’est un secret entre nous.
Je me rapproche donc de mon chez-moi. Un sans-abri mendiant quelques cennes, une mère de famille avec ses deux enfants, une fille et un garçon, j’ai envie de courir, de m’enfuir. Pourtant, je ne presse pas le pas. Ils ne sont peut-être pas tous insignifiants, mais je ne peux pas marcher plus vite. Sinon, je vais arriver en avance et je dois toujours arriver pile à l’heure. Je mets donc ma main dans ma sacoche et je continue mon chemin en examinant tout le monde. Ils ne sont peut-être pas tous contre moi, mais si…
Je passe à côté de l’hôpital, un endroit particulier. La vie et la mort y coexistent en harmonie. Les proches pleurent la mort d’une personne qu’ils aiment, les docteurs se sentent coupables de ne pas les avoir sauvés et les victimes sont trop mortes pour s’en soucier. La porte d’entrée de mon bâtiment arrive enfin. J’inspire. J’expire. Mes yeux restent toutefois vifs. Je sors mes clés de mon sac à main, les insère dans la serrure et j’attends.
– Une seconde, deux secondes et trois secondes, je chuchote avant d’ouvrir la porte et de m’y engouffrer.
Je souris en découvrant que comme chaque jour, je suis seule dans l’entrée. Ma main qui tremblait dans ma sacoche se calme lorsque je traverse une seconde porte. Je ne crains pas d’aller à l’extérieur, j’ai peur de ce qui peut se passer en dehors de mon appartement. C’est totalement différent.
Un adolescent se tient devant l’ascenseur, je dois donc prendre les escaliers. Je ne sais pas vous, mais moi je traverse la rue quand je vois des adolescents se diriger vers moi. Enfin, quand n’importe qui se dirige vers moi maintenant que j’y pense. Peu importe.
Il semble insignifiant, mais sembler et être sont deux concepts totalement différents. Ma main se sert de nouveau sur la poignée de mon arme. Une casquette, des pantalons descendus plus bas que ses fesses, pourquoi ai-je peur de lui? Peut-être suis-je folle. Peut-être qu’on l’est tous un peu. On vit quand même dans un monde qui est lui-même fou, non? Qu’en penses-tu?
Je rentre donc dans la cage d’escalier, laissant ma peur et l’adolescent derrière moi.
– Une deux, une deux, une deux… je murmure à moi-même tandis que je monte les marches.
Personne ne me suit, je n’ai même pas besoin de me retourner pour le savoir. Pourtant, j’ai envie de le faire. Je dois me retenir. Ce qui est difficile, je l’avoue. Mon imagination est peut-être débordante, mais je peux voir un homme se rapprocher de moi silencieusement, un tissu rempli de chloroforme. J’essaie avec difficulté de remplacer le tissu dans mon esprit par un bouquet de fleurs, mais bon, un homme habillé de noir avec une cagoule se dirigeant vers moi avec des fleurs n’est pas mieux.
Quelques murmures plus tard, une autre porte se trouve devant moi. Je plaque mon oreille contre celle-ci et l’ouvre quand je remarque que le corridor est silencieux. Parfois dans la vie, il faut être imprudent et traverser une porte en ne sachant pas s’il y a des assassins muets de l’autre côté. À un moment, il faut bien que je vive.
Bien entendu, il n’y avait pas de ninjas aveugles qui m’attendaient de l’autre côté, le couloir est désert. La main dans ma sacoche, je souris.
J’arrive rapidement à ma porte, ma première clé déjà sortie de ma poche. Je l’insère en regardant à droite et à gauche. Elle tourne dans la serrure et je me chuchote à moi-même :
– Une.
Je me baisse, j’enlève mon soulier et j’y ramasse la clé qui y est dissimulée. Je l’insère dans la deuxième serrure et la tourne.
– Deux.
Finalement, je porte ma main à mes cheveux attachés et j’en sors la troisième. Une clé collée avec de la colle chaude à une barrette en métal. Rudimentaire, je l’avoue, mais efficace. Quoique personne n’a encore essayé de me la voler. On n’est jamais trop prudente.
– Trois.
Je referme la porte en une fraction de seconde après être entrée. Mes yeux se portent sur mon horloge dans le salon. L’aiguille des secondes tombe sur le douze. 18 heures pile, comme d’habitude.
– Déjà rentré? demande une voix provenant de la cuisine.
Je m’assure d’avoir verrouillé les trois loquets avant de répondre.
– Oui, comme toujours, je suis à l’heure.
– Je sais, je te taquine, répond-elle en riant.
J’actionne l’interrupteur et plonge dans cet appartement qui est mien. J’entends Lucia couper des légumes tandis que je longe cet autre corridor rempli de photos de mes voyages. Ma meilleure amie, ma confidente. Lucia ne m’avait pas quitté depuis l’accident. J’avais failli mourir, c’est donc compréhensible.
J’entre dans le salon où se trouve un divan beaucoup trop grand qui fait face à une minuscule télévision. Deux énormes bibliothèques l’encadrent. Pas besoin d’une grande télévision quand on passe ses soirées à lire. Lucia est à ma gauche, elle me sourit et je la souris en retour. Je l’aime bien.
– J’ai préparé le souper, as-tu faim? J’ai fait une soupe aux légumes.
– Pas pour une soupe que tu as préparée, ça, c’est sûr. J’ai failli m’étouffer la dernière fois, en mangeant une soupe. Je ne savais même pas que c’était possible.
Le sourire aux lèvres, je continue de plaisanter avec elle quelques minutes avant d’ouvrir le réfrigérateur et d’en sortir une pointe de pizza hawaïenne.
– Elle n’est même pas réchauffée! Et tu dis que c’est moi la bizarre?
Ne me jugez pas, j’avoue qu’aimer manger ses pizzas froides, surtout des hawaïennes, n’est pas habituel, mais j’aime le goût que l’ananas donne à la pizza. Je sais, certains vont dire que je trahis la pizza. Est-ce qu’on peut manger notre nourriture de la manière que l’on veut sans se faire juger et insulter? Ce n’est pas la fin du monde, non?
– Je n’ai jamais dit que je ne l’étais pas. C’est pourquoi on est parfait l’un pour l’autre.
Je ris, j’aime vraiment passer du temps avec elle. Son sourire est magnifique. Ses yeux brun si tendre, ses longs cheveux noirs…
Je m’écarte. Je prends une bouchée de ma pointe. C’est tellement bon.
– Tu diras ça à ton psychologue.
Lucia ne sourit plus, elle me regarde d’un regard que je ne comprends pas. Elle semble triste. Ce n’est pas ma faute s’il essaie de la faire disparaître de ma vie. C’est une des raisons pourquoi je ne l’aime pas, même si je sais qu’il a raison. Ils ont souvent tous raison. On ne veut juste pas les écouter.
Je me rapproche d’elle et l’étreins de toutes mes forces. Je sens ses larmes sur ma joue, je ne la lâche pas. Ses doigts s’enfoncent dans mon dos.
– Je ne pense pas que je vais venir le voir avec toi demain. Je ne pense pas que je vais être capable. J’attendrai sur les chaises.
– C’est parfait comme ça.
C’est compliqué, mais disons que mon psychologue et Lucia ne sont pas en bon terme. On ne peut pas être aimé par tout le monde. Il faut accepter qu’il y en ait qui vous détesteront toujours. Malheureusement pour Lucia, c’est mon psychologue.
Après un moment, elle retire ses bras et je la laisse s’asseoir dans le salon. Je finis rapidement ma pointe de pizza, je me lave les mains et vais la rejoindre. Un livre policier entre ses mains, les yeux de Lucia suivent les lignes remplies de mots. Je m’assois près d’elle et mes yeux se portent aussi sur la télévision.
– Tu sais que je t’aime Luce?
– Oui.
Elle pose sa tête sur mon épaule et je ne peux pas empêcher mon sourire de se montrer. Je suis heureuse.
La télévision s’allume, nous montrant un documentaire sur les requins. Je me tourne vers Lucia, puis vers la télécommande sur la table qui n’est pas à portée de main. Elle lève sa tête de mon épaule pour me dire :
– Elle n’est même pas branchée… On l’utilise jamais.