Chapitre 7 – Le réveil

L’eau est froide malgré la température de l’été, elle est incontrôlable, comme un parasite elle s’infiltre dans tous les orifices. Quand Samuel en avale la première fois, ce n’est pas trop douloureux et la fois d’après, il sent sa respiration s’accélérer et son corps s’épuiser. Lorsqu’il en inhale, ses forces s’envolent et un état de somnolence s’empare de lui. Sa tête se remplit de pensées et de visages; il voit son père, sa sœur, des connaissances et amis, une enfant qui danse et même sa mère. Son pouls faiblit, il ne ressent même plus la peur, il sombre dans l’ivresse.
Il se réveille d’un bond, son cerveau cogne contre les parois de sa tête et sa bouche est sèche. Il se sent déphasé, il regarde rapidement autour de lui, au premier abord il ne sait pas où il se trouve. Un lac immense s’étend devant lui, le soleil se couche à l’horizon et il est assis sur une herbe verte entourée par des arbres. Il essaie de remettre ses idées en place, il a l’impression de connaître cet endroit mais la fatigue prend le dessus. Il ne comprend pas ce qu’il fait, il réalise qu’il ne se souvient même pas de son nom, que se passe-t-il ?
Puis une image irradie devant ses yeux ; il voit un homme, dont un immense sourire fend son visage, tendre la main.
_ Viens Samuel, viens dans les bras de ton père !
Un petit garçon blond rigole à plein poumons et saute vers son père.
Tout va très vite, le père et son fils ont déjà disparu et les ténèbres du lac réapparaissent subitement. Dans la tête de Samuel, une douleur fulgurante le transperce comme une aiguille, le souvenir reprenant lentement sa place dans l’hippocampe.
Le jeune homme se lève péniblement, les jambes tremblantes et se demande s’il a fait une soirée trop arrosée hier soir. Bien que ça ne soit pas dans ses habitudes de boire à outrance, il se jure qu’on ne l’y reprendra plus jamais. Il cherche son téléphone portable dans les poches de son jean mais ne le trouve pas. Il emprunte lentement le sentier qui longe le lac et se trouve sur un parking désert. Un camping se révèle de l’autre côté de la route, il se souvient être déjà venu ici; il se revoit tenir la main de son père, marchant sur le chemin terreux, plus heureux que jamais. Ils allaient s’asseoir près des arbres et son père lui racontait des histoires sorties tout droit de son imagination : dragons, chevaliers, princesses, loups ou montgolfières, Samuel les adorait toutes.
Il marche vers le camping, il espère y trouver de l’aide car il voit du monde s’agiter autour du chalet de l’accueil. Il croit même entendre qu’une soirée bat son plein un peu plus loin dans les allées de tentes et de bungalow. Il rentre dans le chalet et se dirige vers la réceptionniste qui lui semble occupée car elle ne le remarque même pas.
_ Bonjour Madame, désolé de vous déranger. Est-ce qu’il serait possible d’utiliser votre téléphone ?
Elle n’a aucune réaction, elle ne lève même pas la tête vers lui. Il repose la même question en parlant un peu plus fort, mais toujours rien. Il est confus et immobile devant le comptoir; il essaie d’attirer son attention, elle ne réagit pas. Samuel commence à voir rouge, il a toujours eu du mal à garder son calme. Quand la porte s’ouvre derrière lui, la réceptionniste lève immédiatement la tête vers le client qui vient d’entrer pour lui dire bonjour.
_ C’est une blague ?! Vous avez plus de chance que moi, râle Samuel à l’attention de l’homme. Elle m’ignore depuis que je suis arrivé !
Rien. Lui non plus ne réagit pas. La frustration s’empare de lui à vitesse grand V, il se précipite vers la sortie en grognant quand un client choisi ce moment pour entrer. Samuel fait un mouvement rapide pour l’éviter mais trop tard. Pourtant, aucun choc, l’homme semble passer au travers du corps du jeune garçon.
_ Brrr, il commence à faire froid, dit-il pour lui même.
Samuel reste cloué sur place, que vient-t-il de se passer ? Il se retrouve plongé dans l’incompréhension la plus totale, ses jambes se dérobent sous le poids de son corps alors qu’il court au dehors du camping. Il se retrouve à genoux sur le trottoir et complètement désorienté, sa gorge et ses poumons lui font mal, il peine à respirer.
Une nouvelle vision défile devant ses yeux; il se souvient d’un cri qui lui glace le sang et de la peur qui l’envahit. Les gens qui rentrent au camping ne remarquent toujours pas sa présence, il a envie d’hurler mais rien ne sort de sa bouche. Ses milliers de sensations comblent son esprit : il se remémore la douleur, son corps qui s’engourdit puis l’abandon. Il se rappelle avoir pensé : « je n’y arrive plus, désolé ». Il voit le noir et le vide, il ressent une tornade emporter ses souvenirs. Il est recroquevillé sur le béton, il endure la mort.