Chapitre 11 : Le frangin
— Bon, c’est quoi l’adresse ? demanda Angus qui peinait à soutenir le sac le plus lourd.
— Heu… Redlac Street, répondit Taz en baissant les yeux sur le post-it toujours collé à sa veste.
— Redlac ? C’est où ça, Redlac ?
Angus s’arrêta, alors je fis de même. Notre bouffeur de chips nous observait sans un mot, trop occupé à mâcher. Et Mohan, le nez dans le sac qu’il avait lui-même dans les bras, cherchant à en deviner le contenu, n’avait même pas remarqué que le cortège s’était arrêté. Je sifflai et il se tourna enfin vers nous, extirpant du sac une bouteille de vin.
— Laisse ça, putain ! Olivia veut pas qu’on pioche là-dedans ! m’agaçai-je avant de reposer les yeux sur Taz. Et Redlac, ça existe même pas comme rue !
Olivia avait misé sur le mauvais cheval, de toute évidence. Voilà que j’endossais le rôle du plus responsable de la bande. Moment insolite à marquer d’un caillou blanc ! Je n’en revenais toujours pas qu’elle ait pu penser une seule seconde que Mohan serait le plus apte à sécuriser les achats de Madame Peterson. Grosse erreur de jugement de sa part. Heureusement pour elle et pour la vieille, j’avais bien l’intention de faire en sorte que la jolie brune soit fière de nous.
Je m’approchai de Taz en plissant les yeux pour déchiffrer le post-it, ayant des difficultés à lire de si petits mots à cette distance. Mes lèvres se tordirent dans une moue exaspérée.
— Calder ! Calder Street, andouille ! Tu l’as lu à l’envers !
De rage, j’arrachai le bout de papier et le fourrai dans ma poche avant de repartir dans la direction opposée, suivi de mes équipiers incompétents. J’espérais secrètement que nous serions capables de plus d’efficacité quand il s’agirait d’entreprendre la suite de notre plan. Voilà que je doutais. Mais je gardais mes inquiétudes pour moi, je voulais éviter de nous attirer la poisse ! Après tout, si on veut accomplir quelque chose, aussi difficile soit la tâche, il faut avant tout y croire !
Sans cesser de marcher, je regardai en arrière pour m’assurer que tout le monde suivait. J’étais pas peu fier de jouer au chef pour une fois, et je prenais la mission que je m’étais moi-même assignée, très au sérieux.
— Mais merde Mohan, laisse cette bouteille dans le sac ! pestai-je à nouveau contre le blond.
Avant même de reposer mon regard sur l’horizon, je me heurtai à un mur de plein fouet. Mon sac de provisions manqua de se renverser à cause de la collision. Les yeux rivés sur l’obstacle, je levai le nez pour découvrir que ce qui me faisait barrage n’était autre qu’un grand type sacrément balèse. Il me fixait de ses petits yeux perçants et grognait comme un buffle à chaque expiration.
— Heu… Salut Fred, lança Angus en déglutissant nerveusement avant de reculer prudemment de quelques pas. Harlem, c’est Fred, le frère de Ed.
Merde. Effectivement, le frangin n’avait pas la même carrure que son cadet. Difficile même d’imaginer que ces deux-là puissent avoir des gènes en commun. Le facteur serait passé par là, que ça ne m’étonnerait pas.
Fred ne m’accorda pas même une seconde pour me justifier, qu’il me bouscula brutalement. Son geste écrasa les courses de Madame Peterson contre ma poitrine et une brique de concentré de tomates m’éclata au visage tandis que je basculais en arrière, retombant lourdement sur le bitume. Bon sang, quelle violence ! Je me serais retrouvé au milieu d’une mêlée de rugbymen, que ça n’aurait pas été pire !
Les poings serrés, la respiration rauque, l’homme des cavernes s’avançait vers moi. Dans ses yeux, je lisais la ferme intention de m’écraser comme un vulgaire insecte. Deux options seulement s’offraient à moi. La première, m’enfuir en courant. La deuxième… Non, finalement, je n’avais qu’une seule et unique option. Je ne pouvais pas envisager de me lancer dans un combat perdu d’avance. J’y avais laissé suffisamment de chicots au cours de ma vie. Mon dentiste m’adorait, d’ailleurs. C’était en partie grâce à moi qu’il avait pu se payer un SUV flambant neuf.
Sans plus attendre, je balançai ma cargaison sur Fred et en profitai pour détaler comme un lapin. Si j’avais un avantage sur mon adversaire, c’était bien l’endurance. Avant qu’il ne parvienne à trainer sa lourde carcasse, je serais déjà loin. Inutile de me retourner pour savoir que les autres me suivaient, j’entendais leur course effrénée derrière moi.
Haletant et toussant comme un asthmatique qui aurait mis le nez dans un pot d’échappement, je m’arrêtai au détour d’une ruelle. Calder Street. On y était. Mes acolytes prirent eux aussi le temps de retrouver leur souffle. Entre notre amour du tabac et notre manque d’activité physique, nous n’étions plus aussi fringants qu’à nos vingt ans.
— Je te l’avais dit, que t’étais dans la merde.
— Oui Angus, t’avais raison, voilà ! m’agaçai-je en essayant de me débarrasser du coulis de tomates bon marché qui dégoulinait sur mon t-shirt.
— On a perdu une partie des courses de Madame Peterson, en plus… nous fit remarquer Mohan.
— Ouais ben désolé pour elle, mais j’ai dû improviser !
— Sinon, on en parle de leurs prénoms ? Fred et Ed ? Sérieusement ? demanda Taz qui avait perdu son paquet de chips dans sa fuite. Ils ont pas été super créatifs, les parents.
— C’est des diminutifs, espèce de crétin ! le rembarra Mohan.
Les épaules basses, tapotant du pied, j’attendais qu’ils aient terminé leur conversation futile.
— Bon, quand vous aurez fini de tailler l’bout d’gras, on pourra peut-être y aller, non ?! Avant que le yéti débarque !
Un coup d’œil sur les sonnettes, pour identifier celle de la mère de Lenny, me confirma que nous étions à la bonne adresse. J’appuyai trois ou quatre fois sur le bouton, anticipant une éventuelle défaillance de son audition. Je poussai la porte lorsqu’elle grésilla, annonçant le déverrouillage par l’interphone. Arrivés au troisième étage, je suffoquais encore. Déjà plus de quinze ans que mon toubib me sermonnait au sujet du tabac, et je commençais à sentir que mes poumons se fatiguaient.
La porte de l’appartement s’ouvrit et la vieille nous dévisagea en fronçant ses gros sourcils broussailleux. Les mains sur mes genoux, penché en avant, je respirais péniblement. Je me redressai en agitant la main pour saluer la dame aux cheveux hirsutes. J’avais un point de côté en plus.
— Les Crapules ? Qu’est-ce que vous foutez là ? nous lança la rombière de sa voix éraillée, clope au bec.
Comme la plupart des riverains, elle avait déjà entendu parlé de nous. Notre réputation nous précédait, indépendamment de notre volonté.
— Madame Peterson ? C’est… C’est Olivia qui… tentai-je de lui répondre entre deux expirations sifflantes. Elle nous a demandé… de vous apporter…
Je me tournai vers mes compères pour lui désigner les provisions du doigt, l’autre main sur mes côtes afin de soulager une douleur lancinante.
— Vos courses… crachai-je enfin.
Ils sont arrivés à bon port ! Il manque peut-être un peu de sauce tomate, mais quand même, ils ont réussi !
Je m’apprêtais à répondre à ton commentaire, mais je me suis rendu compte que j’allais spoiler, haha ! Alors je vais m’abstenir !
J’avais oublié de mentionner à quelle point l’image que tu as placé est à propos ! Difficile de trouver mieux !
Merci, c’est pas évident de trouver un gif approprié à chaque chapitre 😉