Les Crapules de la Cabane – Chapitre 21

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                                            Chapitre 21 : La chute

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Olivia se détacha de Mohan. Tous deux échangèrent un regard avant de poser les yeux sur moi. Je lisais de l’embarras sur leurs visages, mais pas seulement. Une forme de compassion gênante, aux allures de pitié. Le tout mêlé à un silence particulièrement lourd.

Je saisissais désormais tout le sens de certains détails qui m’avaient échappés jusque là. Je comprenais pourquoi Olivia s’était adressée à Mohan pour veiller sur les courses de Madame Peterson, pourquoi lui s’était insurgé quand j’avais voulu braquer l’épicerie où sa petite-amie travaillait. Tout devenait subitement clair.

— J’ai voulu t’en parler cent fois… marmonna Mohan en passant une main dans ses cheveux, nerveux.

— Ça fait beaucoup de fois. Pourtant t’as rien dit, répliquai-je d’un ton étrangement calme.

A nouveau le silence s’installa. Je ne parvenais pas à détourner le regard. Je les fixais, sans un mot. Je ne savais même pas ce que j’attendais d’eux. Une explication ? Une justification quelconque ? Des excuses ? Quoi que soit qui pourrait me paraître suffisamment rationnel pour que j’accepte la situation sans faire d’histoires ?

J’ignorais même ce que je ressentais, tant les émotions bouillonnaient en moi. Une violente collision de haine, de déception et de douleur. Olivia ne me devait rien, mais j’estimais que Mohan m’avait trahi. Nous étions amis, depuis toujours, alors je ne pouvais encaisser cette idylle secrète qu’ils entretenaient. Comment avait-il pu ? Tous connaissaient mon attachement particulier pour la jeune femme, et ce depuis l’adolescence. Voilà pourquoi j’aurais voulu être au courant. Voilà pourquoi personne ne m’avait rien dit.

— Ça fait combien de temps ? demandai-je enfin, brisant le mutisme ambiant.

— Quelques mois, répondit Olivia pour me ménager.

Quelques mois. Combien ? Deux, six, plus ? Je voulais savoir, mais je n’insistai pas, conscient que la réponse, quelle qu’elle soit, ne me plairait pas. Pendant tout ce temps, Mohan m’avait caché sa relation avec Olivia. Je ne savais pas comment encaisser une pareille nouvelle. J’étais complètement paumé, assailli de ressentiments. Je ne savais pas non plus ce qui me faisait le plus de peine. Qu’un de mes meilleurs amis m’ait caché la vérité, ou la vérité elle-même.

Les mots se bousculaient dans ma tête, fusant de toutes parts. J’avais envie de hurler, de leur balancer tout un tas d’insultes, d’insanités en tous genres, sans chercher à exprimer quoi que ce soit de cohérent. Mais je restai muet, incapable de sortir un mot de plus. Angus et Taz se sentaient de trop, je le percevais sans même les regarder. Ou alors ils étaient en proie à la culpabilité, complices de cette mascarade, coupables eux aussi de la souffrance qui m’accablait.

Les poings serrés, la gorge nouée par les sanglots que je ravalais, je m’approchai de Mohan calmement. Je plantai mon regard dans le sien, les yeux larmoyants malgré ma lutte pour contenir mon émotion. Sans prévenir, sans que je puisse moi-même l’anticiper, ni la contrôler, je laissai ma colère surgir du plus profond de mes entrailles, en collant mon poing dans sa figure. Juste une fois, juste un coup. Personne ne réagit, pas même Mohan qui se contenta d’appuyer sur sa lèvre blessée. J’aurais préféré le voir péter les plombs. J’aurais préféré qu’il riposte, que les choses dégénèrent une bonne fois, qu’on se tape dessus jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus. Mais rien. Toujours le silence, et des silhouettes de marbre. Je commençais à voir flou, les pulsations de mon cœur qui me taraudaient les tempes comme des percussions étouffées sur un tambour. Soudain, un son croustillant me fit grimacer. Taz était là, en train de manger de chips. Il s’interrompit lorsque tout le monde posa sur lui, un regard inquisiteur. Je ne l’avais même pas vu disparaître en cuisine, ni revenir avec son paquet de pétales salées.

— Désolé… commença-t-il. Tu sais bien que la violence, ça me rend nerveux.

Je frappai mes mains l’une contre l’autre, applaudissant Taz et son talent inné pour mettre les pieds dans le plat, mais aussi Mohan et Olivia pour leur performance réussie de cachotiers sans cœur. Blessé, je n’avais pas mieux à leur servir que quelques sarcasmes.

— Super. Vraiment, c’est super. Félicitations à vous deux ! J’espère que vous serez heureux et que vous pondrez toute une portée de mini vous. S’ils héritent de votre talent pour les entourloupes, vous pourrez même en faire des politiciens !

Très contrarié, un rictus profondément hypocrite collé sur le visage, je tapotai l’épaule de Mohan avec une agressivité non dissimulée.

— Vous allez faire quoi avec votre part, les amoureux ? Vous payer une grosse fiesta pour votre mariage ? Ou mettre un peu de thune de côté pour les futurs mouflets ?

Je n’arrivais plus à m’arrêter, persistant à jouer une tragicomédie qui ne faisait rire personne.

— Non, je sais ! Vous allez racheter la Cabane et virer Walter comme une vieille merde ! Ce serait parfait, vu que vous êtes doués pour poignarder les gens dans le dos.

— Personne ne t’a poignardé dans le dos, intervint Angus.

— Ah non ? feignis-je l’étonnement, en me tournant vers le barbu. Je sais pas comment t’appelles ça, toi. Mais tu dois avoir raison. C’est vrai que t’as toujours raison, Angus. Tu sais tout mieux que tout le monde.

— Je crois qu’on devrait en rester là pour aujourd’hui, et parler de tout ça plus tard, ajouta-t-il.

— La voix de la raison a encore parlé ! poursuivis-je.

— Ferme-la, putain ! gueula Mohan. Tu sais quoi ? J’laisse tomber. J’te cède même ma part. J’arrête tout.

— Moi aussi… soupira Angus.

Une nouvelle déception vint accabler mes épaules déjà bien chargées. Rassuré par une foi inébranlable, je me tournai alors vers Taz, convaincu qu’il resterait mon allié. Le dernier. Le seul sur qui je pouvais encore compter.

— Désolé, Harlem… lâcha-t-il dans un murmure, baissant les yeux.

Je hochai la tête, résigné, masquant tant bien que mal ma désillusion. Inutile de tergiverser, ou d’insister, je n’avais plus rien à espérer de ceux que je croyais mes amis. C’était douloureux, mais peut-être que c’était mieux ainsi. Je n’avais plus qu’à me débrouiller seul. Je n’avais pas besoin d’eux, après tout.

Sans plus d’esclandre, sans me retourner, je sortis de l’appartement . C’est moi qui les quittais, pourtant je me sentais abandonné. Je descendis les escaliers en m’accrochant à la rampe, l’autre main sur le cœur. J’avais la nausée. Une fois dehors, je m’arrêtai un instant pour contempler le ciel. Le soleil se couchait et il commençait à pleuvoir. Comme une entité vivante prise de compassion pour ma triste mine, la météo semblait s’accorder à ma détresse.

J’errais dans les rues sombres et humides, trempé jusqu’aux os. Je ne pouvais même pas me réjouir à l’idée d’empocher, à moi seul, toute la recette de notre petit trafic improvisé. Je ne parvenais pas non plus à éprouver une quelconque joie à mon prochain succès en tant que maître du crime. Tout ça n’avait plus d’importance, plus aucun sens. Maintenant qu’Olivia était hors de portée, qui me restait-il à impressionner ? Quelle motivation pouvais-je encore trouver pour poursuivre mon projet ?Je n’en voyais plus l’intérêt. L’argent facile, le pouvoir, tout ça me semblait si superficiel sans elle dans mes songes prémonitoires. C’était décidé, moi aussi je laissais tomber…

Pas un bruit dans les rues de notre petite bourgade à cette heure-ci. Pas âme qui vive dans les parages, par temps de pluie. J’aurais dû les entendre arriver. Pourtant, non. Mais je compris immédiatement, à la pression qui se fit sentir dans mon dos, ce qui était en train de se passer. Une main me saisit au col et me plaqua contre le mur. Je peinais à respirer, le coude de l’agresseur écrasant ma gorge avec force. Un objet métallique et froid s’appuya fermement sur mon visage. A la douleur qu’il provoquait, je devinais l’auréole qui marquerait ma peau après ce contact. Un cliquetis résonna jusque dans ma boîte crânienne, et je réalisai que j’avais un flingue collé sur la tempe. Les deux types qui nous avaient pourchassés. Ils étaient là, devant moi, à peine visibles dans la pénombre. Je fermai les yeux, et déglutis nerveusement, culpabilisant de mon manque de vigilance. Encore une fois, j’aurais dû les entendre arriver. J’aurais dû m’y attendre. J’aurais dû.

— Comme on s’retrouve, crapule.

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2 Commentaires
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O. DeJavel
1 année il y a

On dit souvent que la difficulté consiste à faire en sorte que ce qui arrive ne soit pas « n’importe quoi, qui arrive à n’importe qui. »

Et bien tu as réussi superbement cet objectif. Mettre un couteau sur la gorge d’un protagoniste, ça se voit tous les jours, mais cette fois, ce n’est pas seulement de "l’action", celui qui est menacé ce n’est pas seulement un "personnage", c’est Harlem, un jeune homme blessé par ses proches, un sous-doué qui souffre, qu’on a appris à aimer et à comprendre. Ton personnage a été suffisamment humanisé pour qu’on fasse Noooooonnnnn ! …quand il se fait mettre le couteau sur la gorge.
Magnifique !

Et cette phrase est parfaitement réussie : « Maintenant qu’Olivia était hors de portée, qui me restait-il à impressionner ? »

Voilà ! *crac* Harlem est un humain. Nous venons d’entrer dans sa peau !

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