La vie commence maintenant.

6 mins

Adultes.

Aujourd’hui, c’est à mon tour d’aller chercher le pain, la fameuse fougasse de chez Nunez, sortie du four de la meilleure boulangerie du coin. Mes parents l’aiment cuite juste ce qu’il faut, à peine dorée, un régal depuis que nous avons emménagé dans ce quartier, «Normandie» il s’appelle mon quartier. Dans ce lotissement, toutes les maisons se ressemblent, des maisons en briques de plain-pied ou avec étage. La notre est basique, et toutes les rues portent des noms de villes normandes, la mienne c’est la rue de Caen.

Il pleut à torrent ce jour-là, j’enfile mon imperméable, zippé jusqu’en haut du cou, et j’attrape un parapluie. J’adore la pluie, l’eau du ciel ça nettoie toutes les saletés. Mes sœurs se moquent de moi avant de partir, à l’idée de mon retour trempé comme une soupe. La boulangerie se trouve à deux pâtés de maison, sur l’avenue Jean Mermoz. Il est midi.

Sur le chemin il y a mon école, «c’est proche de tout» dit mon père, c’est pour ça qu’il a choisi de nous installer ici. Je fais à peine vingt mètres et je suis déjà trempé, mon parapluie s’avérant bien léger face aux trombes d’eau qui s’abattent sur moi. J’arrive prés de l’école de ma petite sœur, Chantelle, nous ne sommes pas dans la même école, moi je suis à Trianon et je ne sais pas trop pourquoi. Devant moi un panneau stop rouge et blanc, et la première et unique rue à traverser de tout le chemin. Je regarde à gauche, à droite, j’enclenche le pas, mais une camionnette blanche arrive, ralentit, et s’arrête à mon niveau, en face de moi. Le chauffeur descend la vitre, et me demande si je connais un bureau de tabac dans le coin. Je pense tout de suite au Sulky, celui en face de la boulangerie, où les bonbons, dont mes préférés, les «têtes de nègres», ont un arrière-goût de tabac froid. Je lui explique tant bien que mal la direction, mais il ne comprend pas, le ruissellement de la pluie claquant au sol couvre mes paroles. Je me rapproche un peu plus et lui répète, il fait mine qu’il n’entend toujours rien. Il me fait signe de l’accompagner, me demande où je vais, et dit qu’il me déposera par la même occasion, une aubaine avec ce temps de chien.

La croix de Jésus pendouille au rétroviseur, et le tableau de bord est jonché de choses et d’autres, une vieille écharpe, des stylos, des mouchoirs en papier froissés. Mon parapluie fermé dégouline à côté de mes pieds, je m’excuse, il me dit que ça n’est pas grave. Depuis toujours j’ai un très bon sens de l’orientation. A cinq ans, je suis rentré tout seul chez moi depuis le centre ville, un bon six kilomètres à pied. Atelier poterie au musée des beaux-arts, où ma mère donne de son temps bénévolement, en tant qu’animatrice d’activités de loisirs pour les enfants, le mercredi après-midi. Une dame me parle mal, me disant que ce que j’ai fait est nul. Ni une ni deux je me lève, pousse la porte du musée et rentre chez moi sans rien demander à personne. Tous les endroits clés pour retrouver ma route sont gravés dans ma mémoire, passer devant un immeuble de telle couleur, un magasin de chaussures, tourner juste après une affiche publicitaire, longer un parc, tout s’affiche en temps réel devant mes yeux, et mon corps suit. Après avoir alerté la police, mon père parti en catastrophe de son boulot, mes parents me retrouvent assis sur le trottoir devant le portail de la maison, encore bougon, et fier d’avoir réussi à rentrer tout seul.

Je vois bien qu’il ne prend pas la route que je lui indique. Il fait demi-tour en me disant qu’il doit aller voir un ami d’abord. Juste avant de s’arrêter au feu rouge, il pose sa main sur ma cuisse en me demandant si je fais du sport. Du foot je lui réponds, alors que je fais du judo depuis bien plus longtemps. Au même instant, un camion chargé de 2CV charleston grises et rouges bordeaux passe à notre hauteur. Vert. Il tourne à gauche sur un parking et arrête la camionnette. Je lui dis que je dois aller chercher le pain, que mes parents vont s’inquiéter si je suis en retard. Il n’y en a pas pour longtemps apparemment. La pluie a cessé de tomber.., je ne comprends pas ce qu’il se passe. Encore moins quand il me demande de baisser mon pantalon pour mettre mon zizi dans sa bouche. La sensation est bizarre, c’est tout chaud, je me demande ce qu’il fait. Moi je ne bouge pas.., j’attends sans rien dire. Il me parle de foot, de Platini et de Giresse mais je n’entends rien. Il se relève d’un coup et redémarre. Enfin, je vais pouvoir aller acheter le pain.

Je sais toujours où je suis, et je lui indique la route pour la boulangerie. Je ne dis rien sur ce qui vient de se passer. Un rond-point, un feu, la fougasse est en vue; les quelques centaines de mètres qu’il reste s’allongent comme des kilomètres. Ça y est, je vois au loin l’enseigne du bureau de tabac, le losange rouge, je lui dis que c’est là. Mais il file tout droit sans même tourner la tête. Là c’en est trop, je proteste, je lui dis que je vais me faire gronder si je ne ramène pas le pain. Il ne dit plus rien et son regard fixe le lointain droit devant lui. Il roule au moins un quart d’heure et je ne reconnais plus les paysages qui défilent. Je lui demande où on va, il ne répond toujours pas. Il ralentit et tourne vers un sous-bois, je n’ai pas peur puisque je ne comprend pas ce qu’il se passe, et l’inconnu ne m’effraie pas. Il finit par se garer dans un coin isolé, personne aux environs. Des grands arbres magnifiques trônent partout autour de nous. Je suis toujours assis sur le siège passager, je pense à mes parents et à l’engueulade que je vais prendre en rentrant. Il baisse mon pantalon et remet mon pénis dans sa bouche, mais son attitude a changée. Il se met à vouloir m’embrasser – je n’ai fais jusqu’alors que des petits bisous dans la cour de l’école – et une de ses mains glisse dans son pantalon. Il ouvre la bouche quand il m’embrasse, il bave, je suis tétanisé. Il m’ordonne de passer à l’arrière du camion, ce que je fais sans broncher, avec beaucoup de mal le pantalon en bas des chevilles me gênant considérablement. J’atterris sur un matelas, je le vois fermer des vieux rideaux jaunâtres le long des fenêtres, mais que fait-il ? Je dois me mettre sur le ventre, allongé, il est à mes pieds. Je l’entends faire des bruits bizarres, sa respiration s’accélère, il me demande encore de l’embrasser. Je n’y arrive pas car je dois tourner la tête sans me retourner, ses mains appuyant fort sur mon dos. En même temps il se frotte contre mes fesses, me bave dessus, me lèche la bouche. A cet instant précis, je le sens faire des trucs avec son zizi dans mes fesses, ça me fait mal. Mais au bout de quelques minutes je l’entends s’énerver, il dit qu’il n’y arrive pas et se met en colère. Pour la première fois de ma vie je ressens un sentiment étrange de peur. Je sais dans ma chair que la moindre réaction de ma part pourrait m’être fatale. Alors j’attends…, de longues secondes suspendues dans le temps. Je l’entends se rhabiller en maugréant. Il me dit de faire de même tout en ouvrant la porte coulissante du camion. Je m’assois sur le lit, je ne vois quasiment rien, les rideaux sont toujours tirés. Je ne bouge plus, j’attends en silence, j’ai la tête qui tourne, et je pense déjà à ce que je vais pouvoir raconter à mon retour à la maison. La porte s’ouvre, une effluve de fumée de cigarette arrive jusqu’à mes narines.., il me dit de repasser devant. Il me demande où j’habite et dit qu’il va me déposer.

Sur le chemin du retour tout s’emballe dans ma tête, il me parle mais je n’écoute rien, tout s’est fermé en moi, sauf que je ne dois rien dire à personne. Il s’arrête à deux rues de chez moi, je descends sans oublier mon parapluie. Il me tend un billet de dix francs pour aller m’acheter des bonbons plus tard. La camionnette s’éloigne.., je reprends tout juste mes esprits. Les larmes me montent, j’ai envie de déchirer le billet de rage, mais je ne le fais pas, j’irai quand même m’acheter des bonbons avec. Avant de passer la porte du garage de la maison – c’est par là qu’on entre – , je me demande si je ne vais pas tout raconter, mais je vois déjà mon père dans une colère noire s’affolant pour rechercher mon agresseur, et je n’ai pas envie de perturber le quotidien. Depuis le temps ils sont déjà à table depuis belle lurette, ils ont même sûrement fini de manger. Je pousse la porte de la cuisine avec l’air le plus naturel possible, mais sûrement transfiguré. Et là les questions pleuvent. T’étais où? Chez la concierge de l’école en attendant la nouvelle fournée de pain, car quand je suis arrivé à la boulangerie il n’y en avait plus. Je suis allé à l’école attendre, et j’ai commencé à jouer avec Stéphane, le fils de la concierge, je n’ai pas vu le temps passer, et je suis rentré en catastrophe quand je me suis rendu compte de l’heure. «T’exagères..!», voilà ce que me disent mes parents, en posant d’autres questions anodines. Je dois me dépêcher, l’école reprend bientôt, et mon père doit retourner au travail. Mes sœurs me dévisagent quand nos regards se croisent, elles voient bien que quelque chose cloche mais elles ne disent rien. Je me force à manger pour ne rien laisser paraître.

Je m’appelle Simon, j’ai dix ans, et à partir d’aujourd’hui je ne serais plus jamais un enfant. Je viens de basculer, de la façon la plus abrupte et injuste qui soit, dans le monde des adultes. 

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