Pas rancunier !

3 mins

Je n’avais dans ma poche qu’un crayon et un carnet que j’aurai bien voulu lui faire bouffer…
Si voici déjà quelques années un géant des réseaux sociaux, pas à une tartufferie près, ne s’était ridiculement transformé en censeur, je n’aurais, probablement, rien remarqué.
Cette pâle copie qu’un certain Gustave fit de mon chef d’œuvre venait, quelques semaines auparavant, de faire l’actualité artistique mettant en grand émoi toute la blogosphère…
 Le jour de l’inauguration du facsimilé de notre galerie situé à proximité d’un vallon chevauché par un pont en arc, les étranges similitudes entre ma Vénus et « l’imposture » auraient dû, sans nul doute, interpeller le président la République lui-même ainsi que les premiers visiteurs les uns et les autres se déclarant férus d’art et de culture. La presse quant à elle habituellement si prompte à faire le buzz, ne s’en fit pas l’écho.

Ce Gugusse, qui fut un temps lui aussi considéré comme un moderne, avait de bien étranges passions parmi lesquelles celle de coucher en grand nombre des entrées de grottes sur ses toiles blanches ce qui ne manqua pas d’exciter l’appétit de psychanalystes, de tous poils, qui, émoustillés, ont fait assaut d’analyses de la personne, son œuvre, ses admirateurs et détracteurs, etc et etc..
Des géologues et hydrogéologues, tout aussi curieux, avaient remarqué que la grande précision qu’il mettait à dessiner les roches permettait parfois de contester les lieux par lui indiqués. L’écart pouvait être de plusieurs centaines de kilomètres. A preuve son tableau prétendument situé dans l’arrière-pays de Montpellier ressemblait étrangement au Val de Loue du côté des monts du Jura, paysage qu’il mit par plusieurs fois en peinture.
Le mensonge devait être une autre de ses passions.
Pour moi, il n’y a pas de doute possible. En chemin entre Montpelier et la Franche-Comté, il a retrouvé l’accès à nos créations et a gardé le bénéfice, le plaisir et le secret de cette découverte.
Dans ma poche, j’ai de quoi prouver qu’en cachette, il a croqué mon œuvre malgré la censure qui nous avait frappé. Quelques esprits, tout à la fois chagrins et malveillants, s’étaient acharnés à murer notre exposition espérant ainsi rendre à l’oubli notre collectif des homo-sapiens modernes. Pour ne pas aiguiser l’appétit de ces inquisiteurs, qui refusaient toutes représentations de nos semblables, j’avais pourtant pris soin de dissimuler cette trace de féminine humanité dans la peau d’une lionne.
Ce Gustave courbait lui aussi l’échine sous les coups des censeurs. Au fil du temps qui passe, sa peinture fut voilée, puis dissimulée sous d’autres œuvres avant qu’elle ne soit effacée des écrans.
 Malgré tout le mal qu’il me fait, solidaire, je ne m’en réjouis pas. Il faut dire que dans la nouvelle galerie, les censeurs attentifs se sont encore occupés de moi. Ils n’ont accepté de reproduire que moins de la moitié de la surface de notre exposition dissimulant leur forfaiture avec force communications sur l’art du copiage…
Son tableau tout comme le mien n’avait pas de visage et ceux qui, par des hypothèses fantaisistes, ont tenté de prétendre le contraire, ont bien vite été contredits. Les experts du musée d’Orsay mobilisés ont doctement affirmé, preuves à l’appui, que sa composition était achevée et qu’elle resterait sans minois.
En examinant dans le détail l’impossible posture de sa peinture, je compris qu’il n’était qu’un mauvais copieur qui, dans la pénombre, avait mal usé du crayon et du carnet rangé dans sa poche.
L’usurpateur n’avait su tenir compte de la forme oblongue du support de mon œuvre. Ses traits en furent tout désarticulés, son œuvre aussi.
Son modèle préféré, Joanna, l’explosive Irlandaise s’en était offusquée. Elle n’y reconnaissait le grain de sa peau et comme moi s’interrogeait sur l’origine de ce tableau qu’elle appela « la caricature ».
Un gynécologue, alerté par ses informatiques connexions, se mit aussi de la partie en affirmant que cette imposture présentait les signes d’une maternité de cinq mois. Ma Vénus à moi commençait à avoir le ventre rond des lendemains heureux quand je pris la liberté d’immortaliser l’instant.
Sa seule reconnaissance envers mon œuvre fut le nom qu’il donna à la sienne : l’Origine du Monde. Il nous faut toutefois, ma Vénus et moi, rester modestes avec seulement trente-six mille ans, il est trop tard pour prétendre être à l’origine de quoi que ce soit d’autre que d’un petit homme sage.
Le carnet et le crayon, qu’il avait glissé dans sa poche, sont tombés dans la grotte Chauvet. J’aurais bien voulu les lui faire bouffer mais, pas rancunier, je préfère que lentement, la calcification fasse son œuvre en unissant les nôtres.

P.S :
Je n’en doute pas vous n’aurez aucune difficulté pour comparer La Vénus de la grotte Chauvet et l’œuvre de Gustave COURBET que vous trouverez toutes deux sur vos sites préférés.
La photo des gorges de la Loue qui illustre cette courte nouvelle a quant à elle été réalisée par Christophe PATISSOU que je remercie de son autorisation.
Gustave était-il sensible aux paréidolies ?
Une paréidolie est le processus survenant sous l’effet de stimuli visuels ou auditifs, portant à reconnaître une forme familière dans un paysage, un nuage, de la fumée, une tache d’encre, etc..

Roll Sisyphus

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3 Commentaires
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Cora Line
1 année il y a

Je suis très impressionnée par l’écriture de ce texte que ta plume talentueuse nous livre avec une démonstration bien documentée. J’ai consulté les sites et il fallait toute ta connaissance pour mettre en lumière, une peinture et une oeuvre de la Préhistoire ! Du grand art !( Je parle du texte !)
Merci pour le mot : Pareidolie, que je rajoute à mon vocabulaire et que j’ai hâte de placer dès que l’occasion se présentera…

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