Le Dernier Brûleur d’Étoiles – La Voix du Mirage, chapitre 12

5 mins

Je devais déjà être en train de rêver. J’entendais des bruits d’épées qui s’entrechoquaient, des cris de douleur, des ordres, et des rugissements inhumains. Mes yeux étaient entrouverts, et je voyais Galahad. Mais il n’était pas assis à monter la garde comme il aurait dû le faire : il était debout, l’épée à la main, entouré de créatures qui n’avaient d’humain que la silhouette. Je poussai un cri, et c’est là que je me rendis compte que j’étais parfai­tement réveillé.

Je me levai, stupéfait, croyant à un cauchemar. Six êtres mons­trueux se jetaient sur Galahad qui contrait leurs attaques tant bien que mal. Ils étaient un peu plus grands qu’un homme, avaient une peau grisâtre et rugueuse protégée par de vieux morceaux de cuir et de métal grossièrement assemblés ; leurs jambes étaient terminées non par des pieds mais par des serres, leurs mains comportaient chacune quatre doigts griffus, et leur tête… Elle était tout simple­ment horrible. Une corne recourbée était juchée sur le haut de leur crâne ; ils n’avaient pas d’oreilles, seulement deux trous en bas de leurs tempes ; un nez aplati, de tous petits yeux noirs et méchants, et une bouche démesurément grande. Exactement la vision que je me faisais d’un monstre lorsque j’étais enfant.

Galahad frappa l’un d’eux en plein dans le ventre. Un sang ver­dâtre tirant sur le noir l’éclaboussa, et le monstre s’effondra en poussant un cri qui se termina par un gargouillis immonde. J’eus un haut-le-cœur et ne pus retenir une exclamation d’horreur. Galahad se retourna vers moi.

– Gwenvael, cours ! hurla-t-il. Va-t’en !

Il abattit son épée sur un autre monstre. Plus que quatre. Je le regardai, trop horrifié pour bouger.

– Sauve-toi ! s’écria-t-il à nouveau. Ne reste pas là !

Je finis par me ressaisir, et alors que Galahad tuait une troisième créature, je pris la fuite.

Je courus longtemps, sans savoir où j’allais. Je ne voyais prati­quement rien, je me cognais contre les arbres, trébuchais sur les ra­cines, me faisais lacérer les bras et le visage par les branches basses et les buissons d’épineux. Quand je m’arrêtai enfin, les premières lueurs de l’aube apparaissaient, et avec elles une légère brume ma­tinale. Mon cœur battait à tout rompre ; j’étais complètement déso­rienté et encore dégoûté par le spectacle que j’avais vu. Je ne pouvais m’empêcher de penser au premier monstre que Galahad avait tué. Je voyais encore le sang couler sur son corps et sur l’épée, j’entendais encore son cri d’agonie. L’idée d’avoir été témoin d’un combat et du… meurtre – je ne trouvais pas d’autre terme pour dé­signer ce que j’avais vu – d’une créature, si horrible fût-elle, me répugnait.

Je me laissai tomber contre un arbre et poussai un long soupir. J’avais la gorge nouée. Je n’avais jamais été violent, je n’appréciais pas les films d’horreur, et je n’arrivais pas à comprendre les gens qui tuaient, même pour ce qu’ils appelaient une bonne cause. Je n’y pouvais rien, j’avais toujours été comme ça. Enfant, je n’étais jamais parmi ceux qui écrasaient les fourmis parce qu’ils trouvaient amu­sant de les voir courir dans tous les sens ; je n’avais jamais tiré la queue ou les oreilles d’un chat ou d’un chien, et quand j’avais fait du poney, je ne m’étais jamais servi d’éperons ou de tout autre ins­trument barbare destiné à obtenir ce que l’on veut de sa monture par la force. Je n’étais pas bagarreur, préférant rester indifférent plutôt que de régler mes comptes à coups de poing. Cela ne signi­fiait pas pour autant que je me laissais faire ; seulement, j’évitais toujours d’avoir recours à la force pour obtenir ce que je voulais.

Il devait être aux alentours de midi quand j’émergeai d’un demi-sommeil agité. Galahad était près de moi ; à certains endroits, ses vêtements étaient tachés du sang des monstres, mais lui ne semblait pas blessé. Il avait l’air parfaitement détendu et mangeait quelques restes de viande. Je m’empressai de me lever.

– Tiens, tu es réveillé, me lança-t-il. Je viens juste d’arriver, j’ai mis du temps à te retrouver. Tu aurais pu faire en sorte de marcher droit, sans faire autant de détours.

J’ignorais totalement comment il avait fait pour me retrouver, surtout dans le noir et la brume. Mais je ne lui posai pas la question.

– Qu’est-ce qui ne va pas ? me demanda-t-il en me fixant inten­sément.

Je ne répondis pas. Apparemment, il avait tué les six créatures, et cela ne paraissait pas l’émouvoir plus que de raison. À vrai dire, il semblait même avoir complètement oublié cet épisode. Alors comment aurais-je pu lui expliquer que ces monstres me répu­gnaient et que l’idée de tuer me répugnait tout autant, me dégoûtait, me choquait, m’horrifiait, me…

– Gwenvael ?

– Je… c’était quoi ?

Je ne pus parler davantage, et c’est à peine si je reconnus ma voix.

– Ah, cette nuit ? C’était des Arzuhls. Je ne comprends pas ce qu’ils pouvaient bien fabriquer là. Ce sont eux que j’avais entendus la nuit d’avant. C’est étrange de tomber ainsi sur un petit groupe isolé, surtout si loin de leurs terres. En tous cas, nous en sommes définitivement débarrassés.

Il continua de manger, imperturbable, comme s’il venait de me dire qu’il avait tué trois puces et un moustique. Je restai silencieux ; et lorsqu’il me tendit un peu de viande, je refusai.

– Gwenvael, regarde-moi.

À contrecœur, je levai les yeux vers lui.

– Tu ne dois pas avoir pitié des Arzuhls, me dit-il doucement. Ce sont des créatures qui ne pensent pas, n’ont pas de sentiments. Elles sont dressées pour tuer, rien d’autre. Elles sont dangereuses, complètement stupides, et suffisamment nombreuses pour qu’on se permette d’abattre toutes celles qu’on rencontre.

– Ce sont tout de même des êtres vivants, parvins-je à articuler. Pas des machines.

Galahad soupira. Le silence tomba, pesant.

– Vous devez me mépriser, n’est-ce pas ? repris-je au bout d’un instant. Pour la chasse, pour les Arzuhls. Au fond, vous êtes comme Kellian. Vous me méprisez parce que je n’aime pas la violence sous toutes ses formes. Vous savez, je ne me laisserais pas tuer si quelqu’un m’attaquait, mais je ne peux pas blesser un être vivant si je peux fuir à la place. Et ça, c’est impensable pour vous.

C’était plus une constatation qu’une véritable question.

– Non, me répondit Galahad après un silence. Je comprends qu’il y ait des choses que tu ne puisses pas supporter. C’est ce qui arrive quand on est incomplet.

La colère menaça de me submerger. Qu’entendait-il par « in­complet » ?

– Qu’est-ce que ça signifie ? m’emportai-je. Je suis comme tout le monde ! Et ce n’est pas parce que je n’aime pas voir des créatures se faire massacrer que je suis lâche, et…

– Je n’ai jamais prétendu que tu étais lâche, coupa calmement Galahad. Et je sais parfaitement que tu vis une situation particuliè­rement difficile.

Je me tus. Je ne comprenais pas. Galahad me regarda droit dans les yeux, et je vis qu’il semblait plus inquiet qu’énervé.

– Tu ne te souviens vraiment de rien ? me demanda-t-il douce­ment.

De quoi aurais-je dû me souvenir ? Je lui fis signe que non. Alors, il hocha la tête et s’absorba dans ses pensées, ne me prêtant plus aucune attention. Je me mis à l’assaillir de questions ; au début, il m’ignora, puis quand il en eut assez, il me menaça de son épée.

– Puisque tu as l’air d’être en forme, on va se remettre en route, déclara-t-il.

Et iljoignit le geste à la parole. À nouveau, nous marchâmes d’un pas rapide, sanséchanger une parole, et je me résignai à ne rien comprendre à ce qui m’arrivait.

À suivre mardi prochain 🙂

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