«Laisse-toi posséder par un esprit plus puissant que le tien…il n’y a n’y plan, ni intention. Il n’y a que l’action pure dans l’éternel présent.» Alexandre Jodorowsky, La voie du Tarot.
Les douze silhouettes se découpaient devant les flammes du brasier. Placées en cercle, autour du brasero, elles faisaient monter vers le ciel un chant rythmé. Le cercle n’était pas parfait, il faisait plutôt penser à une amande, un oculus oblong; il reprenait la même forme que celle qui se trouvait sur le bas relief, au fond de la salle du temple.
Un peu en retrait, des musiciens soutenaient le chant des officiants avec la mélodie de leurs instruments, avec les cordes pincées des lyres et les murmures soufflés à travers leurs flutes. Le rythme s’accéléra, le chant s’amplifia, entêtant et mystique.
Les participants se mirent à se balancer d’un pied sur l’autre, se tenant par la main, gagnés par une énergie communicative. Ils semblaient être pris par une transe profonde, presqu’anormale.
Brutalement, les douze formes humaines s’écroulèrent au sol, terrassées. La musique s’arrêta et les musiciens s’entreregardèrent. Soudain, une voix cria et ils s’éparpillèrent en courant. Le silence de la mort envahit tout le bâtiment, puis une forme sombre se détacha.
C’était un homme bien qu’on ne distinguât pas son visage, caché par les pans de son manteau rabattu sur sa tête. Il se déplaça lentement, enjamba un des corps et d’un coup de pied violent fit basculer le brasero. Les braises se répandirent sur les corps; les vêtement commencèrent à prendre feu et bientôt une odeur de chair brûlée se répandit dans l’air. L’homme, sans un regard pour ses victimes s’éloigna dans la nuit.
***
«Le premier pas est toujours le plus difficile», se dit la jeune fille. Elle devait lutter contre sa timidité naturelle et l’envie de faire demi-tour.
— Pauline ! Dépêche-toi! Si tu as changé d’avis, dis-le, mais sinon il faut y aller, tu vas rater ton train.
La voix de son père la fit sursauter et la ramena à la réalité; elle avait eu trop de mal à la convaincre de la laisser partir seule au camp d’archéologie pour renoncer maintenant.
— J’arrive, cria-t-elle en rentrant dans la garde de Nice en suivant son père.
Elle ne voulait pas lui tenir la main, mais elle craignait de le perdre dans la foule. Le monde qui l’entourait et le brouhaha ambiant qui résonnait à l’intérieur, ne l’aidaient guère à faire taire l’anxiété qui montait en elle de minute en minute.
Ils se repérèrent tant bien que mal dans la foule. Ils regardèrent le tableau des départs: Ange expliqua à sa fille comment lire son billet et trouver le numéro de son train. Il était déjà rentré en gare et attendait sur le quai A, celui qui était facilement accessible depuis l’intérieur. La pression descendit d’un cran. Ils repérèrent la personne en charge du départ du camp d’adolescent: elle portait une chasuble jaune fluo et se débattait avec une liasse de feuilles. Elle était entourée d’un petit groupe d’adolescents qui devaient avoir entre onze et seize ans pour les plus grands. En voyant certains grands gars, c’est l’anxiété d’Ange qui grimpa en flèche.
Cependant, il connaissait la femme qui organisait le camp et il lui faisait confiance pour veiller sur Pauline; c’était une universitaire d’une soixantaine d’année qu’il avait côtoyé plusieurs années. C’était d’ailleurs la condition pour qu’il acceptât, l’enthousiasme délirant qu’avait manifesté sa fille à l’idée de partir creuser sur un chantier de fouilles archéologique à Arles n’y aurait pas suffi. Elle avait fait un stage de latin à la fin de son année de sixième et son professeur avait distribué lors de la dernière séance un flyer vantant les mérites de ce camp jeunesse: connaissances, solidarité, autonomie. Depuis Ange n’avait entendu parlé que de cela.
Ils se présentèrent à la jeune femme qui semblait faire une sorte d’appel en cochant des noms sur une liste. Pauline se présenta d’une voix un peu assourdi, et son père dû répéter son nom d’une voix plus forte. Il en profita pour demander si Nicole Bouvier n’était pas présente. La jeune fille vit qu’elle avait affaire à un père un peu angoissé de laisser partir sa fille toute seule. Elle lui sourit, lui assura que Nicole serait à l’arrivée en gare d’Arles pour réceptionner tous les jeunes. Puis elle se tourna vers Pauline, lui sourit également et lui indiqua le siège qu’elle devrait occuper. Ange s’inquiéta de la correspondance en gare de Marseille Saint Charles mais la jeune femme le rassura à nouveau sur ce point: ils n’auraient guère à attendre et resteraient groupés, elle avait l’habitude et le groupe n’était pas nombreux.
Pauline s’attacha aussi à rassurer son père, pour ne pas écouter sa propre peur: elle l’appellerait quand elle serait à Marseille et quand ils arriveraient à Arles. L’un des avantages non négligeable de ce départ avait été l’achat d’un smartphone, certes d’occasion mais qu’elle chérissait comme d’un accès vers l’âge adulte. Pauline embrassa rapidement son père et lui fit son plus grand sourire.
— Allez, tout le monde en marche, on se dépêche derrière!
En posant le pied sur la première marche du wagon, une immense sensation de liberté s’empara d’elle. Elle grimpa rapidement, récupéra son sac et se pencha pour embrasser à nouveau son père. Elle n’aurait pas cru qu’il la laisserait partir pour ce chantier jeunes après ce qui c’était joué quelques semaines auparavant. Une menace sourde qu’elle n’avait pas vraiment identifiée, avait plané sur eux au début de l’été et depuis son père était encore plus protecteur qu’à l’accoutumée. Mais il avait finalement accepté qu’elle puisse partir.
Elle se faufila entre les sièges du train et trouva un endroit pour déposer son sac de voyage qui était aussi grand qu’elle. Elle s’assit sur le siège qui lui était attribué et lança un timide sourire à ses voisins: une jeune fille qui devait avoir son âge et un garçon a l’air timide qui semblait avoir un an de moins. Elle prit sur elle de se présenter; la fille se prénommait Livia (un prénom d’origine latine précisa-t-elle en rougissant) et le garçon Théo. Ils se détendirent un peu, commencèrent à discuter et Pauline se dit qu’elle avait eu raison d’insister, que ce camp serait sans doute la meilleure chose qui lui serait arrivée depuis longtemps. Elle était tellement prise par ses nouveaux compagnons, qu’elle en oublia presque de faire un signe à son père quand le train se mit en route.
Bonjour Esther, je n’ai pas encore lu, mais je suis intrigué. Tu as tout supprimé ton roman précédent ?
Non je l’ai rebasculé en brouillon, je suis en train de relire, de reréflechir sur le roman précédent alors je l’ai un peu mis en "sourdine" on va dire, je pense en plus que sur la plateforme, ceux qui voulaient le lire l’ont déjà fait, enfin je crois!
Deux chantiers en même temps ce n’est pas simple ! Personnellement j’en ai fini un également, en tout cas de l’écrire puisqu’il ne me reste plus qu’à publier l’épilogue (demain soir). Et j’entame moi aussi un second.
En tous cas j’ai l’impression que la fille d’Ange a bien grandit, le premier paragraphe fait peur, et donc ça commence bien.
Bravo pour ton épilogue, il faudra que je prenne le temps d’aller lire un peu chez toi!