Chapitre 5.1 – Le Pape (La prophétie des morts antiques)

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«Celui qui entre dans mon âme peut avancer jusqu’à l’extrême limite de l’univers, jusqu’à la fin du temps: je suis la dernière frontière entre les mots et l’impensable.»Alexandre Jodorowsky, La voie du Tarot.

Elle fixait la figure de la divinité sur le mur en face d’elle. Il y avait tellement longtemps qu’elle était habituée à la pratique qu’elle la faisait la plupart du temps de façon presque automatique. Mais à la fin de cette journée qui avait été somme toute très pénible, elle avait vraiment besoin de plonger en elle même, de rentrer en connexion avec son dieu. 

La salle était vide et le temple silencieux. Les plus jeunes comme les prêtresses, tout le monde avait rejoint les appartements privés. Seul un brasero, en faisant danser les ombres des flammes sur les murs apportait un peu de vie. Il était temps pour Donna Major de demander l’oracle de Phanès. Elle savait depuis longtemps qu’elle devait le faire, mais elle redoutait la réponse qu’elle allait recevoir. 

Elle s’agenouilla, déplia le linge propre qui renfermait les plantes séchées qui avaient été soigneusement sélectionnée pour leur pouvoir et leurs vertus hallucinogènes. Elle jeta les feuilles directement dans les flammes et observa les fumées qui se formèrent au-dessus des braises. Puis elle ferma les yeux et inspira profondément les parfums qui emplissaient la pièce. Puis elle rebâtit son voile sur son visage et attendit que les plantes fassent leur effet, elle attendit la transe. Elle était une pythie, c’est la raison pour laquelle c’était elle qui menait son ordre depuis plusieurs décennies maintenant. Elle voulait lever le voile de l’avenir, se perdre dans les méandres du temps, mais elle devait rester suffisamment lucide pour se rappeler ensuite, une fois revenue à la réalité, du message divin. 

Toujours agenouillée, le dos bien droit elle inspirait profondément, les yeux mi-clos et dans les volutes de fumée, elle le vit à la fois de manière très claire et très floue. Le danger était bien là, il prenait la forme menaçante d’un homme dont elle ne distinguait pas le visage. Elle ne voyait rien à proprement parler, elle ressentait plutôt des images, des informations. La catastrophe était imminente, elle ne savait pas vraiment quand et surtout elle ignorait comment l’éviter. Aucune lumière ne semblait poindre à l’horizon, pas le moindre signe positif ne lui apparaissait. 

Tout ce qu’elle espérait, c’est qu’elle pourrait sauver ses compagnes et les novices de la catastrophe. Elle même n’y échapperait pas et si les dés en était jeté, elle préférait marcher la tête droite vers son destin. Elle repensa à la proposition qui lui avait été faite le matin même par les membres de l’administration impériale et elle se félicitait de l’avoir refusée. Tant pis si cela précipitait les choses. Elle se releva, les émanations s’étaient lentement dissipées et elle reprenait ses esprits. Elle devait absolument discuter avec les autres prêtresses de son ordre, mais elle préférait le faire le lendemain matin. Elle espérait simplement que le danger leur laisserait cette nuit au moins de répit.

Au dehors, l’homme en capuchon salua les hommes de la milice urbaine qui le l’inquiétèrent pas bien qu’ils soient chargés de faire respecter le couvre-feu, et garda son poste de surveillance, en face du temple. 

***

Mathilde sentait sa tête brûler, la sueur lui coulait sur le front. Elle était encore au fond de la fosse, la face cadavérique de Tristan la regardant de ses yeux morts. Il lui fallut quelques instants pour se rendre compte qu’elle n’était plus sur le lieu du crime mais bien dans sa chambre et que la chaleur sur sa tête venait du chat qui y était couché dessus. Il lui servait en quelque sorte de bonne de nuit chauffant alors qu’il devait bien faire 30 degrés dans la pièce malgré la fenêtre ouverte sur la nuit. 

Elle pesta contre l’animal tout l’abreuvant de caresses. Elle se releva et essaya d’aller respirer un peu d’air mais rien ne bougeait dans l’air nocturne, le mois d’août en Provence ressemblait à un couvercle de cocotte minute: il était là pour faire monter la chaleur et la pression. Jusqu’à quand ? pensa Mathilde. Il y a bien un moment où tout explose et l’orage de la veille n’avait été qu’un orage chaleur, n’apportant aucun soulagement, accumulant encore d’avantage l’électricité. Elle se sentait parcourues par des vibrations comme si la météo se répercutait en elle-même. 

Encore une fois, l’insomnie s’invitait dans ses enquêtes. Trois heures du matin, évidemment. Et cela venait s’ajouter à la piètre nuit qu’elle avait vécu la veille. Mais qu’importe, elle se reposerait une fois cette nouvelle affaire bouclée. Elle soupira et alluma la petite lampe qui trônait sur le petit bureau qui occupait l’un des coin de la pièce. Elle prit plusieurs feuilles blanches qui étaient mises à disposition des vacances pour leur hypothétique courrier. Elle s’en servirait pour commencer à mettre ses idées au clair: elle les plia en quatre et les découpa. Elle commença par lister toutes les personnes qui gravitaient dans l’entourage immédiat de Tristan sur le chantier. Elle créa deux fiches différentes: une pour la petite amie de Tristan qu’elle devrait contacter au plus vite et une autre pour son séjour en Italie, dont il faudrait combler les vides. Elle en créa une dernière pour l’inconnu qu’elle avait suivi depuis le chantier, qui se disputait avec le jeune archéologue. Sur celle-ci, elle ne plaça qu’un grand point d’interrogation. Pour le moment, elle ne voyait pas comment le retrouver, il lui faudrait être créative. 

Elle disposa ses petits bouts de papiers devant elle sur le bureau et cela lui fit penser à la vieille femme avec ses cartes de tarot. Elle écarta aussitôt l’idée de son esprit, elle devait garder la tête froide au maximum pour être plus efficace. Si le travail de nuit, elle le savait, se paierait le lendemain matin, elle l’effectuait avec une sorte de clarté d’esprit qui lui procurait presque ‘un sentiment de toute puissance. Le fait d’avoir mis ses idées sur le papier la soulageait: au moins ces questions ne viendraient pas la hanter dans son sommeil, si elle parvenait à se rendormir. Cependant, pour l’instant elle était trop bien éveillée pour se recoucher.

Elle avisa la boîte qui contenait les papiers de Kaplan. Elle farfouilla dans son sac pour en ressortir les enveloppes dans lesquelles elle avait classé les premiers documents. Elles avaient un peu souffert d’être restés dans le sac. Elle les lissa et les posa sur le bureau. Tout cela commençait à prendre forme et la jolie console ouvragée commençait à ressembler à son espace de travail à Paris. Manquait seulement un ordinateur. Elle sortit son téléphone et en profita pour envoyer un texto à Sam pour savoir si elle avait trouvé plus d’ informations sur la période italienne de Tristan.

Elle reprit une liasse des papiers de Kaplan et s’astreint à les dépouiller consciencieusement, dans l’ordre. La plupart finirent leur course dans l’enveloppe marquée “Sans intérêt”. Elle mit néanmoins de côté plusieurs documents comptables. Elle n’était pas très douée avec les chiffres mais si quelque chose pouvait être important cela se cachait peut-être dans quelques transfert d’argent. Un document qui ressemblait à un reçu bancaire attira particulièrement son attention: par la somme d’abord, deux cent milles euros. Elle ignorait que Kaplan ait pu disposer d’autant d’argent d’un coup. Mais c’est surtout la date qui la perturba: deux jours seulement après le double meurtre de sa soeur et son mari.

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