Chapitre 5.3 – Le Pape (La prophétie des morts antiques)

6 mins

De retour à l’internat, Mathilde s’attarda et aida Pauline à finir ses bagages. Elle ne savait pas si elle le faisait exprès ou pas mais elle espérait tout en le redoutant aussi de revoir Ange. Pauline semblait le sentir aussi et ne cessait de lui parler comme pour la retenir. Elles furent rejointes par Théo, accompagné de sa mère qui venait d’arriver. 

— Je venais vous dire au revoir. 

— Au revoir Théo, j’ai été ravie de te rencontrer. 

— Vous êtes la mère de Pauline? Je voudrais vous parler, j’ai déjà pris les coordonnées des autres parents, on doit s’organiser! Les autres sont d’accord avec moi, il faut qu’on demande des comptes sur la sécurité à cette organisation, c’est totalement inadmissible, un meurtre, à cet âge nos enfants doivent être tenus loins de tout ça!

Emportée par son élan, elle n’avait pas remarqué la mine sombre de Pauline, ni les regards affolés que lui lançait son fils. Mathilde, elle était tétanisée et n’arrivait pas à lui couper la parole, se demandant si elle pouvait être encore plus maladroite. Heureusement, Nicole apparut et éloigna la contestataire. Elle savait y faire face à ce genre de personnes, même si c’est la première fois qu’elle avait un meurtre commis pendant l’un de ses camps d’ado.

Théo s’excusa pour sa mère d’un air désolé.

— Ne t’en fais pas, elle ne pouvait pas savoir que ma mère est morte, assassinée.

— Pauline…

— Ne t’en fais pas non plus Mathilde, toute va bien. Je crois que ça finit les vacances en beauté, comme ça j’ai presque envie de partir.

— On se voit à Nice quand même? 

— Oui se week-end Livia viendra dormir à la maison et puis on pourra se retrouver à la place. Il faut juste que j’ai l’autorisation de mon père, mais ça devrait aller.

— Qu’est-ce qui devrait aller? je dois autoriser quoi encore?

La voix d’Ange était inhabituellement cassante. Mathilde ne voulait pas que Pauline ait encore à subir une nouvelle salve de mots désagréables. Elle fusilla son beau-frère du regard, l’empoigna sans ménagement par le bras et l’attira vers le couloir.

— Non, mais ça va pas, qu’est-ce qui te prend?

— Ecoute, ta fille elle a vécu des trucs pas rigolos ces jours, tu viens à peine d’arriver et tu lui tombe dessus tout de suite, tu as conscience de ce que tu fais?

— Ne viens pas me dire comment je dois parler à ma fille, tu n’es jamais là ou alors c’est pour la mettre en danger et tu voudrais me donner des conseils?

— C’est pas un conseil c’est un avertissement, dit Mathilde entre ses dents, tu te calmes avant d’aller serrer ta fille dans tes bras. Elle veut revoir ses amis en rentrant à Cannes et tu vas la laisser faire. Si tu as envie de passer tes nerfs sur quelqu’un je suis à ta disposition, mais on verra sa plus tard.

Le visage fermé, Ange ne répondit pas mais retourna dans la chambre de sa fille pour faire ce que lui avait dit Mathilde. Celle-ci rongeait son frein dans le couloir, prête à entamer un second round, mais Ange réapparut en tenant sa fille par les épaules. Pauline était tout sourire et prit quelques instants pour serrer sa tante dans ses bras.

— Vous rentrez directement?

— Non ce soir on va dormir dans un petit hôtel et on va manger avec Nicole dans un resto qu’elle connaît. ça allègera la fin du séjour comme tu dit. 

— Pourquoi tu ne viens pas avec nous? demanda Pauline

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, j’ai encore du travail cette nuit. 

Mathilde avait intercepté le regard désapprobateur d’Ange et elle ne peut s’empêcher d’ajouter, pour le mettre au pied du mur:

— Mais vous pourriez passez demain matin à ma pension, on prendra le petit déjeuner et puis vous rentrerez, ce n’est pas si loin après tout.

Poussé par sa fille, Ange ne peut refuser, mais ils s’éloignèrent rapidement. Mathilde poussa un soupir et décida de partir également de son côté ; elle cherchait surtout à éviter de croiser à nouveau la mère de Théo, dont elle entendait encore les cris au bout du couloir.

De retour dans sa chambre, elle se prit la tête entre les mains, une vague de remise en question tournant dans sa tête. Sa vie ne ressemblait vraiment plus à rien. Seule dans une ville inconnue où elle aurait dû passer des vacances un peu clandestines mais reposantes, elle se retrouvait dans une enquête dont elle n’arrivait pas à voir le moindre premier bout de piste, avec des relations exécrables avec son beau-frère et sans oublier la montagne de papiers à trier qui l’attendait sur son bureau. Le choix était simple: pleurer un bon coup pour évacuer ou aller marcher. Le chat se frottait à ses jambes. Elle se demandait si c’était une bonne idée, mais après tout, pourquoi pas. 

Elle descendit demander un harnais à sa logeuse et tenta de convaincre le chat de se prêter au jeu. Il semblait ne pas comprendre l’intérêt de toutes ces boucles et sangles, mais après plusieurs contorsions et quelques miaulements plaintifs, Mathilde réussit à l’attacher. Maintenant, elle se demandait comment il réagirait à l’extérieur, mais il semblait déjà content en descendant les escaliers, comme s’il avait toujours attendu ce moment. Mathilde espérait qu’elle ne rencontrerait pas grand monde, elle n’était pas sûre d’assumer la promenade du chat en laisse. 

L’air de la nuit bien qu’il portât les traces des touffeurs du jour amenait un peu de répit et permettait à Mathilde de respirer un peu plus librement. Le chat aussi semblait apprécier, il n’était ni apeuré ni plaqué au sol; on aurait dit qu’il avait fait cela toute sa vie. Il tirait sur le harnais et fit faire à Mathilde le tour du pâté de maisons à un rythme soutenu. Elle ne pouvait pas rester seule sur cette affaire. Après le meurtre de son mari elle s’était retrouvée seule de fait et elle avait fait le vide autour d’elle, volontairement. Elle avait coupé les ponts avec tous leurs amis communs, elle s’était éloignée d’Ange et de Pauline. Puis progressivement, elle n’avait plus été aussi seule. Kaplan l’avait reprise sous son aile, elle avait rencontré Sam, puis Enzo et même Fred. Le chat, lui était arrivé en premier, un matin, miaulant sur son palier, manifestement affamé. C’est le premier à qui elle avait manifesté un petit peu d’affection depuis le drame et la vie était revenue, doucement, sans qu’elle y prenne garde mais à présent elle était bien là, et elle la sentait bouillonner au point qu’elle culpabilisait d’abandonner pour quelques instants ses vieux démons.

Maintenant, elle retrouvait Nicole, comme surgie de son passé, qui avait besoin d’elle. Elle ne pouvait pas, ne voulait pas, la décevoir. Et puis le meurtre de Tristan méritait d’être résolu. Mais elle n’y arriverait pas toute seule, elle ne pouvait plus continuer à éviter le contact avec les autres. Elle sortit son téléphone et envoya deux textos. Elle brûlait d’en envoyer un troisième, mais il était trop tôt et puis ce ne serait pas raisonnable. Peut-être dans quelques jours, en fonction de l’évolution de la situation. Presque euphorique des décisions prises elle retourna dans sa chambre. Elle dût porter le chat qui avait décidé de commencer une sieste au milieu du trottoir et qui ne voulait plus avancer. L’expérience était mitigée.

De retour devant son bureau elle soupira mais empoigna de grandes liasses de papier. Trier. Classer. Mécaniquement, pour ne penser à rien, faire le vide dans sa tête et peut-être qu’une idée géniale arriverait ainsi à voir le jour. Elle passa deux bonnes heures ainsi. La pile des papiers “sans importance” grossissait. Elle n’avait mis dans la pile des documents à garder que quelques lettres d’amis: elle voulait conserver leurs adresses pour les prévenir de la mort de Kaplan au cas où ils l’ignoreraient. Elle venait d’attaquer un tas de papier comptables, des relevés de compte et elle essayait de se souvenir combien de temps il était conseillé de les conserver quand elle s’arrêta sur une date. 

L’année et le mois lui avait sauté au visage, mais à présent c’était une. somme en particulier qui retenait son attention: cinq cents mille euros. La somme était colossale. Bien sûr, il était plus qu’à l’aise et possédait des propriétés qui faisait de lui un homme fortuné. Mais de là à faire un virement aussi important, en une seule fois, cela était particulier. Elle-même avait formulé l’idée, quelques semaines auparavant, qu’il ai pû payer pour qu’elle ait la vie sauve. Etait-ce cela? Etait-ce le prix de sa vie? Mais pourquoi avait-il fait cela?

Elle devait en avoir le coeur net, vérifier que Kaplan n’avait tout simplement pas acheté un petit appartement ou une très grosse voiture. Mais si elle avait raison et si cela représentait la somme versée à ceux qui avaient tué Luc et sa soeur, alors Sam pourrait peut-être remonter la piste de l’argent. Elle tenait enfin un fil, elle espérait qu’il n’était pas tissé par son imagination embrumée de fatigue. Et la question cruciale demeurait: pourquoi aurait-il fait cela pour elle?

Alors qu’elle basculait dans le sommeil, sa conscience la retint au bord de l’abîme dans lequel elle espérait sombrer tout en le redoutant. Elle se releva, fouilla dans son sac et ressortit la carte de tarot. Cette fois-ci elle savait ce que l’illustration avait évoqué en elle. Confusément, elle sut quelle était sur la voie alors même qu’elle n’arrivait pas à se figurer pourquoi cela ferait avancer son enquête.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx