Chapitre 6.1 – L’Amoureux (La prophétie des morts antiques)

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«Je me renouvelle à chaque instant, à tout moment je suis en train de naître. A chaque battement de votre coeur, je vous unis avec l’univers entier.» Alexandre Jodorowsky, La voie du Tarot.

– Voilà, vous connaissez la situation maintenant.

— La proposition des édiles n’est peut-être pas à rejeter immédiatement.

C’était la seconde de Donna Major qui avait osé prendre la parole mais cette dernière savait que plusieurs des prêtresses autour de la table pensaient sans doute comme elle. Leur groupe se fissurait, elles avaient peur, si elle n’intervenait pas la victoire des édiles se ferait sans résistance et leur mémoire disparaîtrait avec elles.

— Le choix n’est pas facile, je vous le concède. Et dans tous les cas, nous ne gagnerons pas, c’est le message de Phanès. Il est encore notre dieu, j’ose croire que votre foi n’est pas entamée. Le message est clair: c’est la fin. Nous devons simplement choisir notre façon d’en finir. Nous n’échapperons pas au pire, je n’échapperai pas au pire. J’espère pouvoir vous épargner. Voici les options: soit nous acceptons la décision des édiles, notre temple deviendrait un lieu sacré de la nouvelle religion, nous quitterions la cité et nous nous retirions dans un désert reculé. Nous aurions la vie sauve et nous nous consacrerions au culte nouveau, recluses. A notre mort, la mémoire de notre dieu, de nos vie disparaitraît avec nous.

— Même si on se bat, nous serons frappées de la damnatio mémoriae et nous risquons notre vie, et celle des plus jeunes. 

— Je ne crois pas que les plus jeunes soient menacés, ils n’iraient pas jusque là. 

— S’ils veulent marquer les esprits, leur pouvoir, ils ne reculeront devant rien. 

— On ne peut pas prendre cette responsabilité, il faut en parler, à eux, à leur famille.

— Calmez vous, s’il vous plaît, intervint Donna Major. Nous n’avons pas le droit d’en parler, à personne, sinon, ils nous arrêteront tout simplement pour avoir comploté contre Rome et là ce sont les lions qui nous attendent.

— Quand je pense qu’il y a quelques années c’étaient les chrétiens qui subissaient ce châtiment et maintenant on nous menace nous. 

— J’ai conscience de tout cela.

Donna Major voulait apaiser les esprits, elle se rendait compte que la conversation était stérile, qu’elle ne les menait nulle part. C’était son rôle d’être leur guide de les mener vers un peu plus de clarté.

— Laissez moi terminer. Si nous refusons d’accepter la proposition des édiles, si nous continuons notre culte, il nous arrivera malheur. Ce sont les mots des magistrats. Il feront tout pour éviter le coup d’éclat d’un jugement et d’une condamnation, pour éviter que certains citoyens nous soutiennent. Nous avons à choisir notre mort: soit naturelle, lointaine mais sans notre dieu, soit violente, proche, sous les dents des lions ou les lames des assassins.

— Quel est ton avis, Donna Major, que choisis-tu?

— Notre choix ne sera pas individuel, il nous faudra prendre une décision commune. Mais je peux vous dire ce que je ferais si vous m’accompagnez. J’ai été choisie il y a très longtemps maintenant pour servir Phanès, c’est mon rôle, mon sacerdoce. Je ne sais rien faire d’autre, je ne veux rien faire d’autre. Alors je continuerai à faire ce que j’ai toujours fait, le reste ne m’appartient pas. Mais je me plierai à la volonté générale. Je crois que pour ce soir, il n’y a plus rien à ajouter. Retournez dans vos chambres, réfléchissez, priez, dormez et demain nous voterons.

Sans ajouter un mot, les prêtresses rejoignirent leurs quartiers privés. Donna Major resta un instant en face du bas relief de la salle du culte, devant la figure de sa divinité. Les doutes s’accumulaient dans sa tête, elle ne savait plus si elle avait eu raison de leur parler franchement, elle ne savait même plus si la peur n’était pas la plus forte finalement. Soudain, elle entendit un bruit de pas léger derrière la porte qu’elle s’empressa d’ouvrir pour découvrir la jeune Julia pétrifiée au milieu du couloir.

— C’est toi? Viens un peu ici.

— Pardon Donna Major, je ne voulais pas vous déranger.

— Viens je te dis. Et sois franche: tu as entendu notre conversation?

— Oui, répondit la jeune fille en baissant la tête et en s’approchant. 

Mais elle s’enhardit pour oser demander:

— C’est vrai alors, nous sommes en danger? Et nous n’aurons pas la chance de servir lors d’un rituel complet?

— Qui t’as dit cela? Quels sont les bruits qui courent?

— Ce ne sont pas des bruits. J’ai l’impression…qu’on me parle…dans ma tête, quand je le regarde.

— Des voix? Devant sa représentation?

— Oui

Serait-ce possible qu’elle ait reçu le don également? Que ce soit elle, enfin, qui puisse lui succéder? Cela voudrait-il dire qu’il y avait finalement un mince espoir d’avenir?

— Si c’est le cas, cela veut dire que tu es promise à un destin tout à fait exceptionnel. Il faut que tu me fasses confiance. Nous allons pratiquer un rituel un peu particulier et peut-être que tu entendras à nouveau notre dieu.

— Je ne suis pas folle, alors?

— Non, tu es une pythie, comme moi. Et Phanès peut se servir de toi pour nous envoyer des messages. Et peut-être que le message sera différent pour toi, moi j’ai de plus en plus de mal à comprendre mes visions. Mais c’est normal, si tu dois me remplacer, c’est tout à fait normal. 

Il était peut-être temps que Phanès leur délivre sa dernière prophétie.

***

Lorsqu’elle se réveilla, le premier mouvement de Mathilde fut de consulter son téléphone portable pour vérifier si ses deux textos avaient obtenu des réponses. Les textos sur téléphone portable c’était très bien, parce qu’il était possible de joindre n’importe qui à n’importe qu’elle heure, dès qu’une idée ou une envie de laisser un message venait. Mais cela devenait extrêmement frustrant lorsqu’en face l’interlocuteur ne regardaient pas ou ne daignait pas se soumettre à l’immédiat désir de l’expéditeur. Mathilde était bien consciente que c’était absurde, qu’on ne pouvait pas attendre des autres qu’ils soient à votre entière disposition mais elle devenait parfois obsessionnelle avec ce genre de choses.

Ce ne fut pas le cas ce matin-là. Mathilde avait deux réponses, et à peu près satisfaisantes, d’ailleurs elle n’en espérait pas tant.: «D’accord.» et «Super idée, on fonce, je te rappelle». 

La journée s’annonçait plutôt bien.

Avant d’oublier la fulgurance qui l’avait saisie la nuit précédente, elle passa un coup de téléphone. Sa journée s’organisait au fur et à mesure de ses rendez-vous. Pour le dernier, elle préférait ne pas prévenir la personne qu’elle voulait rencontrer. 

Pour le moment, elle voulait se préparer tranquillement car elle devait s’armer de tout la patience dont elle pourrait faire preuve pour affronter son premier interlocuteur. Elle savait bien que si elle cédait à la colère, toute serait perdu.

La journée s’annonçait longue également. Elle contempla la carte qu’elle avait retrouvé dans son sac et essaya de se rappeler les paroles de la vieille femme: « La réponse est là». Mais la réponse à quelle question? Les pensées parasites ne devaient pas la détourner de sa ligne, aujourd’hui c’était son mot d’ordre. Mais son téléphone ne semblait pas d’accord, l’interrompant au milieu de sa bonne résolution.

— Sam, je t’écoute.

— ça va patronne? Je te dérange?

— Non pas vraiment, désolée. Je venais de me dire de rester focus, mais ce n’est pas grave et puis j’imagine que tu ne m’appelles pas pour rien.

— Exact, j’ai de nouvelles informations. J’ai retrouvé le dernier appel de Tristan. C’était un appel sortant, donc c’est lui qui appelait. Par contre, il s’agit d’une entreprise, donc je n’ai que le numéro du standard ensuite il faudra que tu creuses pour trouver l’interlocuteur. Mais je pense que tu vas être contente: c’est un journal. Donc Tristan a contacté un journaliste, c’est pas banal ça, non qu’est-ce que tu en penses?

— ça peut être n’importe qui dans le journal y compris le concierge ou la stagiaire mais oui ce n’est peut-être pas anodin. De quel journal s’agit-il?

— La Provence. L’appel est arrivé au siège de Marseille, rue Salengro.

— Je crois que je ne couperai pas à un allez retour Arles Marseille. C’est dans ces cas-là que la voiture me manque.

— Parce que tu aurais pris l’autoroute pour y aller et après la circulation dans Marseille, c’est pas la joie.

— Oui tu as raison, mais ça va être une galère dans tous les cas. Ce ne sera pas pour aujourd’hui, j’ai déjà un planning bien chargé.

— Quel est le programme?

— Je dois interroger les plus proches collaborateurs de Tristan et si j’ai le temps essayer de voir sa petite amie. Mais pour le moment je dois me préparer, j’ai rendez-vous pour le petit déjeuner avec Ange. Il accepte qu’on reparle du meurtre et de Kaplan. D’ailleurs j’ai du nouveau, mais je t’en parlerai quand vous serez là.

— C’est bien si vous arrivez à vous parlez, tu crois que les choses vont pouvoir aller mieux entre vous?

— Une chose après l’autre, pour le moment on va essayer de ne pas s’étriper à chaque fois qu’on se rencontre.

— Au fait, en parlant de relations qui pourraient s’améliorer, j’ai eu des nouvelles d’Enzo. 

— Comment ça se fait?

— Pour être honnête, je l’ai appelé. Mais j’ai bien précisé que n’agissait pas à ta demande. 

Mathilde ne répondit pas mais c’était la pire chose à dire pour ne pas avoir l’air de l’avoir demandé. 

— Bon je voulais avoir des renseignements sur votre commandant de police là, qui ne me dit rien qui vaille. Et j’ai eu raison. Il est connu jusqu’à Paris le gars. Mauvaise réputation mais indéboulonnable, il a des appuis politiques dans la région. J’aime pas beaucoup ce genre d’affaire.

— Moi non plus, mais qu’y faire, moi je n’en ai aucun, donc impossible de jouer sur son terrain.

— Non, mais Enzo te conseille d’être prudente. Je l’ai senti…concerné.

— Concerné? Ah ben super, là je me sens mieux.

— Il n’a pas voulu trop en dire, c’est tout. Mais déjà il ne m’a pas raccroché au nez, c’est plutôt bon signe.

— De toute façon je n’ai vraiment pas le temps de me préoccuper de cela.Vous pensez arrivez quand?

— On prend le train de nuit, on arrivera demain matin. 

— Je te fais une avance pour les billets?

— Je les ai déjà pris hier soir mais oui je veux bien que tu me fasses un versement, la prime de risque a fondu comme neige au soleil.

— J’espère que vous en avez bien profité?

— Oh oui, ne te fais pas de souci pour nous, mais comme ça on sera totalement opérationnels en arrivant. Tu vas voir, on sera tes atouts décisifs dans cette enquête.

— Je l’espère bien.

Sur ces paroles optimistes, Mathilde raccrocha et se prépara à la discussion importante qui s’annonçait entre elle et Ange.

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