Chapitre 6.2 – L’Amoureux (La prophétie des morts antiques)

5 mins

En arrivant dans la salle à manger, Mathilde essaya de repérer le plus vite possible celui qui l’attendait. Très vite elle comprit quelle avait été sa stratégie en voyant Pauline qui lui faisait des grands signes. Il avait mis une seconde barricade entre elle et lui : Nicole était là aussi. Elle respira et décida de ne pas se braquer. Une main sur son épaule, elle lui dit tout bas:

— Merci d’avoir accepté.

Il ne broncha pas mais elle ne le sentit pas hostile. Une chose après l’autre.

Elle salua chaleureusement les autres et remercia Sylvia pour les petits déjeuners supplémentaires. Le buffet aurait fait fondre n’importe quel grincheux mais peut-être faudrait-il plus que quelques brioches faites maison pour dérider un Ange en colère. 

Ils prirent le petit-déjeuner en parlant de choses et d’autres. Nicole était contente d’avoir convaincu Ange de permettre à Pauline de rester. Il resterait également et logerait avec l’équipe à l’internat du lycée. Il voulait garder un oeil sur sa fille. Mathilde voulut savoir si ça ne posait pas de problème qu’il ait quitté son séminaire parisien avant la fin, mais il avait eu le temps de faire sa communication alors il n’y avait pas vraiment de mal à être parti plus tôt. Pauline était contente de lui dire que Théo restait finalement aussi, avec sa mère. Alors qu’elle l’avait vue tempêter contre l’incompétence de tout l’univers la veille dans l’après-midi, elle avait du mal à comprendre ce revirement de situation.

— Pourquoi ce changement d’idée soudain.

Nicole lui répondit mais elle sentit le malaise s’installer dès qu’elle ouvrit la bouche.

— Eh bien, il y a du nouveau. Hier soir, nous avons reçu la visite de l’adjoint à la culture. Il a fait forte impression sur la maman de Théo et il nous a tous assuré que les fouilles pourraient reprendre rapidement, dès aujourd’hui en fait. Il veut faire de ce chantier un exemple de l’implication d’Arles dans le monde de la recherche archéologique. Il va y avoir une série de reportages sur les découvertes, sous forme de web série, il a d’ailleurs déjà twitter pour lancer les opérations.

— Je ne comprends rien…ça veut dire qu’on oublie le parking, je crois que c’est plutôt une bonne nouvelle, mais pour le reste…

— Eh bien, on est sûr qu’on pourra conserver les corps qui seront exposés au musée, pour le reste, pour l’emprise au sol, ça dépendra de ce qu’on trouvera.

— En gros s’il n’y a pas de colonnes bien visibles, ils vont quand même tout raser, en réussissant à faire passer pour une mission de sauvetage du patrimoine et tu es d’accord avec ça?

— Ecoute, ne me fais pas de leçon de moral ma petite, tout ceci est très compliqué et ce ne sont jamais les chercheurs qui ont le dernier mot, pour le moment on peut continuer à fouiller, c’est le plus important.

— Et pour le reste, l’enquête?

Cette fois-ci c’est Ange qui prit la relève en lui tendant le journal local. 

— Page 6.

Elle feuilleta avec réticence. Un entrefilet narrait succinctement l’arrestation d’un pauvre type pour le meurtre de Tristan. Crime de rôdeur. S’en suivait quelques phrases au sous-entendu délétère sur la hausse de la criminalité dans la cité antique avec l’arrivée des touristes, jeunes et dépravés et des gitans, suspects parce que allant et venant sans contrôle. On était mieux entre soi. Affaire classée.

— La police a un suspect et alors?

— Alors mon chantier de fouille n’est plus une scène de crime et c’est une bonne nouvelle ça aussi.

Mathilde se demandait si Nicole était soudainement naïve ou si cyniquement elle ne voulait plus rien voir en dehors de ses découvertes archéologiques quand elle sentit un coup de pied sous la table. Elle se reprit en voyant la mine un peu déconfite de Pauline.

— Oui bien sûr c’est une bonne nouvelle, donc ça veut dire plus de danger et la justice va pouvoir faire son travail.

— Ne me prenez pas une imbécile, intervint l’adolescente. Je suis peut-être jeune mais pas stupide. Je suis comme Mathilde, j’y crois pas une seconde à cette arrestation, il faut poursuivre l’enquête.

— Je n’ai jamais dit que je n’y croyais pas essaya de se rattraper Mathilde, mais intérieurement elle était bien contente d’être soutenue par Pauline. Et puis c’est Nicole qui m’engage, c’est à elle de me dire si je dois continuer l’enquête mais on parlera de tout ça plus tard. Pour le moment, j’aimerai te dire un mot en privé Ange, si tu veux bien m’accorder cinq minutes, tu avais l’air “d’accord” dans ton texto, tu veux bien me suivre dans ma chambre? J’ai quelque chose à te montrer, c’est important.

Elle insista sur la fin de sa phrase pour couper court à toute discussion. Les nouvelles qu’elles venaient d’apprendre lui avait fait perdre foi en ce début de journée parfaite et elle voulait aller au plus vite. De mauvaise grâce Ange la suivit dans l’escalier abrupt qui menait à sa chambre mais elle se fichait à présent de sa mauvaise humeur. Elle voulait le mettre au courant de l’avancée de son enquête personnelle et ça s’arrêtait là. Sans se retourner pour vérifier qu’il était bien sur ses talons, elle alla directement à son bureau, localisa le document qu’elle voulait lui montrer et le lui tendit. 

Il se tenait tout raide sur le pas de la porte.

— Arrête de faire l’idiot, entre.

Toujours avec réticence, il fit un pas et attrapa la feuille. Il ne disait toujours rien et Mathilde sentait la colère battre à ses tempes. Elle se retourna vers la fenêtre pour ne pas exploser. 

— Je dois voir quoi?

— Regarde les chiffres surlignés. C’est une grosse somme d’argent versée par Kaplan sur un compte non identifiables. Et regarde la date.

— Je ne vois toujours pas ce que ça a affaire avec le meurtre de…

— Je te le dis et le répète. Je suis sûre que c’est moi qui était visée et je suis sûre qu’ensuite si je n’ai rien subi c’est parce que quelqu’un m’a protégée. Kaplan, avec une grosse somme d’argent. Et ça c’est la preuve que j’ai raison et que c’est bien que je reprenne l’enquête, cette fois-ci je vais trouver. Mais tu ne veux pas le voir, tu ne me fais pas confiance.

Ange se radoucit et sembla marcher sur des oeufs pour lui répondre.

— Ce n’est pas du tout ça. J’ai confiance en tes talents d’enquêtrice et même je suis impressionnée par ce que tu fais sur le terrain. Mais j’ai peur. Pour toi. Si c’est encore une impasse, tu feras quoi? Moi j’ai envie d’avancer, pour moi, pour Pauline, pour toi aussi si tu voulais bien lâcher cette affaire. D’autant que pour moi ce chiffre ne prouve rien, à part peut-être que Kaplan faisait des machins financiers pas très nets. Ce qui ne m’étonnerait pas plus que ça finit-il à mi-voix.

Mathilde le fusilla du regard.

— On parle du gars qui m’a peut-être sauvé la vie, qui vient juste d’être enterré et toi tu le traite d’escroc?

— Allez Mathilde, ouvre les yeux, je croyais que dans ta branche on essayait de faire une croix sur la crédulité. C’est quoi le plus probable: qu’un type qu’on n’a jamais vu travaillé, avec un appartement hausmannien dans le sixième arrondissement de Paris, qui collectionnait toute sorte d’antiquité soit un peu escroc sur les bords ou que ce soit juste un gentil rentier qui ait cherché à te sauver la vie en se séparant de la moitié de sa fortune? Et puis pour qu’elle raison? Par amitié pour tes parents? Comment ils se connaissaient d’ailleurs, ça n’avait pas l’air d’être tout à fait le même monde, je me trompe?

Toutes ces remarques n’étaient pas très agréables à entendre mais il n’avait pas vraiment tord sur beaucoup de points. Et puis le voir s’impliquer ainsi était en fait bon signe, selon elle.

— Justement il y a encore pleins de choses à creuser, c’est pour cela que je dois continuer à enquêter. 

Ange soupira, désespérant de lui faire changer d’avis.

— Fais comme tu veux, mais tu ne m’embarques pas là dedans. Si tu as des questions précises, j’y répondrais, ponctuellement et si j’ai le temps. Je ne veux pas être tenu au courant de tes avancées ou de tes échecs. Je lirais l’arrestation du coupable dans les journaux. D’ailleurs tu devrais te concentrer sur ton autre enquête parce qu’on est d’accord que tu n’y crois pas à ce rôdeur?

— J’ai vraiment du mal avec ton indifférence, ça me brise le coeur. Pour le reste, c’était pas une blague, c’est Nicole qui décide.

— C’est comme ça, c’est mon choix, respecte-le. Et tu devrais parler à Nicole avant qu’on s’en aille. 

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