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Pour la seconde fois, Clotilde se retrouva dans le salon-chambre-cuisine de Mahaut. Celle-ci avait préparé du thé. Une sorte d’infusion avec des épices. Clotilde aimait bien, malgré le fait qu’elle fût avant tout amatrice de thés. Mahaut lui dit :
« J’ai fait mes recherches, par rapport à ce que t’as dit la dernière fois. Tu voulais des musiciens qui sont allés vers le texte. J’en ai. Les Last poets. C’est dans les années 70, des mecs qui faisaient de la poésie surtout, mais aussi de la musique. Dans leur deuxième album, This is madness, ils mélangent funk, jazz et poésie. Ils appellent même ça de la jazzoetry. Et ils font des concerts, donc pour le public, c’est d’abord de la musique d’un point de vue de l’expérience collective avant d’être de la poésie, même si le discours politique derrière les textes a aussi dû jouer. Et après, t’as Gil Scott-Heron. Il a commencé comme écrivain, mais c’était aussi un musicien. Il faisait du jazz, de la soul, ce genre de trucs. Et là, t’as les débuts du rap. Ça démarre comme de la musique, et on rajoute un texte par-dessus. C’est toute la démarche du sample qu’il y a avec ça. D’abord la musique, après le texte. Voilà, on a le B) du II).
— Il manque le III).
— On peut faire un truc tout con, comme, un parallèle dans les démarches de la poésie et du jazz.
— Comment ça ?
— Ben ce sont des arts sophistiqués, qui peuvent demander une grande technique et une grande érudition pour les créer, et les analyser, mais par contre, pour le public, ça peut être émouvant, même si tu comprends pas tout.
— C’est un peu le cas de toutes les formes d’art, non ?
— Boarf, les trucs d’art contemporain, genre performance en vomissant de la peinture, ou mettre un poisson rouge vivant dans un mixeur, je sais pas si ça demande beaucoup de technique, et si ça touche vraiment le public. C’est plutôt des concepts dont la réalisation est minimale, et qui demandent au public de faire la plus grosse partie du boulot d’interprétation. Par contre, un poème, ça peut émouvoir un enfant, même s’il connait pas les termes techniques pour les figures de style. Tu peux même émouvoir un bébé avec de la musique, sans qu’il y comprenne quoi que ce soit. C’est une réception innocente, naïve, d’un art sophistiqué.
— Bon, ben ok, pour ta troisième partie.
— Je récapitule, on va noter ça au propre. I) le voyage. A), la rencontre de l’Afrique et des Europes, B), l’attrait pour l’Orient. II), le dialogue entre les disciplines, A), les poètes allant vers la musique, B), les musiciens allant vers la poésie. III), plusieurs niveaux de lecture, A), une lecture émotionnelle, B), une lecture érudite. Ça te va ?
— Oui. Tu avais parlé de m’emmener quelque part.
— Viens, c’est pas loin. »
Elles se chaussèrent, enfilèrent chacune une veste, Mahaut entoura son cou d’un keffieh et elles marchèrent quelques minutes, avant d’atterrir devant un bar, la façade placardée d’affiches bricolées par des groupes punk, metal ou indie. De la cave montait une musique assez forte, un genre de blues rock. Mahaut dit.
« J’ai un pote qui joue ce soir.