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Elles entrèrent dans le bar et Mahaut alla commander deux pintes, dans des gobelets en plastique, vu que le patron n’a plus vraiment confiance en la capacité de ses clients de ne pas les casser par terre. Elle en tendit une à Clotilde qui but une gorgée en souriant. Elle s’en voulait un peu d’être partie précipitamment la dernière fois et elle était heureuse d’être là, avec elle. Puis elles descendirent un escalier dont la porte était surmontée d’un panneau « attention à la tête ».
En bas, elles arrivèrent dans la cave où était le concert. La musique était passée sur un genre de funk rock un peu énervé. Les gars étaient bien fans de Pimus, des Red hot chili peppers et de Stevie Ray Vaughan. Dans le public, des punks à chiens, des metalleux, beaucoup d’étudiants en arts, en lettres, en philo, des militants politiques, trotskistes, libertaires, habitués à des débats sans fin sur la modalité de la révolution, et beaucoup de pintes vides ou presque. Sur la scène, quatre gars. Un bassiste grassouillet à tête de mafieux cubain – surtout avec son fédora – immobile et impassible, un batteur tout maigre, bougeant juste ce qu’il fallait pour jouer les parties de morceaux dont il n’avait toujours pas retenu le titre pour certains. Sur un des premiers morceaux du concert, il n’avait même pas pris la peine d’apprendre à jouer un shuffle, et se débrouillait avec un rythme de valse à la place. Et bien souvent, le guitariste se demandait ce qu’il faisait dans le groupe, vu qu’il ne parlait que de foot et de bagnoles.
Seuls le chanteur et le guitariste s’agitaient en jouant. Le premier, un Antillais, dansait en tenant les feuilles des paroles qu’il n’avait toujours pas apprises. Sa cravate était défaite, et ses bretelles n’étaient pas sur ses épaules, traînant le long de ses cuisses. Son front se dégarnissait un peu plus chaque jour depuis la naissance de sa fille, et la décision du juge de la garde alternée. Le second, derrière une Gibson recouverte d’autocollants, secouait une grosse tignasse noire dans tous les sens. Il portait comme à son habitude une chemise à carreaux, en fan de country et de grunge qu’il était, malgré l’avis contraire du reste du groupe. Et comme bien souvent dans ce genre de groupe, c’était aussi le fan de metal de la bande. Mahaut le montra :
« C’est lui. Tu verras, il est sympa. »
Les morceaux s’enchaînèrent, entre gros plus rock gras avec de la slide, du shuffle et des bends sur des gammes pentatoniques, et funk plus dansant, gavé de cocottes, de slap et de contretemps. Pour tout dire, le public bougeait un peu la tête, mais ne dansait pas vraiment. Tant pis, ils allaient jouer comme si les gens étaient vraiment fans. En ne sachant pas encore que c’était un de leurs derniers concerts ensemble. Un de leurs derniers concerts tout court pour certains. Puis le chanteur cria :
« On a dépassé l’horaire autorisé. Alors, on va finir sur une valse, alors si vous voulez inviter quelqu’un à danser, c’est le moment ou jamais. »
Mahaut tendit la main à Clotilde, surprise. Elle fit une révérence, et accepta. Mahaut dirigeait, et Clotilde se laissait guider sur une sorte de valse lente, avec des sonorités folk, puisant dans la tradition d’Europe centrale. Elle ne comprenait pas vraiment les paroles, mais ça donnait quelque chose comme ça :
« Un vieillard erre au milieu du jardin, de ses souvenirs embaumés de jasmin
des querelles et des larmes de l’enfance, des blessures et des plaies que l’on panse
de la solitude dans le noir, et des peurs qui commencent le soir
des mauvais rêves qui hantaient ses nuits, et toutes les choses qui s’enfuient »
Alors qu’elles tournoyaient, Clotilde se rendait compte que Mahaut avait une assez grosse poitrine, et qu’elle aimait être collée contre elle. La main gauche qu’elle avait posée sur le dos de Mahaut, commença à glisser le long de ses reins, de ses fesses, ce qui ne déplut pas à Mahaut. Quelques autres couples s’étaient formés autour d’elles, et certains spectateurs les regardaient lubriquement. Clotilde s’en fichait. Pour une fois, elle se moquait complètement de ce qui pouvait se passer autour d’elle, elle se sentait bien et posa sa tête dans le cou de Mahaut. Qu’importait le regard des autres, du moment que cet instant pouvait durer une éternité.
Après la fin de la chanson, elles se regardèrent en riant bêtement, sans trop savoir quoi se dire. Mahaut prit la main de Clotilde et lui dit :
« Je vais te présenter Enguerrand. »
Arrivées vers lui, ils n’échangèrent que quelques mots, et il leur demanda d’attendre en haut, le temps que le groupe range le matériel.