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Les trois attablés autour d’un pichet, la conversation est animée.
« Alors tu me présentes ta copine ?
— C’est Clotilde, elle est en lettres classiques, on a quelques cours en commun.
— Cool, t’es plutôt latiniste ou helléniste ?
— Helléniste.
— Tu vas devenir prof ?
— Probablement. »
Mahaut avait pris la main d’Enguerrand et lui demanda.
« Alors, ça va ?
— C’était y a presque deux mois, ça va, j’arrive à jouer t’as bien vu.
— Oui, y a les gens ordinaires comme nous, puis y a les génies comme toi. »
Pendant que Mahaut disait ça, elle grattait la tête d’Enguerrand. Clotilde demanda :
« Qu’est ce qu’il s’est passé ?
— Je me suis cassé la main dans une bagarre.
— Hein ?
— Oui, un gars qui appréciait pas que je baise sa femme.
— Mais c’est horrible.
— Non, ça va, t’as vu, j’ai réussi à jouer. Je fais encore un peu de kiné. »
Et alors que Mahaut continuait à gratter la tête d’Enguerrand, elle s’assit sur ses genoux. Clotilde se leva et sortit, dans la rue. Elle se mit à courir. Mahaut la suivit et arriva à la rattraper par le bras. Les larmes au bord des yeux, Clotilde se retourna et gifla Mahaut. Puis elle l’attrapa par la nuque, et l’embrassa. Après un très long et très passionné baiser, entrecoupé de morsures, Mahaut répondit :
« Depuis le temps que j’attendais ça. »
Enguerrand arriva par derrière et lança.
« Et si au lieu de vous rouler des galoches dans la rue, on allait danser, j’ai pris ma part de la caisse du concert. Les autres finissent de ranger sans moi, de toute façon avec la main pétée, je peux rien porter de lourd. »
Il les emmena vers un petit bar, avec une longue file d’attente devant. De l’extérieur, cela semblait minuscule. Lorsqu’il arriva devant le videur – un petit gars très sec, très musclé, avec une coupe de viking, les cheveux longs sur le dessus et tressés, les cotés du crâne rasés – qui le connaissait bien le fit entrer. La file est pour les clients sans carte d’adhésion. Mahaut avait sa carte elle aussi. Le videur laissa Clotilde entrer. Enguerrand avait une carte en plus dans sa poche qu’il lui avait donné quelques instants auparavant.
À l’intérieur, c’était bondé, très chaud presque étouffant. La première impression de petitesse du lieu ne se démentait pas vraiment. Sur les murs, des personnages de cartoons de Tex Avery. Des banquettes dépareillées. Une petite piste de danse à côté du DJ. Pas d’alcool plus fort que du vin ou de la bière. Ils n’ont jamais eu la licence IV. Mais tout le monde s’en fiche. Personne n’y va pour le confort du lieu, ou boire des cocktails. Ici, ce qui importe, c’est l’ambiance, et cette impression au fil de la nuit que tout est possible avant que ne se lève le soleil. Enguerrand alla au comptoir et commanda trois bières à un barman torse nu, la quarantaine, le crâne rasé, portant un bouc et des piercings aux tétons, ainsi que des tatouages tribaux réalisés au début des années 2000. Quand il revint vers elles, elles étaient assises sur une banquette défoncée, se tenant par la main, se souriant bêtement.
« Tu m’avais pas dit que c’était ta meuf.
— Moi non plus je ne savais pas. »
Mahaut éclata de rire. Clotilde la dévorait du regard.