Un parfum de scandale

7 mins

12 novembre, 18 heures 50.

Quelle météo d’automne exécrable ! Non seulement il pleut à verse depuis trois jours, mais en plus un vent polaire s’est abattu dès potron-minet sur la capitale, faisant brutalement chuter les températures. Personne n’en ressort indemne, tellement le froid pénètre dans les chaires, à en geler la moelle osseuse. Ainsi et comme souvent, ces journées affreuses, pire que des perturbateurs endocriniens, sont de véritables poisons de l’esprit et du bon sens. Si bien, qu’à cette heure tardive, de longs serpentins métalliques hurlants, restent nouées sur les principaux axes routiers.

A l’abri des caprices de la météo et de la cacophonie routière, trois hommes en costard-cravate sombre, discutent. Ils sont confortablement installés, dans un salon situé au troisième étage d’un appartement de grand standing des beaux quartiers de la capitale, offrant une ambiance harmonieuse et reposante. Décoré et meublé avec goût, il incarne l’élégance d’une ville qui jadis, fut lumière. Le mobilier de bois massif, puise dans la nature ses formes courbes et les ornements floraux. Un Beretta automatique ainsi qu’une bouteille de Château-Margot 1985 reposent sur un guéridon.

La réunion n’a rien d’anodin. Cela fait plusieurs semaines déjà que se préparent, en coulisse, les prochaines élections présidentielles. Or, jusque-là, le pouvoir politique en place se sentait plutôt à l’abri. Les sondages sont largement favorables au président sortant, malgré le maigre bilan économique du gouvernement, mais l’opposition, morcelée et divisée, n’arrive pas à adopter une posture crédible. Pour l’instant. Car des rumeurs insistantes – corroborées par des sources sérieuses étrangères – annoncent l’avènement d’un concurrent sérieux. Si celui-ci se présente aux élections, les affaires futures du président sortant seront compromises.

Les trois comparses discutent solennellement de la meilleure façon de « favoriser le destin ». Les débats sont bien avancés, lorsqu’un téléphone portable sonne. Un des trois hommes se lève et s’écarte de quelques mètres, écoute un message enregistré prononcé par une voix à l’accent étranger, range l’appareil.

– (Voix 1) Quels sont les nouvelles ?

– (Voix 2) Nous avons trouvé des alliés de poids !

– (Voix 3) Ah très bien, et que proposent-ils ?

– (Voix 2) Ils acceptent nos plans, mais à leur sauce. Ça va chauffer, les gars.

– (Voix 1) Ça va chauffer comment ?

– (Voix 3) Ils veulent le descendre ?

– (Voix 2) J’attends les détails précis, mais la cible, elle va morfler… une descente aux enfers.

L’homme visé est le dirigeant politique d’une institution économique internationale. Il doit son ascension à ses amis politiques et la bienveillance de l’actuel chef d’État. Il s’approche de la soixantaine, baladant son train de vie et sa grosse bedaine entre son bureau à Washington DC et les hôtels cinq étoiles, à la rencontre des chefs d’état ou grands capitaines d’industrie. Très intelligent, brillant, brillantissime de l’avis même de ses conseillers, il les inquiète toutefois aussi assez souvent par sa désinvolture et son hédonisme. L`homme est en plus misogyne et abuse ouvertement de son pouvoir sur les femmes. Son attirance pour le sexe féminin le perdrait lui avait prédit, 35 ans plus tôt, son meilleur ami, le jour de la remise des diplômes d’une prestigieuse école d’administration publique.

***

2 décembre, 17 heures 00.

En visite à Berlin, pour une conférence européenne sur la gestion de la dette publique, il est interrogé par des journalistes sur l’éventualité d’une candidature à la présidence de la république. Il ne dit pas un mot, mais ses réseaux travaillent en coulisses. Berlin voit sa candidature d’un très bon œil et le lui fait discrètement savoir. D’autres posent des questions insistantes sur des soupçons de favoritisme envers une collaboratrice de l’institution qu’il dirige. Il s’étonne, visiblement contrarié par les questions, que les talents de sa collaboratrice ne puissent être reconnus.

Le lendemain, les tabloïds en profitent pour faire souffler le parfum du scandale, mais à Noël, plus rien ne transpire dans la presse nationale. Un vaste plan d’attentats djihadistes vient d’être déjoué par le renseignement. Le monde politique et la presse se pressent de débattre de la sécurité intérieure et de l’immigration. La publication d’une plainte pour abus sexuel contre le dirigeant de l’instance financière internationale sur une jeune journaliste passe complètement inaperçu.

***

4 janvier, 7 heures 35.

Le ciel s’est lentement dégagé après la pluie de la veille, laissant la place à un épais brouillard. Durant la nuit, les températures ont dégringolé pour passer sous le point de congélation. Le trafic routier est particulièrement perturbé ce matin. Parti du bureau local du FBI, une voiture banalisée s’engage hasardeusement sur Atlantic Avenue, avec à son bord deux agents. A peine une heure plus tôt, le conducteur avait embouti son véhicule de fonction sur une plaque de glace. D’habitude bavard et joyeux, cet incident l’a psychiquement bouleversé. Son humeur est devenue massacrante. Sur le trajet, son collègue fait ce qu’il peut, à coups de ne-t’en-fais-pas et de blagues vaseuses, mais rien n’y fait. Et puis, il y a cet ordre de mission absurde, alors qu’il aurait pu passer la matinée au chaud.

– Au lieu de bougonner, prends à droite au prochain feu, E.T.A. une minute. Et j’espère que tu n’as pas oublié les blousons que nos collègues nous ont prêtés….

Habibatou Ndiaye, s’apprête à sortir de son petit appartement, au cœur du quartier d’East New-York, lorsqu’on sonne à sa porte. Derrière le judas, elle aperçoit deux individus. L’un est de type hispanique, qui semble aussi préoccupé que terrifiant. L’autre au contraire, de type afro-américain est détendu et porte le regard droit. Elle croit reconnaître sur leurs blousons le sigle des services sociaux et ouvre la porte.

– Bonjour Madame Ndiaye, New York Social Departement., nous avons un job pour vous, nous pouvons entrer ?

Habibatou Ndiaye avait une quinzaine d’années lorsqu’elle avait fui la Casamance, en proie aux tensions séparatistes et aux difficultés économiques. Mariée de force dès l’âge de 13 ans, elle a subi deux ans durant les violences d’un homme dix ans plus âgé, jusqu’à ce qu’une mine antipersonnel ne le tue. C’est grâce à un concours de circonstances qu’elle obtient un billet d’avion et un passeport falsifié, avec lequel elle arrive à New York, il y a un peu plus de 10 ans maintenant. Depuis elle enchaîne galères et petits boulots, aidée par les programmes sociaux new new-yorkais et la communauté Peul du quartier.

– Vous allez connaître les fastes des hôtels de luxe de Manhattan. Votre vie va changer, Madame.

– Et si je refuse ?

– Madame Ndiaye, bien sûr que vous pouvez refuser. Nous vous laissons le choix : suppression de vos aides sociales, réévaluation de votre statut par le département de l’immigration et expulsion ou bien, …

– …Le rêve américain, Madame Ndiaye, tout simplement le rêve américain pour un petit job de cinq minutes.

– Vous voulez m’humilier !

– Une humiliation de plus ou de moins, quand on sait qui vous êtes et d’où vous venez, ça change quoi ?

A Paris il est 23 heures. Le président va se coucher après une conférence téléphonique avec le chancelier allemand. Un sommet européen est prévu, le surlendemain. Au même moment, le premier conseiller du chef d’État reçoit un coup de fil du conseiller du chef d’état-major de la DGSE : le plan d’action vient d’être mis en place.

***

18 janvier, 11 heures 30.

Suite 6201, dans un Grand Hôtel de Manhattan. L’homme est anxieux. Il a reçu voici quelques semaines un courriel à son bureau, à Washington. « On » lui en voudrait, il faut s’attendre à un coup bas prochainement.

La semaine de travail a été pénible et il a peu dormi. Il décide de prendre un bain et se relaxer avant de partir déjeuner. Son trois-pièces et sa chemise s’éparpillent sur le lit. Le gras de son embonpoint fait « blop » sur le bas ventre en retombant. Devant le miroir, il se gratte les joues, fait la moue. Ses yeux louchent vers le nombril, il ne voit plus ses orteils. Toutes ces années de travail assidu, de réunions et ripailles, les nuits courtes, le stress ont eu raison de la sveltesse de ses vingt ans. Bien que son téléphone portable sonne, il se laisse un peu de répit et plonge dans la baignoire pour quelques minutes de repli.

Dans les couloirs, le chef d’étage organise le service de chambre. Une jeune femme doit faire les cinq suites numérotées 6101 à 6501.

***

18 janvier, 11 heures 38.

Une femme de chambre, de type africain, utilise sa carte électronique et entre dans la suite 6201. Comme d’usage, elle annonce « Ménage ! », mais personne ne répond. Elle commence par ranger le plateau du petit-déjeuner sur le chariot, puis plie proprement les vêtements négligemment jetés sur le lit et les dépose sur une commode. Elle change les draps du lit qui reprend une allure présentable.

La femme de chambre se dirige ensuite vers la salle de bain et y entre. Le banquier sort de sa torpeur au moment où la femme referme soigneusement la porte. Il observe silencieusement la scène. Elle retire sa blouse de travail et la pose sur un tabouret. L’ébène de sa peau souligne des formes généreuses. D’abord surpris, l’homme sent son excitation prendre le dessus, sort du bain et la prend violemment. La soubrette se laisse faire sans broncher, ne laissant apparaître aucune émotion. La satisfaction se lie aux rictus sur les lèvres du banquier, qui met beaucoup d’entrain à satisfaire son ego. L’affaire à peine terminée, la femme de chambre se rhabille. Pendant ce temps, lui, gazouille. Soudain elle griffe et gifle l’homme, qui se fâche et contre-attaque. Elle tombe violemment au sol, se relève et s’en fuit. L’homme s’habille, rassemble ses affaires sans précipitation.

Les caméras de surveillance placées dans le lobby et à l’extérieur de l’hôtel filment l’homme rejoindre avec nonchalance le taxi qui l’attend. Il sera légèrement en retard au déjeuner.

***

Bureau de la NYPD, 15 heures 20.

Une plainte pour agression est déposée par téléphone, par une femme qui se dit être responsable du service VIP d’un hôtel de luxe. L’agent de police contacte alors une ambulance et lance un appel à la patrouille la plus proche du lieu du crime.

La victime est rentrée chez elle, annonce-t-on aux deux policemen, un homme et une jeune femme, tout juste diplômée de l’académie. Ensemble, ils effectuent un état des lieux scrupuleux, interrogent avec zèle le personnel et les managers de l’hôtel. Le nom du client de la 6201 sort très vite. Dans le doute, les policiers informent immédiatement leur agent de liaison, qui lui-même téléphone immédiatement au FBI.

Stupeur dans les chancelleries consulaires. Un ordre d’arrestation international vient d’être promulgué. A l’Élysée, le président ne doit en aucun cas être dérangé. Officiellement, il dort.

***

19 janvier ; 01 heures 45 du matin.

Quelle météo exécrable ! Non seulement il s’est mis à neiger à gros flocons juste pour la sortie des bureaux, mais en plus, un vent polaire souffle depuis trois jours sur la capitale. Cela fait cinq ou six ans que les franciliens n’avaient pas revu la neige, cette onzième plaie biblique, qui à chaque fois, perturbe l’esprit et le bon sens. Si bien, que jusque tard dans la nuit, de longs serpentins métalliques hurlants, restent figés sur les principaux axes routiers.

A l’abri des caprices de la météo, trois hommes en costard-cravate s’amourachent avec des jeunes femmes dénudées, payées pour l’occasion. Ils sont confortablement installés, dans un salon privé situé au troisième étage d’un appartement de grand standing. Un Beretta automatique ainsi qu’un Hennessy Spécial reposent sur un guéridon.

Un téléphone portable vibre. Un des trois hommes consulte le message et annonce :

– Le pigeon est en cage.

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