[2] Un rêve en rime
Je fixai le ciel, il me fixa en retour, et je compris qu’il était temps de me plonger dans mon rêve. L’imaginaire n’attendait pas, il m’aspirait en lui et me guidait dans mon idéal. Il y avait un rêve que j’avais toujours voulu réaliser : celui de devenir poète. Poète, ou slameur pour le dire de façon plus moderne. Malheureusement l’image du rap, du slam, était comme une photo qu’on avait roulée en boule puis dépliée : elle était toute froissée, et certains continuaient de lui donner des coups de ciseaux.
Moi, je voulais entendre le piano derrière moi, la batterie qui commence à instaurer un rythme, et une guitare nuançant chacun de mes mots. Je voulais voir un public, qui ne criait pas des atrocités, mais qui pleurait sous le poids de mes propos. Je voulais qu’on entende ce que j’avais à dire, que mes textes fassent le tour du monde, qu’ils transmettent à chacun mes peurs et mes rires, et qu’au fin fond d’une île au milieu de rien, ils se sentent compris par l’air de mes refrains. Le rap, c’est une rébellion, une révolte ! Ce n’est pas un sujet tabou, qui fait honte, c’est une musique marquante, qui doit changer les esprits, les ouvrir, et faire comprendre les choses dont le monde n’a pas pris la peine de se souvenir.
Être slameur, c’est être poète avant tout, et être poète, c’est maîtriser une langue et dompter des mots, c’est écrire en vers ce qui nous bouleverse, et faire rimer nos révoltes et nos fiertés. Être slameur, c’est prôner la liberté d’expression, c’est faire un discours sous l’acclamation d’instruments, c’est être honnête avec ses valeurs, c’est écrire des phrases qui en jettent pour effacer ses peurs.
Je vous laisse imaginer la tête de mes parents si je leur disais que je voulais me convertir dans la chanson, et en plus dans ce genre avec une telle réputation… Jusque-là, je les laissai croire en mon avenir de grand homme et continuais à m’appliquer dans mes études. Si jamais ma carrière musicale ne prenait pas, alors j’aurai de multiples choix de reconversion, et si elle marchait, alors je serais un slameur instruit, je ne passerai pas des théorèmes aux paronomases, mais j’userai de mon savoir pour écrire des textes toujours plus poignants et proches du réel !
La question, celle que tout le monde se pose, c’est : “Comment ?”. C’est beau les rêves, ça donne le sourire, mais si on ne veut pas que la déprime nous atteigne, il faut vite répondre à la question. Une fois la réponse en bouche, il faut y croire, y croire plus que tout, parce que plus les convictions sont fortes, et plus elles deviennent réalité. Moi, pour réaliser mon rêve, je voulais me faire connaître pour mes textes, je voulais qu’on se dise en voyant mon nom : “Eh ! Ce serait pas le gars qui écrit trop bien ? Il a une plume de dingue, un vrai poète !”.
Je vous rassure, je ne suis pas narcissique. D’ailleurs, ce genre de pensées m’était totalement interdit auprès de mes parents. Ils me répétaient en boucle “Marcelin, sois fier de toi, mais jamais au point de t’en vanter”. M’applaudir, c’était dire au revoir aux succès. C’était l’un des seuls points sur lequel j’avais toujours été d’accord avec eux. Jamais je ne serai tourné vers moi-même, toujours vers les autres, je prônerai l’altruisme et la modestie. Ces valeurs, pourtant, n’allaient pas avec mon rêve. Être connu ne m’importait pas vraiment, mais comment vivre de ses mots sans l’être ? Et comment rester altruiste si on voulait le devenir ?
Je trouverai une solution, en attendant, il me fallait une réponse à la question. Sinon je restai bloqué, et même si je tentai d’avancer je serai comme sur un tapis de course, à m’essouffler sans but, et à perdre mes moyens sans n’avoir rien parcouru. J’avais bien une idée un peu folle, mais les rêves méritaient qu’on les associe aux folies. Avant d’atteindre le rang de star internationale, je devais tout d’abord évaluer mon talent, et à part me faire lire par quelqu’un, je ne voyais pas comment concrétiser mon projet.
Je tournai les pages de mon carnet, à la recherche du poème parfait, mais je ne le trouvai pas. Il y avait de tout dans ce bouquin. Mes projets d’avenir, mes pétages de plombs en vers, les histoires que je me racontais en prose, mais il n’y avait pas le poème qu’il me fallait. Il n’était pas là. Pas encore. Stylo en main, je fermai les yeux, puis je les ouvrai, regardai le ciel sombre, ma page blanche, et mes mots s’aligner d’eux-mêmes au fur et à mesure de mon inspiration.
[…]
Un rêve, c’est plus qu’une simple idée abstraite
C’est un voyage permanent aux quatre coins de la tête,
Un univers rien qu’à toi qui pourrait devenir réel,
Un souhait dit impossible qui t’envoie haut dans le ciel.
Un paysage de conte de fées, qui te berce et qui te hante,
Un imaginaire parfait dont tu t’écartes mais qui t’aimante,
Un monde enfermé qui te supplie de le dévoiler,
Une planète isolée voulant sortir de tes pensées.
Quand donc te lèveras-tu, un objectif au bout des doigts ?
Quand donc l’empoigneras-tu, cette vie qui n’appartient qu’à toi ?
Quand donc te rendras-tu compte que la joie n’est pas qu’un songe ?
Quand donc croiras-tu assez en ces pensées qui te rongent ?
[…]
Je souris, non-mécontent de mon texte, et après m’être relu rapidement, j’accordai un regard au ciel, qui n’avait cessé de me surveiller. Il se faisait tard, je n’avais pas besoin de regarder l’heure pour le savoir. Je ne voyais plus les étoiles, seulement un ciel noir, un noir profond, sans imperfection. Mes paupières se fermaient. Je me levai alors, et lentement, me traînai jusqu’à ma fenêtre, par laquelle je me laissai glisser. Je descendis de mon bureau, enlevai mon pull, et m’allongeai sur mon lit.
L’heure n’était plus aux rêves et aux manigances, mais aux rêves qui font que mes pensées dansent.
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Si la chanson entière vous intéresse : https://reveille6.webnode.fr/l/chap-2-un-reve-en-rime/