[6] Le temps est un sablier qui court
Les examens s’enchaînaient comme les heures qui s’interposaient entre eux. J’avais l’impression qu’à peine je clignais des yeux, les ouvrir me menait devant une porte de salle de classe, où le professeur nous assénait de questions plus dures les unes que les autres afin de tester notre niveau.
Je n’aimais pas les périodes d’examens. Je ne pouvais pas divaguer dans mon esprit et le temps que je devais passer à écrire des poèmes, je le passais à apprendre par cœur des définitions qui ne me serviront sûrement jamais. De plus, mes camarades de classe me reprochaient de les ralentir dans leur ascension sur le podium des élèves, et mon dos était constamment menacé. Seule leur dignité les empêchait d’utiliser la violence pour me sortir d’une compétition à laquelle je ne participais même pas.
Pourtant, je ne baissais pas les bras. Tout en ignorant leurs piques, je continuais de m’enfermer dans ma chambre pour travailler, d’aller discrètement manger devant la mer, et de faire mes petites balades de fin de journée. Qu’ils gâchent leur vie, mais je n’allais pas les laisser gâcher la mienne.
Un soir, je croisai deux garçons de mon niveau dans les couloirs de l’internat, et quand j’arrivai devant la porte de ma chambre, je vis que quelqu’un avait essayé de forcer la serrure. Quand je me retournai les deux ados avaient disparu, c’étaient sûrement eux qui avaient voulu s’y infiltrer. La compétition entre élèves commençait sérieusement à m’effrayer.
Durant une pause récré, je m’éclipsai discrètement. L’heure prochaine avait été annulée, et je voulais voir la mer au moins une fois dans la journée, prévoyant de passer ma soirée à réviser.
— Encore là ? lança une voix que je commençais à connaître.
Je croisais Yasmine de plus en plus souvent, dans les couloirs et pendant mes pauses marines, et même sans vraiment me confier à elle, je commençais à la considérer comme une amie. Je souris et m’asseyais à ses côtés sur le muret. Elle me raconta sa journée, sa relation à distance avec Arsène qui s’était trouvé une nouvelle école, elle critiqua ses camarades de classe, me citant tout ce que Constance avait dit d’insupportable pendant le cours de mathématiques – et la liste était longue –, ses délires avec ses amis, ses dernières notes, les résultats des examens blancs, tout cela sans s’arrêter. Elle arrivait à faire un condensé de toute une matinée en un bloc, comme si elle déballait tout, expirait un air qu’elle gardait au fond de sa gorge depuis qu’elle s’était levée.
Je ris à ses histoires, et critiquai avec elle cette pauvre école qui était la cible de tous nos mots. Étant la seule personne avec qui je parlais de manière détendue, j’appréciais beaucoup les moments que nous passions ensemble, à crier — pas trop fort — au ciel à quel point nous haïssions ce système d’élite, à rêver à voix haute, à dire tout ce qui nous passait par la tête, et à simplement sourire devant l’infinité de la mer face à nous. Ce qui était bien, c’était que l’un comme l’autre, on pouvait tout déballer sans avoir peur que nos propos soient rapportés. Alors qu’avec les autres, amis ou pas, on devait toujours faire attention à ne mépriser personne, à garder pour nous toute cette colère contre cette école, à jouer aux élèves modèles, à se cacher derrière ce costume, sans jamais être libre d’écrire le scénario et les répliques de nos personnages.
Alors qu’elle se lamentait de l’ambiance de sa classe, je rebondis en lui parlant de mes “concurrents”, qui semblaient prêts à faire n’importe quoi pour être sous la lumière devant tout le lycée, et voir leurs noms affichés dans la liste des meilleurs étudiants.
— Je ne sais pas si je peux vraiment t’être utile, me dit-elle, mais surtout, s’ils essayent de te détourner de ton rêve, ne les écoute pas. Sois le seul qui décide du chemin que tu prends. Toujours.
Sur ces sages paroles, elle me salua et repartit vers l’établissement. Je méditai un temps à ce qu’elle venait de dire, en tête-à-tête avec une brise marine. Je restai encore assis là quelques minutes, et philosophai sur la vie, ma vie, sa vie, toutes ces vies qui commençaient de la même façon, mais qui ne se terminaient jamais pareil.
Quand on est étudiant, on a l’impression que tout passe trop vite. Les moments avec ses proches, ses amis, les moments seul, une fois qu’ils sont finis on se demande pourquoi le temps défile à cette vitesse. Pourquoi on ne peut pas faire plus de choses plus longtemps ? Et nous les poètes on commence à délirer sur le sadisme de l’horloge, le mépris du Soleil et de la Lune qui continuent de se lancer la balle, sans penser à l’avis que nous pourrions avoir sur leur partie sans fin qui va trop vite pour qu’on puisse la suivre.
Après un bref coup d’œil vers ma montre, je me laissai encore quelques tours avant de me lever et sortis une feuille de mon sac. Comme tant d’autres l’avaient fait avant moi, je me décidai à écrire sur ce temps, cette existence vaine que nous menions tous. Ce sujet avait été traité des milliers de fois, mais personne ne voit le temps de la même façon. Le temps est une chose universelle et subjective, et c’est ça, qui le rend si mystérieux et incompréhensible.
On représente souvent le temps par un sablier, mais il ne faut pas oublier que le temps n’est pas le sablier, il est le sable enfermé à l’intérieur qui le traverse à l’infini.
[…]
Un beau jour le temps est parti,
Une aiguille devant l’autre il a passé la ligne,
Et beaucoup ont tenté de se retrouver devant lui,
Mais personne ne court aussi longtemps en restant digne.
Il ne s’est jamais arrêté pourtant
Voilà des millénaires que sa course a commencé,
Depuis la nuit des temps il trottine posément
Champion olympique sans ligne d’arrivée.
Ses pas se posent à allure régulière,
Son souffle est sûr et contrôlé,
Il est virtuose dans l’art du saut de barrières,
Un sportif prêt à tout pour avancer.
Nonchalamment il parcourt les époques,
Sa course trace les siècles et l’Histoire,
Il passe des chants antiques aux baroques,
Voit se succéder défaites et victoires.
[…]
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La chanson entière : https://reveille6.webnode.fr/l/chap-6-le-temps-est-un-sablier-qui-court/