Rêveillé (7/15)

5 mins

[7] Les augures du climatiseur

Le coq réglé à 7h hurla dans mes oreilles, et j’assénai sur sa crête mon poing lourd de sommeil et les grognements habituels qui l’accompagnaient.
Ce jour-là était le premier jour des vrais examens qui décideront si j’allais devoir quitter l’établissement, ainsi que ma dignité envers ma famille, ou si je devrais rester et subir une nouvelle année. Même si une partie de moi gardait espoir pour que mes parents aient la merveilleuse idée de me changer d’établissement, je n’allais pas échapper à ces épreuves.

Mes yeux incapables de s’ouvrir, je restai ainsi un moment, allongé sur le dos, les yeux fermés, à ne rien faire. Hier, j’avais révisé jusque très tard, et mes leçons de philosophie avaient empiété sur mes heures de sommeil. Je faillis me rendormir en me ressassant les citations de Voltaire, de Rousseau, les théories de Descartes, celles de Platon et Socrate, mais je finis par me frotter vivement les yeux et par sortir de sous ce drap qui me semblait si confortable.

J’appuyai sur l’interrupteur et mon Velux laissa passer progressivement les rayons du soleil qui même si je fermais les yeux, semblaient à tout prix vouloir aveugler mes pupilles. Je m’habillai et accrochai ma montre autour de mon poignet.
7h30. Il me restait vingt minutes avant le début de la première épreuve. Comme rappelé à l’ordre par le temps qui défilait, je me pressai et descendis avec mon sac chercher de quoi manger, histoire de ne pas mourir d’inanition devant ma copie.

Au réfectoire, la queue était comme infinie. Stressés par les épreuves qui arrivaient, certains engloutissaient trois plateaux-repas et venaient sans cesse se resservir. Les tables ne se vidaient pas, et quand je sortis du self mon plateau à la main, je dus me résoudre à prendre la table en dessous du climatiseur.
Ce dernier fonctionnait toute l’année, même en hiver, et refroidissait tous vos plats avant même que vous ne puissiez les commencer. Il avait rendu cette table maudite. Frissonnant sous ce souffle nordique, je me pressai d’avaler mon déjeuner tout en relisant une dernière fois mes cours.
L’air rejeté par la machine semblait vouloir me prévenir que quelque chose se tramait, et les frissons qu’elle me provoquait n’étaient peut-être pas dû qu’à son souffle glacial, ils faisaient circuler une odeur de mauvais pressentiments.

Arrivé pile à l’heure dans la salle d’examen, je m’assis à la table qu’on m’indiquait et au signal, commençai à composer.

 

Quatre heures plus tard, on lève d’un même geste nos stylos. Je n’étais pas peu fier de mon travail et remerciai mes révisions qui m’avaient mis en retard ce matin. Mon ventre à présent criait à la mort et allait bientôt mener une révolution en criant “Du pain !”, je sentais les arquebuses commencer à se charger alors que j’allais m’acheter un sandwich à la cafétéria. Voulant quitter l’ambiance suffocante des examens, je rejoignis Yasmine pour partager mon repas avec elle et la mer.

On discuta de nos épreuves, et elle me raconta une nouvelle fois sa vie. Je lui parlai de mon réveil difficile et de mon départ quelque peu mouvementé. Elle se moqua de moi, puis me demanda si j’avais écrit de nouveaux textes. Avec un grand sourire, je fouillai dans mon sac à la recherche de mon carnet, quand mon cœur faillit s’arrêter.

Dans mon sac, il n’y avait qu’une trousse et les quelques cahiers des matières évaluées. À cause de ma somnolence, j’avais oublié mon précieux carnet dans ma chambre. Je me retournai vers mon amie, alarmé, et alors qu’elle comprenait mon angoisse, je lâchai, paniqué :

— Je n’ai pas fermé ma porte à clé ce matin.

Elle me pressa de vite remonter dans ma chambre, de m’assurer qu’il était encore bien là, ce que je fis. Je montai les escaliers quatre à quatre, profitant qu’il n’y ait personne dans la partie internat pour courir en mode automatique jusqu’à ma chambre, et j’ouvris la porte. Mon cahier devait être mis en évidence sur mon bureau, un crayon servant de marque-page glissé là où j’étais arrivé.

Le verbe “devoir” était de circonstance. Un pas dans la pièce et je le sus. Quelqu’un était venu, et avait pris le cahier. Ce cahier dans lequel j’avais écrit très clairement que je voulais devenir un artiste, un slameur, un rappeur de plus. Mon optimisme pointa timidement son nez et me fit retourner les meubles, le lit, le bureau, à la recherche de ce précieux manuscrit, mais je cherchais sans conviction. Je savais au fond de moi que ça allait arriver, qu’un soir, j’allais rentrer et j’allais voir qu’il avait disparu. Je fus tout de même abattu.

Pourquoi maintenant ? Alors que l’année était presque terminée, alors que les examens commençaient, alors que c’était la période juste avant les vacances, où j’allais côtoyer ma famille jour et nuit pendant deux mois. C’était sûrement un des garçons de ma classe qui avait profité de ma maladresse pour revenir ici avant moi, et s’emparer de mon avenir. En plus de ça, j’avais perdu tous mes poèmes. Je ne les avais jamais recopiés sur ordinateur ou sur d’autres feuilles, tout était là. “était”.

Dépité, je sortis de ma chambre, et m’attendis à ce qu’à n’importe quel coin d’un couloir le proviseur me toise en disant “M. Coudert, j’ai appelé vos parents. Vous êtes renvoyés.” avec sa mine fermée et sérieuse qui affichait autant de sourire que le nombre de cheveux qu’il avait sur le crâne – c’est-à-dire un pour sa femme le matin et un pour ses enfants le soir.

Je m’assis sur l’un des bancs de la cour, et voyant que rien n’arrivait, je me mis à réviser pour me changer les idées. Les sciences économiques avaient beau être intéressantes, mon cerveau ne les voyait pas du tout comme une priorité. La bureaucratie ne valait rien face à la réaction de mes parents quand ils sauraient tout. Une partie de moi me soufflait “À quoi ça sert de réviser ? De toute façon, tu seras viré avant d’être entré dans la salle d’examen”, une autre persistait “Peut-être qu’il est simplement dans la chambre et que tu as mal cherché”, ou encore une autre m’affichait la tête de mes parents, me dédaignant et cherchant désespérément ce qu’ils allaient faire de moi.

N’arrivant pas à réviser, je fermai mon cahier, et profitai de cette demi-heure qu’il me restait pour retourner devant la mer. Si je devais quitter l’école, autant que j’en garde un bon souvenir.

Yasmine était partie, ses épreuves à elle avaient peut-être déjà commencé, et c’était dommage, j’aurais bien aimé lui dire au revoir. La mer, au moins, était là. Elle semblait me regarder les larmes aux vagues et me demander pourquoi j’affichais une mine aussi déprimée. Je me sentais idiot à la considérer comme ma confidente, cette étendue d’eau qui ne faisait que partir, puis revenir, s’éloigner, puis s’approcher, m’éviter, puis m’entourer. Elle était la seule, avec Yasmine, dont je garderai le souvenir.

La mer ne juge pas, elle essaie de comprendre, et c’est cette humanité que j’aimerais retrouver chez les autres. C’est la meilleure des psychologues. Elle écoute sans rien dire, nous fait réfléchir sans nous influencer, pour enfin nous faire comprendre que nous avions la réponse au fond de nous et qu’on pouvait la trouver sans qu’elle n’ait à nous aider. Je fermai les yeux et écoutai ses conseils silencieux, alors que je cherchais la réponse à la question : “Que faire ?”.

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