Rêveillé (9/15)

5 mins

[9] Un vagabond mélomane

Étais-je devenu fou ? Moi, Marco Coudert, l’élève studieux, parfait, qui n’avait jamais fait de mal à personne, j’étais en train de fuguer. Il était trop tard pour revenir sur ma décision insensée, mais alors que je marchais le long de ce mur, grande poutre qui me faisait transpirer la liberté, je me demandais si chacun de mes pas étaient le bon choix.

La balade, pourtant, était très agréable. À ma gauche, la mer, qui me suivait des yeux et qui s’approchait comme si elle avait peur que je tombe. À ma droite, les jardins fleuris que je pouvais épier de mon piédestal. Ils s’enchaînaient les uns après les autres, mais aucun n’était semblable, chacun réfléchissant la personnalité de ses propriétaires.

Je ressentais une certaine gêne à ainsi regarder cet espace privé, mais il n’y avait personne, tout le monde était au travail, ou à l’école, et sans même les voir, je pouvais deviner qui ils étaient. Mon chemin était agrémenté de feuilles de lierre qui grimpaient sur le mur, de fleurs de cerisiers que je pouvais caresser des doigts, et de l’odeur des roses et d’autres plantes qui parfumaient mon voyage. Maisons de briques, maisons modernes, maisons en couleur, maisons sombres, elles me regardaient toutes passer avec la même façade sans expression, et moi je souriais, me sentant idiot de trouver admirable tout ce que je voyais.

Les remparts étaient assez larges et j’avais très peu de chance de glisser par mégarde. Je ne regardais pas mes pieds, mes yeux étaient perdus dans l’horizon, quand je ne contemplais pas les secrets que mon panorama m’offrait. Le mur me semblait infini et je m’en réjouissais. Longtemps, je l’avais vu comme la métaphore de la vie. Tant qu’il continuerait de longer cette mer, de fermer les jardins, ce serait comme si je tenais les rênes de mon destin, et je priais pour que ses briques s’enchaînent éternellement.

D’après ce que j’avais retenu des cours d’histoire de début d’année, cette ville avait été fortifiée au XIVe pour éviter les invasions des peuples voisins. Ce mur assurait la sécurité des habitants de ces jardins, il était le gardien de tous leurs secrets. Il protégeait l’entièreté de la côte, et s’il était resté aussi solide qu’autrefois, j’avais le temps de voir du pays avant de me résoudre à rentrer.

Je m’étais arrêté et assis les pieds dans le vide. Je respirai en regardant la mer et je me sentis tout simplement bien.

— Qui êtes-vous ?

La question venait de derrière moi. Je me retournai et vis une vieille femme s’approcher. Son petit jardin était coupé en deux par un chemin de gravier, une partie était verte et entourée de tulipes, de roses, et d’autres plantes de toutes les couleurs, la deuxième était un potager où je voyais deux rangées de poireaux parfaitement parallèles aux pieds de tomates, des haricots qui semblaient grimper pour rejoindre le ciel, et d’autres légumes que je n’arrivais pas à identifier. C’était quelqu’un de très organisé à la main verte.

Je la saluai en souriant, me rendant compte de la scène qui se jouait, et amusée, elle réitéra sa question.

— Une plume qui cherche à se détacher de sa cigogne, répondis-je enfin après réflexion.

Son visage s’illumina, et elle me demanda si je voulais bien parler avec elle, elle était heureuse d’avoir un peu de compagnie. Alors que j’acceptai, content de m’être déjà fait une nouvelle amie, elle rentra chez elle, et ressortit quelques instants plus tard avec un paquet de biscuits. Elle m’en tendit un et me demanda de lui raconter mon histoire.

— Avez-vous quelque chose contre les délinquants ?

— Tout dépend de l’esprit de la délinquance.

Je lui souris et lui contai mon escapade. Je n’avais pas peur qu’on me trouve ici. Les seuls moyens de me voir était d’avoir des jumelles surpuissantes sur un bateau qui traversait la mer, ou d’être aussi fou que moi et d’entreprendre un voyage en poutre. J’avais donc le temps.

Anne-Catherine, cette dame fort sympathique, comprenait tout à fait ma fugue, et me raconta son passé à elle, qui voulait devenir pompière à une époque où les femmes devaient rester couturières. Elle accepta même que je lui lise un de mes textes, et alors que je rangeais le paquet de gâteaux qu’elle me donnait, elle me demanda :

— Mais tu n’as pas peur qu’un jour ils abandonnent les recherches s’ils n’ont plus aucune nouvelle ?

— Vous savez, je ne crapahuterai pas pendant mille ans, une semaine maximum. Je ne pense pas pouvoir tenir très longtemps, riais-je.

Pourtant, je réfléchis à ce qu’elle venait de me dire. Elle avait raison. Je la remerciai de sa gentillesse et repris ma route, en sentant son regard amusé dans mon dos. En repensant à son sourire, j’eus une idée qu’on pourrait qualifier de génie. La meilleure façon de mettre mes parents et le proviseur hors d’eux, était que ma fugue ne reste pas secrète. J’avais entre les mains le nécessaire pour partager ma poésie, et pour énerver ceux qui me détestaient déjà à ce moment.

Je marchais encore presque une heure, puis m’assis entre les feuilles d’un saule pleureur. Ses feuilles tombaient en pluie de grosses gouttes vertes sur mes épaules, c’était comme être assis en haut d’un arbre dans la jungle, les lianes me caressant le front, et leur odeur me donnait l’étrange impression d’être allongé dans l’herbe alors que j’avais la mer face à moi.

Je ne voyais plus l’école, je devais m’être éloigné de plusieurs kilomètres déjà. En regardant sur mon téléphone un plan de la ville, je vis que le mur s’arrêtait à certains endroits. Il laissait des escaliers s’immiscer pour relier la terre à la mer. Ces passages à vide pouvaient m’être bénéfiques comme traîtres, à moi de voir comment les utiliser.

Plusieurs centaines de mètres plus loin, le premier obstacle se dressa, ou plutôt plongea devant moi. Le mur s’arrêtait net, pour repartir deux mètres plus loin. Connaissant mon agilité digne d’une vache obèse, je décidai de sauter à terre, en priant pour ne pas me broyer les chevilles. Le mur n’était pas si haut, mais il faisait tout de même la taille d’un joueur de basket. Arrivé à terre, mon âme d’aventurier se rassura en ne sentant qu’une petite douleur sous la plante de mes pieds. Je mis ma capuche — d’une part pour éviter que par n’importe quel hasard on me reconnaisse, d’autre part parce qu’être en fugue et mettre sa capuche, c’était quand même classe — et partis pour la poste la plus proche.

J’en ressortis avec un lot de dix enveloppes, dix timbres et un sourire aux lèvres. J’étais désormais fin prêt pour mettre mon plan à exécution. Passant devant une supérette, j’achetais un kit de survie, c’est-à-dire une bouteille de jus de fruit et des sandwichs triangles, et me raccrochai à mon chemin par mon moyen habituel. L’image n’était pas très belle, mais une poubelle pouvait toujours être utile. Son chapeau jaune me faisant la courte-échelle, je posai à nouveau le pied sur les briques. Une feuille de papier avait été glissée sous la porte du propriétaire :

“Mes sincères remerciements à votre poubelle qui a joué un rôle fondamental dans mon voyage.

Elle vous attend sagement au pied de ce long mur protecteur.

            Mes salutations distinguées,

            Un vagabond mélomane”

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