Rêveillé (12/15)

4 mins

[12] Bercé au dépressif

Il se faisait tard et j’allais bientôt entamer ma troisième nuit à la belle étoile.

Comme habituellement, je cherchais un arbre pour que son feuillage me protège aux premières heures de la lumière aveuglante du soleil. Seulement, j’avais beau plisser des yeux, je n’en voyais aucun à l’horizon. Quand je pouvais, j’évitais de m’allonger au bout d’un jardin. Je n’avais aucune envie que quelqu’un me découvre et fasse une crise cardiaque, pensant qu’un ado était tombé du ciel sur son mur. Je faisais de mon mieux pour me cacher, ou je trouvais un endroit qui ne fermait pas un jardin.

Les nuits étaient bonnes. Si le jour, je commençais parfois à avoir chaud, la nuit, la température était idéale, et j’avais parfois envie de continuer ma route sans fermer l’œil sous la lune. Je ne dormais pas beaucoup. Quand je me regardais le matin dans mon téléphone, je voyais des cernes apparaître, pourtant, je ne me plaignais pas. J’étais constamment en surdose d’adrénaline, et même si parfois je me sentais sale, j’avais faim, soif, sommeil, j’avais le sourire aux lèvres.

Je vous rassure, je ne ressemblais pas non plus à un chien errant. Je tenais à rester aussi propre que quand j’étais parti. Pour ma réputation, mais aussi pour mes parents. Si je revenais en rampant, dans l’état d’un rat d’égout, ce serait moi qui aurais eu la leçon, pas eux.

Il était dans les alentours de minuit quand je trouvai finalement un arbre derrière lequel m’allonger. Je me baissai pour recevoir la caresse des feuilles sur le front, et m’assis face à la mer. Je baillais bruyamment et allais sortir ma bouteille d’eau de mon sac, quand un miaulement se fit entendre.

— Salut toi, tu viens d’où ? Demandai-je en riant au gros chat blanc qui venait de sauter sur le mur.

Il s’approcha lentement, me renifla, et finit par me piétiner de toute sa hauteur de majesté des chats, et de tout son poids. Les chats sont des animaux qui aiment nous remettre, nous les humains, à notre place. Ils nous montrent à quel point notre orgueil nous ridiculise, que nous n’avons pas plus de droits qu’eux sur le monde, et que s’ils avaient envie de nous regarder de haut, ils pouvaient le faire aussi bien que nous. Les chats nous faisaient redescendre sur terre et nous remettaient à notre place d’animaux. Des animaux en sweat, certes, qui construisent des villes, tuent des paysages, donnent naissance à de nouvelles sciences, mais des habitants de la même planète. J’osai une caresse, et comme il ne dit rien, je passai ma main sur son pelage tout blanc et chaud, comme s’il venait de se réveiller d’une sieste.

J’étais comme un chat. Quand ils sont mécontents, ces animaux ne cherchent pas à discuter, ils fuguent, le plus vite possible. J’avais été insulté, je n’avais pas cherché à me défendre, j’avais simplement pris mes affaires et tel un chaton, étais parti par le toit faire mes preuves.

Le moteur allumé, les ronronnements de la boule de poils arrivèrent bientôt à mes oreilles et il me transforma petit à petit en panier pour chat. Je piquai dans les chips que m’avait donnés la mère de Charlie, et n’arrivant pas à fermer les yeux, je continuai mes caresses sur le dos de l’animal. Je finis par préparer une enveloppe pour la laisser ici le lendemain matin, avec l’aide du matou qui marchait sans états d’âme sur mes chansons.

Soudain, j’entendis quelqu’un arriver dans le jardin. Je restai bien droit derrière l’arbre, ne voulant pas attirer l’attention, et attendis que la personne reparte. Elle approchait. Sur ses pas, des notes s’échappèrent d’un instrument à cordes. Elle s’assit au pied de mon arbre, et gratta un accord de ce qui me sembla être une guitare. Après un toussotement, une voix d’adolescent s’éleva dans l’air.

Under this old moonlight,

Waiting for you like every night,

I think of Almighty God

And all the walls he put on my road.

I wonder when the time will come,

To take my case, to leave my home,

Searching through my destiny,

A way to finally live happily.

I was… “

— Patapouf ?

Le chat venait de descendre de mes genoux et de sauter près du chanteur. Je me fis le plus discret possible, je voulais encore l’entendre chanter. Sa voix n’était pas parfaite comme celle des chanteurs qu’on entend à la radio, mais elle était si naturelle. Il ne s’accompagnait que de quelques accords, mais ses paroles résonnaient dans la nuit avec sincérité et délicatesse. Adolescent en train de muer, son larynx cherchait son chemin dans sa gorge, et hésitait entre la voix d’homme qui émergeait et la voix du petit garçon qui commençait à disparaître.

— Bah alors où tu étais toi ? T’as faim ? Nan pas tout de suite, tu vois bien que je suis occupé.

Je ris pour moi-même en l’entendant discuter tout seul. Tout le monde parlait aux chats, comme s’ils nous comprenaient, ou même nous écoutaient. Le jeune homme se remit à chanter, et le dénommé Patapouf reprit sa place sur le muret à mes côtés. Je n’osais pas m’allonger, de peur que le chanteur m’entende bouger, alors je restai assis, appuyé contre l’arbre, en regardant la mer se bercer au son d’un jeune musicien amateur.

La Lune au loin se reflétait dans l’eau, et les mouvements de la marée faisaient apparaître comme des milliers d’étoiles à la surface. Le chanteur parlait de son existence qui ne lui convenait pas, d’une certaine personne qu’il ne cessait d’attendre, de ses plans pour partir, recommencer une vie, ou l’améliorer. Il racontait l’hésitation qui l’habitait dès qu’il devait prendre une décision, les dilemmes qui hantaient ses pensées tous les deux mots, son désespoir devant ses actions passées, mais son espoir devant l’étendue du futur.

Les mélodies simples mais prenantes répétaient des boucles et restaient en tête. Il jonglait sur cinq accords mais arrivait à rendre sa musique hypnotisante. J’ai toujours aimé entendre les gens chanter à leur insu. Tout parait si fluide, si spontané. Lors des concerts, des fêtes, les chanteurs ou les musiciens professionnels se sentent obligés de faire mieux que les autres, pour qu’on se souvienne d’eux, pour qu’on les apprécie, pour être les meilleurs. Moi, pourtant, je n’y croyais pas. Forcer sur sa voix, ajouter des vocalises, c’était cacher son manque de confiance derrière des trucs “stylés”, sans que ce ne soit la peine. Quand un chanteur, ou même un simple passant chante quelque chose pour lui-même, il ne cherche pas à plaire, juste à se faire plaisir. Il y a une grande différence entre ces deux mots.

Je me suis endormi. La fatigue m’envahissait petit à petit, et même si je me concentrais sur ses paroles mes paupières devenaient lourdes, je n’avais plus la force de les lever. Son chant résonnant encore dans mes oreilles sembla s’éloigner, et ma tête tomba en arrière. J’avais adopté l’arbre comme matelas.

“Where are you, in the ocean of my thoughts?

Where are you? You’re the anchor I need to land

Without you I feel like an outcast,

Without you, I’m the only musician in my band.”

 

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