[13] Dans un océan de paroles
Un cri de mouette me réveilla en sursaut, et j’ouvris brusquement les yeux. Le soleil sortait de la mer face à moi, et la lumière commençait à m’atteindre. Je passai mes mains sur mon visage et m’étirai. J’arrachai un bout de pain, et m’apprêtai à le manger quand je vis que j’étais assis sur un bout de papier.
“Envoie-moi un message quand tu seras réveillé.”
Son numéro était indiqué au dos. Le jeune chanteur m’avait vu. Avais-je parlé en dormant ? Ou pire, ronflé ? Gêné, j’hésitai en prenant mon téléphone. J’avais honte d’avoir été retrouvé en train de dormir derrière son arbre, mais en même temps, c’était peut-être l’occasion de faire une belle rencontre. Par ailleurs, sa note n’était pas une question, j’avais l’impression que je devais lui écrire un message.
À peine ai-je envoyé “Salut”, que j’entendis une fenêtre s’ouvrir. Je jetai un rapide coup d’œil, et vis l’adolescent me chercher derrière les feuilles de l’arbre depuis sa chambre. Je me décalai sur le muret pour qu’il puisse me voir et lui fis signe de la main. Il disparut, et réapparut quelques secondes plus tard à la baie vitrée.
Il avança lentement vers moi, comme méfiant et me détailla de haut en bas. Amusé, je le laissai faire et continuai mon petit déjeuner de fortune.
— C’est toi le gars qui jette des lettres dans le jardin des gens ?
— C’est bien moi, fis-je en souriant.
Je n’en revenais toujours pas que la nouvelle se diffusait aussi vite ! Moi, le jeune en fuite, je commençais à avoir une notoriété ! J’esquissai un petit sourire mais à l’intérieur je souriais comme si Rimbaud venait de me complimenter. Je dus comme habituellement, lui raconter mon histoire, et on fit connaissance. Le jour pointé à peine le bout de son nez, que je discutais avec Lazare, un collégien de 14 ans mélomane dépressif, en pyjama, qui passait ses nuits à composer et écrire des chansons et ses journées à somnoler en classe entre deux pauses récréation. Intéressé, je voulais lui demander de me faire une démonstration, mais j’eus une pensée pour le voisinage qui était encore blotti sous les draps.
Lazare m’expliqua qu’il avait entendu parler de moi à la poste. Il devait acheter des timbres, quand il entendit deux hommes parler entre eux. L’un postait ma lettre en expliquant à l’autre qu’il l’avait trouvé dans son jardin. Je dus me retenir de ne pas crier de joie en entendant la nouvelle. Les gens étaient avec moi ! Ils étaient entrés dans mon jeu ! Je marchais seul, mais j’étais bien entouré. Cette sensation d’être poussé vers l’avant par des dizaines de mains invisibles me donnait envie de courir partout, de taper un sprint le long du mur et d’arriver dans le pays voisin par la force des sourires, des soutiens, et de ce sentiment d’être écouté et compris.
— Dis-moi, tu en posterais une pour moi ? demandai-je à mon nouvel ami.
— Avant ça, j’ai une faveur à te demander, répondit-il avec un fin sourire.
Il avança une des chaises de jardin près du mur et me demanda de le suivre.
— Mais et tes parents ? demandai-je surpris.
Il haussa les épaules, signe que ce n’était pas grave, et me dit de descendre sans vraiment me laisser le choix. Je pris mon sac et le suivis, je n’avais aucune raison de le regarder s’éloigner seul. Je n’avais qu’à gagner avec cette rencontre. On monta dans sa chambre et il sortit un T-shirt et un short. Il me les tendit avec un regard appuyé et je compris le message, je sentais légèrement trop la nature.
Lazare avait une suite parentale et je pus pour la première fois depuis mon départ me sentir propre. Je revins dans sa chambre, et après l’avoir remercié vivement, je le vis sortir sa guitare. Il m’expliqua qu’il pouvait jouer aussi fort qu’il le voulait, ses parents avaient recouvert son mur de mousses acoustiques.
— Tu vas m’aider, fit-il en me tendant une feuille et un crayon, j’aimerais écrire une chanson à quelqu’un, mais je ne trouve jamais les mots. Je préfère l’anglais, mais je pense qu’il vaut mieux l’écrire en français, celle-ci.
— And my English is not very good, je ne t’aurais pas été d’une grande utilité, répondis-je avec un fort accent.
— Écoute ce que je te propose, me dit-il en grattant son instrument, et écris-moi un texte. Comme si la personne qui allait recevoir ces mots était la plus importante à tes yeux. Comme si, cette personne, tu l’aimais plus que tout, mais qu’elle, elle ne s’en rendait pas compte, elle ne s’en rendait plus compte. Tu vois ce que je veux dire ?
Avec un sourire malicieux, je voulus lui demander de m’expliquer, mais il m’ignora en rougissant. Il sortit de la chambre, et revint avec des cookies. Il commença à jouer une intro, et enchaîna sa mélodie en boucle, tandis que concentré, je laissai une main afficher mes mots sur le papier, et l’autre tenir un biscuit. Mes vers allaient toucher le cœur de cette personne, et créer un pont inébranlable entre son âme et celle de Lazare.
[…]
Tant de fois la terre disparaissait au travers de la brume,
Seul sur mon navire je passais en revue mon existence,
Et cette fois-ci encore, une fois n’est pas coutume,
Je te vois attraper ma main sur la piste de danse.
Je te vois me tirer de mon trou,
Je te vois me sourire des yeux et du cœur,
Je te vois me suivre jusqu’au bout,
Je te vois combattre à mains nues mes peurs.
Je revois ton visage me dire “ça va aller”
Je revois tes doigts emmêlés aux miens
Je revois tes lèvres si près des miennes me répéter :
“Quand le bonheur s’échappe on le retient”.
[…]
— Et ton cœur, par la même occasion, finis-je mon texte.
— C’est parfait, Marco, vraiment.
Il posa sa guitare et prit la feuille que je lui tendais. Il me remercia de l’avoir aidé à trouver les mots, et je souris en voyant comme il était fier. Je recopiai le texte sur mon carnet, et arrachai la feuille. J’écrivis une note à l’intention de mes parents, puis l’enveloppe fut fermée et remise à mon facteur.
— Je suis ravi d’avoir fait ta connaissance, Lazare, dis-je en lui serrant la main.
— De même, n’hésite pas à repasser par mon jardin, ma salle de bain t’est ouverte, et ma guitare aussi.
Il sourit, et je me dis que lui aussi, devrait se lancer dans un rêve musical, si c’était ce qui lui donnait un tel sourire. Le peu de temps que nous avions discuté, j’avais remarqué que ses yeux s’allumaient chaque fois qu’on parlait de « musique », de « guitare », de « chanson », cette même étincelle que l’on retrouve dans les miens quand on me parle de « poésie », et de « liberté ».
Il était maintenant 6h, et il allait bientôt devoir “se lever”, je n’abusais pas plus de son hospitalité et il me raccompagna dans le jardin. Je montai sur le muret, pris une grande bouffée d’air marin, avant de lui souhaiter bon courage, et bonne chance pour trouver sa réponse.
— Tu me diras ce qu’elle en pense, la personne qui a touché ton cœur de musicien.
— Je te serai redevable à vie si mon destin change grâce à tes paroles ! Mais va maintenant, mes parents ne vont pas tarder à se réveiller. Au revoir, et j’espère à un de ces jours !
— On se fera un feat sur scène ! lançai-je en partant.
J’entendis son léger rire s’évaporer dans une bourrasque, et je fis résonner ce son le plus longtemps possible pour me souvenir de ce soutien, et de l’espoir que Lazare mettait en moi. Je me remis en chemin, adressant un sourire à l’horizon en me demandant de qui j’allais encore croiser la route.
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Si la chanson vous intéresse : https://reveille6.webnode.fr/l/chap-13-dans-un-ocean-de-paroles/