Rêveillé (14/15)

4 mins

[14] Les vagues à lames

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Plein d’énergie, j’avais beaucoup marché ce matin-là. Mes parents m’avaient envoyé un message : ils avaient appelé la police, et signalé ma disparition. Mon périple allait peut-être s’écourter de quelques jours. Pourtant, je n’avais pas peur de la police, ni d’aucune autorité qu’elle qu’elle soit. J’étais en pleine crise d’adolescence, je levai mon majeur bien haut, et seul ce muret savait quand j’allais m’arrêter.

Le midi, je me posai entre deux jardins et sortis de quoi combler ma faim. J’allais bientôt devoir me réapprovisionner, ou rentrer. D’après mon téléphone, que j’avais rechargé chez Lazare, le prochain arrêt du mur était à six kilomètres. Il s’étendait encore à perte de vue sans pause. Parfois, je songeais au courage, à la patience, à l’entêtement qu’avaient eu les ouvriers pour construire ces remparts. Avaient-ils peur ? Croyaient-ils en leur travail ?

Chaque brique est un soupir, une marque, une blessure, l’ensemble du mur est le regroupement des souvenirs de ces hommes, qui ont respiré leur sueur sous le souffle marin pour protéger leurs familles. En pensant à eux, je me dis qu’eux aussi, ils étaient en pleine crise d’adolescence. Entêtés à finir quels que soient les obstacles, les ordres, la météo. Équipés d’œillères comme les chevaux, ils ne voyaient pas ce qu’il y avait autour, seulement ce qu’il y avait devant sans que rien ne puisse les distraire.

— Excusez-moi.

Surpris, je tournai la tête brusquement pour voir un homme d’une cinquantaine d’années, un livre gros, et sûrement lourd, comme une brique dans les mains. Il me regardait avec dédain, comme s’il regrettait que le mur ne soit pas plus bas pour qu’il puisse me pousser dans les écumes. Je déglutis avant de tenter un sourire.

— Écoutez-moi, jeune homme, je ne sais pas comment vous êtes arrivés là et je ne veux pas le savoir. Vous allez descendre et déguerpir, c’est compris ? Vous n’avez en aucun cas le droit d’être ici.

J’ouvrai la bouche pour dire quelque chose mais son regard me la fit refermer aussitôt. Je rangeai fissa mes affaires dans mon sac et me levai. Il me fit signe de descendre. Sans un mot, je sortis une enveloppe que j’avais préparée en avance, et la laissai tomber dans son jardin.

— Allez-vous partir ? cria-t-il. Je vous préviens je vais appeler la police !

— Pas besoin de s’énerver, dis-je calmement en refermant mon sac, je vous laisse, n’hésitez quand même pas à aller regarder dans l’enveloppe, sait-on jamais.

Alors qu’il me hurlait de disparaître le livre levé, je ne pus m’empêcher de rire en commençant à courir le long du mur. Je me sentais comme l’oiseau que le chat n’arrivait pas à attraper. Le prédateur restait au sol, pendant que moi, je partais vers les hauteurs sans me soucier de rien. J’agitais mes ailes, et d’un battement, d’un rire, je m’échappai en le laissant seul avec sa rage. Il continuait de s’égosiller que je n’avais pas le droit, que je devais descendre, mais moi, je ne pouvais que rire. J’étais habité par l’allégresse de la liberté, la gaieté de l’indépendance, et je n’avais qu’une envie : enfreindre les règles. L’adrénaline de l’insolence me dictait ma conduite. Jusqu’à ce que j’entende un bruit affreux, qui paralysent, le cauchemar de tout écrivain. Le terrible son d’une feuille qu’on déchire.

Il avait détruit mon texte. Ça n’avait beau n’être que du papier, il avait déchiré une partie de mon espoir dans le même mouvement. Depuis le début de mon aventure c’était le premier coup qu’on m’affligeait, la première fois qu’on me menaçait. À vrai dire, je n’avais pas rencontré grand-monde. Si j’avais attendu que chaque personne sorte de chez elle, si je les avais toutes rencontrées, qui m’aurait accueilli ? Qui m’aurait rejeté ? Quelle aurait été ma réaction si un ado déambulait au fond de mon jardin en semant des enveloppes ? Sur la dizaine de lettres que j’ai éparpillées, combien sont arrivées à destination ? Combien ont fini dans une poubelle ou laissées seules dans un coin ? Combien n’ont pas été vues, et seront découvertes trop tard ?

J’arrêtai alors ma course et repris mon souffle. En regardant la mer, je laissai mes pensées se perdre dans ses vagues, je regardai les “si” naviguaient au côté des voiliers et je laissai les questions me tirer chacune de leur côté.

— J’ai des vagues à lames, murmurais-je finalement comme en secret à l’océan.

Je m’arrêtai alors derrière le toit d’un cabanon. Je n’étais pas vraiment caché, mais j’avais une pulsion d’écrivain, et il fallait que je m’arrête pour écrire.

 

                                   […]

J’entends ces plaintes qui viennent me lacérer le cœur,

Moi piètre marin égaré entre mes rames,

Elles cisaillent ce qu’il me restait de bonheur

Me laissant seul ballottant sur ces vagues à lames.

Elles ne sont pas des dagues, face aux maux mourants,

De véritables mitraillettes elles bombardent aux alentours

Elles ne font pas de vagues face aux flots courants,

Elles les rattrapent sans qu’ils ne puissent faire demi-tour.

                                   […]

 

Certes, les hommes ont tort de s’en prendre au ciel quand rien ne va, mais les éléments ont tort de s’en prendre aux hommes quand ils sont dans l’impasse. Alors que faire ? Sur qui se déchaîner ? Même le plus sage des sages n’aurait pas la réponse, car même le plus vieux des druides déverse sa haine sur un chaudron.

J’arrachai ma chanson et en fis un avion en papier. Je glissai une enveloppe entre les deux ailes, comme si mon slam transportait mes messages et après avoir glissé un mot à l’intérieur, je lançai l’avion vers les habitations. Je le suivis du regard planer quelque temps sur les différents courants d’air et passer au-dessus des jardins. Trois maisons plus loin, il descendit et heurta un buisson. Bloqué entre les sombres feuillages on ne voyait que lui, celui qui passait à côté était soit aveugle, soit absent.

Mes doutes étaient partis, ils s’étaient envolés avec mes mots. Je repris ma marche en fredonnant, mon voyage allait bientôt toucher à sa fin, mais j’allais en profiter jusqu’au bout.
Que les lames des vagues restent dans la mer ! Qu’elle les garde dans le coffret de sa rancœur et qu’elle rêve de la main du soleil plutôt que de la voir comme une lune impossible à décrocher. On n’est jamais sûr de rien avec les rêves, parfois le futur pioche au hasard dans le sac de nos délires et en réalise un. Ça n’arrive pas souvent mais il le fait pourtant, la preuve, on continue de toujours se répéter “Et si…?”, et de sourire en voyant approcher la nuit.

 

__________________

Si la chanson entière vous intéresse : https://reveille6.webnode.fr/l/chap-14-les-vagues-a-lames/

 

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