Troisième et dernier acte de cet arc. Bonne lecture !
Jilam errait à s’en mordre les doigts parmi la foule malodorantes de reliquats d’un folklore souillé. Le quartier des farfadets, l’appelaient ceux de son espèce. Le quartier des puants ou le quartier du tintamarre aurait été plus adéquat, songeait-il, se retenant de fuir à toutes jambes direction le couvert du bois. Autrefois, il se souvenait à peine, il adorait se fondre dans la cohue. L’impression d’être invisible au beau milieu d’une forêt mouvante d’yeux. Ces moments d’évasion, intermède à sa morne solitude dans laquelle il s’enfermait dès le retour à la prison… la maison.
Alors que les gens du bois n’avaient de cesse de s’émouvoir – en bien ou en mal –, même après toutes ces années, chaque fois qu’ils le croisaient, le jeune homme retrouvait la sensation d’être un anonyme parmi les anonymes, une ombre qui se glisse entre les ténèbres. Se fondre à nouveau dans la masse après tant de temps passé dans la peau d’une goutte d’eau à la surface d’une mer d’huile générait un sentiment étrange mêlant malaise et réconfort.
Il n’avait pas protesté quand Nellis l’avait envoyé après l’étalage oral d’une liste de courses longue comme le bras d’un macaque élastique. Son épouse était d’humeur méchante depuis le passage en coup de vent violent de son frère. Un rien la plongeait dans ses transes colériques que Jilam avait appris à ignorer plutôt que les craindre. Décidément, non content d’avoir gâché l’ancienne, sa précédente famille devait maintenant venir troubler sa nouvelle vie. Il les détestait, tous, et en particulier Edgar qui jouait les justiciers, les réparateurs de cœur brisé après tant d’années passées dans la peau du persécuteur sous cape de grand prince. L’héritier, chouchou de parents gaga, la perle d’un avenir étincelant ; tout l’inverse du rejeton qui ne traînait avec lui qu’ennuis et désarrois. Dieux, qu’il les haïssait.
Mais alors, pourquoi ce poids attaché à sa poitrine depuis cette nuit où il avait revu Ed, après des années à s’imaginer tout et surtout rien au sujet de cette famille qui fut sienne dans une autre existence ?
Une fois – l’image le hantait toujours, malgré les frissons d’envie reliés à son souvenir –, une fois, il avait rêvé que le manoir familial s’embrasait au beau milieu de la nuit. Les flammes enflaient à une telle vitesse que personne ne trouvait le temps de s’échapper. Lui se tenait bien à l’abri dans sa cabane à foin ; l’éclat de l’incendie lui parvenait au travers des fentes entre les lattes murales, mais pas la chaleur. Il entendait les cris informes, étouffés par le hurlement du brasier, l’appeler, et lui qui répondait goguenard : « Papa m’a dit qu’il ne voulait pas me revoir avant le déjeuner. Je suis en enfant sage, vous voyez. » Le plus dérangeant était qu’à son réveil, de malaise, il n’en ressentait aucun, pas un soupçon de gêne, uniquement un profond… profond et viscéral soulagement.
D’autres rêves du type l’avaient visité au fil des ans. Depuis un moment, ils tendaient à s’évanouir. Bientôt, j’oublierai, se persuadait-il, l’espoir suspendu à un fil ténu de regret.
Sauf que, la nuit précédente, le songe de l’incendie avait ressurgi des tréfonds d’un monde forgé de boucles et de spirales. À nouveau, Jilam avait assisté à la destruction par le feu de sa prison de bois nobles – piliers et toit de chêne, portiques en bouleau et lustres d’ébène – depuis son petit cocon en rhume des foins. Mais, cette fois, une terreur le tenaillait, le lacérait de ses griffes. Incapable de soutenir l’abominable spectacle, il s’était enterré sous une meule, les mains plaquées aux oreilles, à se répéter : « Je suis un enfant sage. Je suis un enfant sage. Je suis un enfant sage. » Litanie de moins en moins convaincue, jusqu’à l’instant où les mots avaient buté sur un caillou au milieu d’une zone obscure de son inconscient. En proie à une panique monstre, il s’était précipité vers la porte de la cabane. Effroi de la constater fermée. Il avait alors tiré de toutes ses forces, s’écorchant les doigts, en vain. Aux cris affolés de l’autre côté du battant, il avait répondu par ses propres hurlements, ses poings ensanglantés cognant avec rage le bois qui, revanchard, lui plantait en retour ses échardes. L’amertume des larmes. Ses vociférations avaient atteint un paroxysme au point de fendre le tissu du rêve et de basculer sa conscience dans le monde matériel. Pas une oreille au sein du Cœur-du-Bois n’avait échappé à l’atroce clameur. Il avait fallu un long moment avant que Nellis, par ses mots, ses caresses et une dose de stimulant prestement concocté, parvienne à l’extirper de la catatonie post-folie. Il suffisait à l’époux de la sorcière de se remémorer cette nuit abominable pour s’empêtrer dans le manteau d’une sourde angoisse.
Pourquoi ? Pourquoi devait-il culpabiliser ? Sa colère était toute légitime. Qui lui renierait ce droit ? Du fond de son cœur lourd, il détestait penser à ces choses qu’il aurait tant souhaité enterrer sous un arbre comme Nellis l’avait fait de ses propres souvenirs. C’était vrai, il devait l’avouer, qu’il s’était comporté comme le dernier des sots, un gamin puéril, devant son frangin. C’était indigne de lui. Mais qu’avait à voir la dignité dans tout ça ? Ses parents souffraient ? Tant mieux. Maintenant, peut-être, comprenaient-ils, au moins un fragment, les sentiments qui l’avaient accompagné toute sa vie durant auprès d’eux. Il l’espérait. Et en parallèle, paradoxalement, il refusait l’idée que quiconque puisse souffrir à cause de lui, surtout désormais que son propre calvaire s’était éteint, la noirceur au fond de son cœur lavée. En fin de compte, il ne leur en voulait plus de rien, il ne reprochait rien à personne.
Tout à son esprit conflictuel, Jilam errait à travers le quartier des farfadets sans prendre garde à l’environnement autour de lui. La liste ? Il l’avait enterrée sous une tonne de pensées. Il descendait à présent une rue étroite bordée de menues échoppes encastrées entre des maisons tordues, mal proportionnées à l’espace qui leur était alloué. Ainsi s’arrangeait le quartier des farfadets : une ridicule miette de dédales chaotiques sise entre l’immense ville bien ordonnée des citadins hautains et les champs colorés des paysans dédaigneux. Les immortels, pour la plupart originaires du bois, qui s’y serraient tant bien que mal vivaient dans la poussière, soulevée en nuages jour après jour par des milliers de pieds battant, râpant, fouettant la terre meuble et sèche, qu’à aucun moment la mairie du bourg n’avait songé à daller pour la commodité des riverains.
La situation des habitants du quartier ne saurait être enviée par personne. Face à la haine de leurs voisins humains, ils ne pouvaient trouver de réconfort auprès de leurs cousins du bois, dont le mépris égalait presque celui des mortels. Les Souffleteux, les gens du bois avaient coutume de les appeler, un terme chaque fois prononcé d’une langue sifflante. Des traîtres, voilà ce qu’ils étaient aux yeux de leurs congénères qui continuaient de vivre selon les anciennes mœurs, comme au temps du bois primaire. Eux, les immortels bénis des dieux, qui avaient tourné le dos à la sagesse des anciens pour trimer au service des mortels inférieurs, les enfants capricieux engendrés par le démiurge, dépourvus du sceau divin, en adoptant leur mode abject d’existence, agglutinés tels des rats dans des bâtisses de pierre et de bois scarifié, à barboter dans l’infecte odeur de détritus et de souffles rances des damnés, sous un voile de fumées, loin du ciel, de la Lune mère et de ses étoiles, loin des bras de Nature, de sa pureté salvatrice, de son chaos libérateur, oui, loin de la magie et des esprits, du regard des dieux et du domaine des cieux, du cœur battant de la verte terre gracieuse.
Jilam, à contempler ces visages, sales, taillés par le labeur, compatissait. Lui aussi avait grandi entre haine et mépris. Lui aussi avait eu droit aux surnoms moqueurs : « Hé, Face-de-noix ! Par ici la Brindille ! » Langue-pendue, la Mite, Faucheron, Gueule-de-gnon, Avorton, et une panoplie d’autres trouvailles imagées selon les âges. Oui, Jilam observait ces figures en leur collant la sienne. Sauf que quelque chose clochait : elles souriaient, toutes celles qu’il croisait, il ne s’en trouvait pas une qui n’affichait pas au moins un rictus détaché. La rue, nimbée d’une brume ocre, résonnait de chants et de sifflements, indices de gaieté incongrus dans ce cadre de misère. Partout on se saluait, passants et commerçants, travailleurs allant et rentrant de leurs corvées ; des salutations prononcées de toutes sortes de façons, à la mode du bois sous différentes versions ou selon la coutume humaine du « Bonjour, ça va ? », agrémentée de « T’y vas t’y bien ma caille ! » et autres « Que vaque face-de-suif ! ».
Le jeune homme songea aux lutins du clan de la Chouette ; eux aussi, en dépit des dures conditions là-bas dans leur vallée lointaine captive des mâchoires du Mal, arboraient en toute circonstance une légèreté ironique. « Gaieté et misère, heureux compères », arguaient-ils entre deux pas de danse. Une vision dont Jilam peinait à saisir la logique, lui qui, face au puits sombre, ne tirait qu’un humour acide, rarement bien pensé, souvent malaisant.
Dans le chaos de la foule, compacte en cette fin de journée, il heurta un passant, un gnome, haut comme trois pommes, qui, face à ses excuses, leva son chapeau pour lui offrir un grand sourire accompagné d’un « Y a pas de mal, camarade ! », avant de disparaître, avalé par la cohue déferlante. L’époux de la sorcière demeura coi, les bras ballants, un rocher blafard immobile dans le courant. Depuis quand les gnomes étaient-ils si polis ? Ceux qu’il avait croisés dans le bois étaient au mieux des malotrus, au pire des larcineurs. Décidément, il ne sortait pas assez. De la ville ne pendait de sa mémoire que le souvenir du vacarme incessant, de l’amas néfaste de mille parfums et des regards scrutateurs qui vous écorchent sans arrêt, comme autant de coupe-gorge planqués sous chaque ombre.
Ça, l’esprit humain, avait toujours tendance à occulter le positif au profit du négatif, plus marquant, plus attrayant d’une certaine manière. L’esprit d’un immortel – il avait eu maintes fois l’occasion de le noter – fonctionnait différemment. Confronté à un flot infini de souvenirs, il n’avait d’autre choix que d’en conserver seulement quelques bribes par périodes ; aussi privilégiait-il les instants heureux et effaçait les carcans douloureux. D’une certaine façon, c’était une pensée sage, mais de l’autre… Chez le genre humain, les adultes enseignaient tout petit aux enfants la dureté de la vie afin qu’elle grave leur mémoire et qu’elle forge leur caractère. C’était sans doute la cause de la nature maussade, vilipendaire et plaintive du genre humain. Le spécimen qu’il était s’en révélait le parfait exemple, une équation équilibrée de ces trois traits de caractère ; un cador dans le domaine de l’image adéquate ; une vision purement symbolique de l’humanité. Un gars commun quoi. Sauf que, ce gars, il était marié à une sorcière des bois. Pas si commun donc.
Jilam avait désormais entièrement évacué de ses pensées la raison de sa présence en ce lieu et marchait sans destination à travers le labyrinthe grotesque de maisons écrasées les unes sur les autres comme une farandole de pièces mal montées. Le cœur lourd mais l’esprit léger, les doutes dévorés par l’ironie simplette, il vagabondait, enfant heureux, sans but, dans les chemins de travers, littéralement, les venelles cul-de-sac, les allées voltigeuses, tout en courbes folles et dénivelés en crête de vagues. Il passa devant la boulangerie ; son ventre gémit ; il entra et acheta un beignet, qu’il engloutit en deux trois bouchées. Puis il longea une ruelle relativement calme comparée à l’ambiance générale du quartier. Le nez collé à ses chaussures, il avançait, les mains dans les poches, avec une démarche de canard boiteux à cause de ses ampoules aux pieds. La lumière, déjà basse, s’assombrit encore, jetant un drap d’ombres agitées par-dessus les toits tordus des maisons vieilles, dont les murs hauts étouffaient l’écho des grandes artères.
─ Jil ?
Jilam leva les yeux. Devant lui se tenait une silhouette, caban flottant sur les épaules, béret, et sous le béret, un visage obscur néanmoins identifiable entre mille.
─ Ed ?
Son grand frère s’approcha, brandit une main tenant une pipe fumante.
─ Que fais-tu là ? s’enquit le benjamin.
─ C’est plutôt à moi de te le demander, rétorqua l’aîné. Je croyais que tu ne voulais plus remettre les pieds en ville.
La pique ranima la rancœur somnolente.
─ Je me souviens plutôt avoir précisé que je ne voulais plus remettre les pieds chez nous, nuance, affirma le jeune homme d’un ton acerbe.
L’épaisse mâchoire d’Edgar s’étira en un sourire, sa barbe à demi rousse flamboyant d’étincelles sous l’éclat timide du couchant.
─ Qu’est-ce qui t’amuse ? s’agaça Jilam.
─ Tu as dit chez nous. Cela fait plaisir à entendre.
La réflexion lui tira une moue dédaigneuse.
─ Tu ne m’as pas répondu. Qu’est-ce tu fiches là, dans le quartier des farfadets, un gars de ton acabit ? Le paternel aurait-il changé au point de laisser passer un écart si flagrant à la bonne conduite ?
Son frangin partit d’un rire léger et aspira goulument une bouffée de sa pipe.
─ Oh que non, troubledieu. Il existe des limites à sa mansuétude. S’il me savait dans ce genre d’endroit, il oublierait son chagrin le temps de me filer le sermon du siècle.
─ Et depuis quand tu joues au forban ? demanda le jeune homme qui peinait à coller le grand frère de sa mémoire sur cette tête de jarret patibulaire.
─ Il n’y a pas que toi qui a changé, je te signale, se renfrogna ledit jarret en tirant à nouveau une bonne gorgée de fumée. Ta disparition – je veux dire ta fuite – y est pour quelque chose, mais pas seulement. L’âge, les responsabilités, les rencontres, mais tu dois déjà savoir tout ça.
Oui, Jilam le savait. Quant à le supporter…
─ Tout ça ne me dit pas ce que tu glandes dans le coin.
Une porte derrière Edgar claqua brutalement en s’ouvrant. Le boucan émanant de l’intérieur du bâtiment envahit aussitôt la ruelle. Un torrent de chaude lumière s’échappait du portique en remontant les murs blancs de la bâtisse d’en face jusqu’à se perdre au firmament. Un lutin gras, tablier aux hanches, sortit, trimballant un baquet plus gros que lui, rempli de détritus, qu’il déposa parmi une rangée de confrères alignés contre la façade. Des clameurs s’égosillaient à la source du torrent lumineux, des éclats de rires rauques et l’écho de pieds nombreux.
Edgar se détourna pour saluer le lutin. Les deux, à l’évidence, se connaissaient, et plutôt bien au vu des familiarités échangées. L’aîné héla son cadet :
─ Tu voulais savoir la raison de ma présence. Eh bien, me rincer le goulot, tout bonnement.
Le lutin rentra et l’humain le suivit. Edgar s’arrêta sur le pas de la porte, tourna la tête vers son frère.
─ Tu viens ?
Sans trop savoir pourquoi, Jilam rejoignit cet étranger qui n’avait plus grand-chose à voir avec le grand frère de ses souvenirs.
Ils durent se baisser pour rentrer, surtout Edgar, à cause du dormant bas, propre à toute demeure du bois qui se respecte. S’ouvrit à eux un monde à part qui, une fois le battant clos, les plongea dans une bulle de lumières et d’ombres virevoltantes, une bulle bruyante à l’intérieur de laquelle régnait une atmosphère de fête et de bombance. Une vaste salle, découpée de plusieurs alcôves, au plafond soutenu par une forêt de piliers en bois abrasé noircis par la fumée, peuplée d’une foule en folie agitée autour de tables ou naviguant à la queuleuleu entre les étroits couloirs octroyés par les bancs débordant d’un florilège de derrières ; masse informe et pourtant coordonnée, amas stellaire de soiffards, de parieurs et de racontars gravitant autour d’une unique étoile : le bar et sa bibliothèque de bouteilles, ballet d’aurores multicolores soutenu par une rangée de fûts chacun relié à son pressoir. La course frénétique des serveurs et serveuses guidée par les appels incessants et enroués des clients assoiffés ; le parfum écrasant du malt, du houblon et de la sueur avinée.
Le tournis s’empara de Jilam devant pareille masse de corps ratatinés dans un espace aussi restreint.
─ Viens, je vais te présenter des amis, l’interpela Edgar en le tirant par le bras.
Le bar était bondé à limite de l’indigestion. Des elfes, des lutins et des gnomes pour la plupart, braillant à grand coup de vent sous le plafond ventru. L’époux de la sorcière reconnut un groupe de fées égarées à l’aperçu de bouts d’ailes étincelants dépassant de la fourmilière échauffée agglutinée autour d’elles. Les musiciens avaient abandonné l’idée de jouer et ce depuis un moment au vu de la marée de chopes jonchant leur tablée.
Son aîné l’entraîna vers l’une des alcôves installées un peu à l’écart de l’animation principale. Une cohorte assez nombreuse s’y trouvait déjà assise. Jilam compta trois elfes, deux lutins, un gnome et une fée. Jolie main.
─ Edo ! clama l’un des elfes, le plus grand. Tu t’es ed-garé ?
─ Tu nous a devancé sur la chopine avant de radiner ? le héla l’un des deux lutins, le plus petit.
Tous les regards heurtèrent Jilam, que son aîné enlaça sans prévenir par l’épaule, ainsi qu’il le faisait autrefois, chaque fois avant de lâcher une boutade moqueuse histoire de divertir la fratrie.
─ Mes brebis, je vous présente mon p’tit frangin, Jilam.
Ce dernier sentit une vague chaude le remonter des talons jusqu’aux joues piquées de moucherons.
─ Hé mais mâtez-moi ça, entonna le gnome d’une voix suraigüe. Ce pantalon, ces bottes, tout le tintouin là, ça viendrait pas du bois ça ?
─ T’as abusé sur les champignons mon foie, ricana le grand elfe, pas si grand à seconde vue.
─ Non, il a raison, intervint la fée, dont le timbre grave surprit Jilam. Mâte un peu le manteau, cette écharpe et puis ce charmant bandeau, tout ça est estampillé « mains boisées ».
─ T’y vient-y d’où, toi, gamin ? questionna le plus haut des lutins.
─ D-d-du bois.
D’une seule voix, tonitruante, les attablés éclatèrent de joie et trinquèrent dans un geyser de mousse. Edgar palpa l’épaule de son cadet comme pour le rassurer. Jilam le darda, les globes à moitié éjectés de leurs orbites. Rien de tout ce que se déroulait sous ses yeux, de ce qu’il entendait, n’avait de sens. Où était donc passé l’ancien Edgar, celui de sa mémoire ? Qu’était-il advenu de lui ?
Le jeune homme ne savait où se mettre. « Pose-toi là, le boiseux », l’invita le gnome en invitant la fée à s’écarter d’une main baladeuse sur sa cuisse, qu’elle chassa d’un revers bien senti. Son frère s’installa juste en face de lui, près de l’elfe qui, seul, était resté muet à leur arrivée. Jilam s’attarda sur l’individu, souligna son air pensif ; lui non plus ne semblait pas dans son assiette. Le lutin au tablier, qui s’avéra le patron de la renommée boutique, revint pour prendre commande, discuter un peu avec Edgar, puis une serveuse elfe – fort mignonne et qui rappela tristement Niu à Jilam – arriva pour déposer la tournée offerte par son frangin. L’époux de la sorcière n’avait jamais bu de bière et grimaça au contact de sa langue amère, à l’opposé des baisers sucrés de la liqueur des elfes. Ses réactions chaque fois qu’il avalait une lampée amusait beaucoup ses compagnons de tablée.
La soirée s’enchaîna comme n’importe quelle festivité du bois, à la différence que tout, des alcools jusqu’aux danses, respirait l’amalgame rustique au lieu de la sensualité naturelle et de l’énergie mystique auxquelles Jilam était habitué. Les discussions portaient surtout sur les plaisanteries de boulot ; ça s’échangeait des anecdotes sombres pour les changer en farces, l’angoisse quotidienne devenait cirque passager, et les patrons occupaient le cœur de la scène dans leur costume balourd de clowns fanfarons. Ça riait, et parfois, sans crier gare, ça se mettait à chanter de vive voix, cacophonie vomie par la trachée et répétée en écho infernal par une centaine de glottes endiablées. Et au milieu de ce rituel bien rôdé, une saveur de rouille sur le palais, se tenait Jilam, sirotant sa bière amère histoire de se donner une contenance, qu’il mimait somme toute très mal. De temps en temps, il lançait un regard à l’elfe taciturne, rabougri entre un Edgar déchaîné et un congénère – ivrogne congénital au vu de sa trogne en chair à pastèque –, un regard pareil à un phare de détresse dans le maelström. L’autre, entendant ses appels muets, lui accordait parfois un coup d’œil, plus vif qu’un doigt au-dessus d’une chandelle allumée. Alors Jilam se sentait plus seul que jamais, seul et de plus en plus saoul.
À un moment, Edgar daigna enfin lui présenter leurs camarades de débit. Ces noms disparaissaient dans les limbes de l’oubli à mesure que son frère les formulait. Le jeune homme opina du chef, forçant un sourire à l’adresse de chaque visage, terni par la lumière faiblarde de l’alcôve et les trémolos d’ombres ivres, visages qui, dès le lendemain, aurait évacué sa mémoire brouillonne.
La fée narra le récit de leur rencontre avec son frère. Au fil de ses déambulations dans le quartier des farfadets en quête d’informations sur Jilam, Edgar s’était forgé des amitiés auxquelles son statut ne lui aurait d’ordinaire jamais conduit. « Triste hasard favorise heureuses rencontres » prétendait un autre des proverbes que Jilam appréciait avec tant d’ironie.
Par-dessus tout, le cadet était bouche-bée à l’écoute de son aîné, son langage aussi brut et grossier que celui des trimeurs de quartier ; lui qui, du temps de leur enfance, même lorsqu’il chahutait le benjamin du clan, empruntait un phrasé et une posture de dandy poudré. De bourgeois, il n’en avait plus la moindre allure, avec son caban imbibé de bière et son béret d’artisan, déguisement certainement dérobé dans quelque malle de théâtre. À croire qu’un esprit avait pris possession de son corps de bovin après avoir étranglé le vrai Edgar, celui que Jilam connaissait, la brute aux manières et à la prose soignées, le bourreau au masque de fierté, l’amuseur des galeries et le pitre mesuré des repas de familles, celui qui, dans la besace de son ego, portait toujours un bon mot pour rire ou une pensée bien sentie mais vide de sens. Encore une fois – Jilam n’avait de cesse de le questionner – qu’était-il advenu de cet Edgar-là ? Qui était donc ce bonhomme qui avait emprunté la bonhomie patibulaire de son frère, cet homme au coude et au rire léger, à la mine réjouie d’un bonheur simple, s’amusant de ses frasques autant que de celles des autres ? Et quels autres ! Des manants, bouviers de profession, au mieux artisans, vauriens du bois, immigrés sans droit, rustres et rusés, trouble-fêtes nés. Le voilà qui échangeait en pareille compagnie ses vers fleuris dans un concert de rots. La fascination avala bientôt l’incompréhension. Et Jilam avala sa bière.
La soirée se changea en nuit, et la nuit s’épanouit sans que notre humain ne déniche le moyen, ni même l’effort, de s’extirper de cette nasse enfiévrée. Depuis combien d’heures se trouvait-il ici ? Une, deux ? Combien de chopines ? Deux, trois ?
Et voilà l’autre Tête-de-Niu qui déboule aves ses plateaux chargés. Non. Il faut que je m’échappe. Trop c’est trop. Nellis va s’inquiéter.
Ses fesses s’arrachèrent au banc collant de précédentes beuveries au prix d’une traction douloureuse des genoux ; puis son corps demeura ainsi, en lévitation, le regard fixé sur son frangin qui l’observait d’un œil trouble mais pétillant de bonheur, les joues et le front pivoine, un collier de dents remplaçant sa mâchoire sévère. Un visage transpirant, de fatigue, de passion… et d’amour.
Jilam recolla son postérieur au banc, le front brûlant, les mains poisseuses, saisit fermement sa chopine et la leva à l’intention d’Edgar. La joyeuse compagnie trinqua derechef, une offrande au dieu des ivrognes et des idiots versée sur la table en pin pintée aux multiples couches de vernis malté.
Quand le patron finit par les virer, ils sortirent bras dessus, bras dessous, en grappe mal assortie, des raisins pressés jusqu’au dernier jus, plus que le pépin sous la peau, chauffée au fer blanc sous l’aube irradiante. Jilam se rappela qu’il existait un jour, un monde qui tournait. Tel le serpent se mordant la queue, son pied mordît celui de son frère et l’ensemble de la grappe titubante s’effrita en morceaux aplatis sur le sol dans une explosion ocre de poussière dont la nuée retomba en linceul sur leurs corps ravagés par la malédiction du dieu des rires et des fous. Alors ils se mirent à chanter, plutôt vociférer tels des bœufs qu’on égorge, à la face empourprée de la Demoiselle de l’Aube, dont les feux, d’ordinaire doux et timides, s’embrasaient avec la fougue irréelle du zénith et l’éclat dément du couchant. « Venez, descendez, venez jouer avec nous ! » avait envie de hurler Jilam à l’intention des anges du ciel sans parvenir à formuler d’autres notes que les vers hilares dévorant ses cordes vocales en liquéfaction.
Un mal de crâne à vous plier une barre de fer en deux ravageait sa caboche. C’était comme si un forgeron martelait le métal fondu de son maillet, l’enclume nichée entre ses deux tempes battues par un sang furieux, désireux de faire taire ce tambour incessant, sombre idiot inconscient d’en être la cause. Idiot heureux.
Les amis d’une nuit se séparèrent après moultes embrassades fétides et promesses futiles, des adieux déchirés sans déchirure, un au revoir qui n’appelait pas à être vu.
Les deux frères se retrouvaient seuls, siamois liés par le bras, marchant d’un pas chancelant dans les rues semi-peuplées du quartier des farfadets où les serviteurs des ténèbres croisaient la route des esclaves de la lumière. Et au milieu de ce ballet millimétré d’immortels soumis au cycle infini de l’éphémère, à l’œuvre pour le compte de la reine furtive mais sans une once de discrétion, sinuaient deux mortels, plus morts que vivants, pour la première fois réunis depuis le même ventre partagé à quelques années près, sous cette matinée grise et pourtant si ardente.
─ J-j’crois qu’on n’a eu l’soif plus grosse qu’l’foie !
Deux rires débiles enchâssés, inquiétants à n’en plus s’achever. Deux vies flânant dans un dédale de macabre consensus, à l’écart de toute logique, de tous les mondes, dedans et dehors, tout à la fois plus soudés que des corbeaux et plus séparés que jamais.
Edgar s’arrêta et Jilam par voie de cause aussi. L’aîné détailla son cadet par-delà le voile de l’ivresse. Sa main, tenant la pipe qu’il avait, après un long effort, échoué à allumer, tremblait autant du fait du froid matinal que de la joie fatiguée. Il pointa le bec en direction du levant miroitant tel un mirage dans le désert blanc.
─ Par-là nous retournons en ville, déclara-t-il d’une voix éreintée au bord de l’extinction.
Jilam loucha sur lui sans comprendre, agitant ses jambes pour demeurer en équilibre. Son frère se gratta la barbe illuminée de tâches rouges, la peau blanchie jusqu’à l’os par le soleil. Il porta la pipe au bec, tira sur l’embout un long moment gênant avant d’enfin se rappeler qu’elle ne fumait pas.
─ Euh… Est-ce que… Est-ce que tu… Est-ce que tu veux passer à la maison ?
Dans le silence pesant qui suivit, il continua de se gratter, l’occiput, puis la nuque, les bras, le torse, jusqu’à ne plus savoir quoi ratisser et jeta son dévolu sur l’air brumeux d’hiver. Les pies farceuses et les corneilles d’osier s’amusaient, depuis le faîte des toits, de la scène en train de se jouer en bas.
─ Tu ne vas pas rentrer au bois dans ton état. Un peu de repos te fera du bien, insista le grand frère.
─ C’était donc ton plan depuis le début, se rembrunit le cadet, l’esprit plus embrumé que celui d’un nouveau-né.
─ Q-quoi ?! N-n-n… Non ! s’empressa, dans la mesure de ses moyens, de nier son frangin. Tu n’y es pas. Je n’avais rien prévu du tout. Je voulais simplement… tu sais…
─ Profiter de la situation, acheva le benjamin, sourcil piqué façon sorcière.
─ Tu sais, nous partons dans un mois, et je doute de te revoir d’ici là. Viens, juste cette fois, rassurer les parents. À la mine suspicieuse face à lui, il ajouta : Je te promets, il n’y aucun piège, aucune ruse. Je… Je veux simplement qu’ils partent l’esprit libre de t’avoir revu. Juste un court instant.
Jilam, dont les pensées désaxées se heurtaient à grands cris dans sa tête fondue de plomb, ne trouva rien à formuler et se contenta de refuser d’un hochement nauséeux. Alors Edgar s’emporta :
─ Troubledieu ! Souhaites-tu donc les torturer jusqu’au cercueil !? As-tu laissé ton cœur dans le bois !? Pourquoi ne peux-tu faire l’effort d’apaiser leur douleur, rien qu’un peu, simplement en leur rendant visite ?! Tu n’auras même pas besoin de dire quoi que ce soit si tu ne veux pas !
Dans son ton, Jilam retrouvait un tantinet du grand frère qu’il avait jadis connu. Rien qu’un tantinet. Devant lui, il le savait, se tenait un homme totalement différent… Un étranger. Le miroir d’un souvenir.
Le jeune homme œuvra à ordonner son esprit tortueux en s’axant sur le rythme de partition des pas laborieux louvoyant autour d’eux, de l’écho morcelé des chants d’oiseaux porté par le doux sifflement du vent givré. Puis il parla, d’une voix apaisée, l’esprit clair en dépit de la houle et malgré les doutes l’assaillant :
─ Ed… Je n’attends pas que tu comprennes, pas plus que tu n’acceptes. Même pour moi, c’est difficile. Ce n’est pas du sadisme contrairement aux apparences, à ce que je croyais au début, ni non plus une vengeance mesquine. J’ai simplement tourné la page. J’ai tiré un trait sur mon passé, un trait qui ne laisse place à aucune patte traînante de souvenir. Je le dois, pour mon bien et celui de Nellis… Surtout pour le mien. La vérité c’est que… j’ai peur. Cela n’a pas changé. Aujourd’hui comme hier, j’ai peur de mon ombre, des manigances qu’elle complote dans mon dos. Tant de fois, elle m’a tiré en arrière, et tant de fois j’ai été tenté, mais à chaque occasion, dix autres raisons me poussaient en avant. J’avais fini par l’arracher, et toi, tu es venu me la ramener. Je ne veux plus souffrir à cause du passé, Ed. La seule douleur que j’accepte est celle qui me lie à mon destin. Eh oui, je crois au destin. J’y crois depuis qu’il s’illumine devant moi. Car ce destin a un visage et tient une lanterne dans sa main. Cette lanterne qui, une nuit d’hiver, il y a sept ans, s’est décrochée des noirs espaces froids que je n’avais eu de cesse, jusqu’ici, de contempler seul, et m’est tombée dans les bras, aussi blanche qu’un cocon de soie, sa lueur crachant des éclairs. Cette lanterne m’a juré une chose : de me rendre heureux quitte à embraser le monde pour faire fondre la glace de mon cœur. Que répondre à cela sinon dévouer ton corps et ton âme à cette lumière qui promet de t’éclairer jusque dans le noir le plus complet, ce noir qui depuis toujours t’accompagne et qui, grâce à elle, chaque jour s’éloigne ? Dis-moi, Ed. J’aimerais avoir ton avis.
Edgar avait encaissé les aveux de son frère sans broncher, stoïque et à moitié décuvé. Devant la question, il leva les yeux au ciel, couvé par de fins de nuages comme autant de loupes à demi transparentes jouant avec les rayons blafards.
─ Je ne t’ai rien dit. J’ai aussi rencontré quelqu’un. Nous sommes mariés depuis un an et nous attendons un enfant. C’est une comédienne, tu vois. Notre union m’a valu de belles années de conflit avec les parents. D’une certaine façon, c’est grâce à toi qu’ils ont fini par céder. J’imagine qu’ils avaient peur de perdre un autre fils.
Jilam accueillit le coup avec moins de prestance. Son frère se tut sans aller plus loin dans les détails. Lorsque son attention revint au plancher des vaches, sa figure rougeaude dépliait un sourire jusqu’aux deux oreilles.
─ J’ai longtemps cherché une voie pour te ramener, et c’est en entrant dans le bois que j’ai finalement compris, au fond de moi, que tu étais parti. Que le Jilam que j’avais connu était mort, englouti par une force dont je ne mesurais pas la puissance, une force au-delà de l’entendement. Cette force, tu la portes en toi. Je ne peux la discerner mais je la ressens. Je sens sa chaleur. Elle brille comme cette lanterne qui t’es tombée du ciel. Je ne saurais l’affronter. Je n’en ai pas l’étoffe. Ma force à moi est toute autre et surtout bien moindre. Je nage dans un courant que je connais sur le bout des doigts, alors que toi, plus tu avances, plus tes eaux se troublent et tu n’as que ta lumière pour te guider, alors que moi, je nage en plein soleil.
Le benjamin esquissa un sourire timide, troublant d’asymétrie.
─ Nous ne nous comprendrons jamais, toi et moi.
─ Je le pense aussi. Mais ton absence m’a appris à accepter.
Leurs deux sangs figés s’échangèrent un long discours de regards. Les passants ralentissaient, s’assuraient de visu une respiration ou se demandaient s’il s’agissait d’une prestation de rue.
─ Salut, Ed, trancha Jilam sur un sursaut de bise.
Alors qu’il commençait à s’éloigner, Ed marqua une hésitation, qu’il dissipa d’un bras implorant.
─ Attends, Jil… Viens avec moi, s’il te plaît.
Dans sa fierté il avait cru qu’il aurait le courage de le regarder s’enfuir de nouveau, mais là encore, il s’était taillé des illusions. Et comme Jilam ne bougeait pas, il ajouta :
─ Pourquoi ?
─ J’ai fait mon deuil, je te l’ai dit.
─ Ne parle pas d’eux comme s’ils étaient morts !
Le chagrin étouffait le reproche.
─ Trop tard.
Le reproche étranglait le chagrin.
─ Arrête de dire ça ! Tu es seul responsable de tes choix.
─ Oui, tu as raison. Je suis seul responsable.
Et ce disant, Jilam préféra jeter son attention sur le sol de poussière gelée par la nuit.
─ Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, s’empressa de se confondre Edgar.
─ Je sais. Salut, Ed.
─ Viens, Jil, je t’en prie.
─ Arrête, toi, de me prier ! Est-ce j’ai une tête de dieu ?
─ Tête de mule, je dirais.
Ils se figèrent, se fixèrent, puis éclatèrent d’un rire franc aux accents rouillés. Le monde se mit à tournoyer comme un manège, et eux, en suspend au centre du globe, se tapaient la panse au risque de percer leurs outres à bière. Pies farceuses et corneilles d’osier s’envolèrent, apeurées, formant une nuée sombres au-dessus d’eux. Puis le silence revint. Le jugement des marchands derrière la vitrine de leur échoppe, des artisans au turbin et des autres poivrots de la nuit, rassurés à la vue de pire qu’eux.
─ Salut, Ed.
─ Salut, Jil.
Il n’y eut pas d’étreinte, pas même une poignée de mains. Les deux frères se tournèrent le dos et s’en allèrent, chacun de leur côté, vers leur monde respectif, un goût rance de bile sur la langue et le ventre rongé par la corrosion. Ils ne devaient plus jamais se revoir.
Tout cela n’était-il finalement qu’un rêve ?
Jilam s’en fichait bien, comme d’une guigne dans un guidon. Son guide à lui s’était égaré, la faute à une sobriété excessive qui jusqu’à présent ne l’avait jamais sauvegardé. Les jambes garnies de plombs, il traînassait sa carcasse fondue dans la forge d’un boitement étonnamment leste, les bras batifolant telles les ailes d’un papillon ; un papillon en fin de vie, certes, mais un papillon néanmoins. Même le parfum froid de l’humus s’enrobait d’une saveur de badinerie. Parfois, on le confondait avec quelqu’un et il répondait, bon joueur, d’une voix guillerette, aucunement forcée, bien qu’un esprit susceptible pourrait méprendre son ton pour une moquerie. Il saluait à tour de bras, chantonnait ça et là, se lâchait à siffloter, mais arrêtait vite fait car il ne savait pas. Il était libre et ne s’en faisait plus. Son destin était tracé, profond dans son sillon de terre calcifiée. Tout était comme il avait un jour formulé le souhait. Du moins se le persuadait-il.
De retour à la cabane des frênes jumeaux, loin, très loin de l’univers qui l’avait engendré, il s’égaya à la vue du visage qui l’accueillit, sourcils froncés d’hébétude devant son état misérable et pourtant épanoui. C’est une voix qui n’en menait pas large contre son humeur sans marge qui l’interpela :
─ Te voilà aussi rincé qu’un savon. Je peux savoir où sont les courses ?
Jilam ne prononça pas un mot et se contenta d’enlacer son épouse comme si un siècle les avait séparés. Le nez enfoui dans ses cheveux de soie, respirant les arômes herbacés, il lui susurra à l’oreille :
─ J’étais ma propre prison. Et c’est ici, avec toi, que je me suis libéré.
Hello Julien,
Encore un magnifique opus de la sorcière des bois.
Plus je te lis, plus j’aime ton écriture et tes deux personnages. J’attendais avec impatience le dernier chapitre de l’arc pour le lire en enter, et je peux te dire que je ne suis pas déçu.
J’espère que tu pourras publier tout ceci un jour dans une belle édition d’un volume papier…
Merci beaucoup 😀