La magie sans maîtrise mène irrémédiablement à la ruine du corps et de l’âme. Et souvent au tas de cendre.
-Devise de l’académie de magie d’Akia
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Iad 41 de l’ère impériale, vingtième dan d’Arntayo
Steshin ouvrit les yeux. Il faisait encore nuit, il restait encore une unia ou deux avant le lever de Sonse. Il fixait pensivement le plafond, son regard s’était figé sur une planche en particulier, sur ses courbes harmonieuses tracées avec finesse dans le bois.
Nous nous sommes sortis de nos derniers ennuis mais nous ne sommes pas vraiment dans une meilleure situation. Nous devons mettre un maximum de distance entre nous et les événements qui nous ont réunis.
Il ne parvint pas à retrouver le sommeil et attendit le réveil d’Oronay pour se lever. Ils descendirent dans la salle à manger après un brin de toilette matinale.
-Notre dernière affaire ne nous a pas rapporté suffisamment pour partir d’ici. Avec un peu de chance nous trouverons un bon travail aujourd’hui. Pas aussi dangereux, j’espère.
Le varvarish faisait mine de n’en avoir rien à faire. En réalité, il en était bien conscient mais il n’appréciait guère cette situation. Une fois leur maigre repas avalé, ils s’en allèrent voir le panneau d’affichage devant l’auberge, à tout hasard.
Rien. Aucune offre intéressante, aucune nouvelle. Uniquement des travaux d’atelier, de maçonnerie ou de transport comme décharger des marchandises pour une quelconque compagnie commerciale. Étrangement, l’offre pour les doigts de voleur était toujours là. Malheureusement, cette dernière était la seule à être correctement rémunérée, même compte tenu du danger. Une jeune femme, une domestique à en juger par son accoutrement, bouscula légèrement Steshin en s’approchant du panneau.
-Excusez-moi voyageur.
-Oh ce n’est…
Steshin ne put s’empêcher de remarquer qu’elle tenait un morceau de parchemin dans la main gauche.
-…Rien. Vous déposez une annonce ?
D’abord surprise, elle ne répondit rien puis elle bredouilla une réponse affirmative. Ses manières étaient clairement celles d’une domestique certes mais pas au service de n’importe quel maître. Ce n’était pas un noble car elle ne se rabaissait pas suffisamment devant ses interlocuteurs mais ce n’était pas non plus un simple citadin car elle se montrait bien trop polie pour cela. Elle tendit finalement le morceau de parchemin à son interlocuteur. Il y était écrit les mots suivant.
* * *
Recherche mercenaires pour protéger une collection d’artéfacts durant trois dano et trois nuits.
Veuillez vous présenter au grand mage Artiny, représentant des écoles de la terre, de l’eau et de la végétation et grand expert en artéfacts anciens du Nord de Plenovny résidant au manoir Krina dans le quartier des mages.
Récompense substantielle à la hauteur du service rendu. Logement, repas et toilette fournis.
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Steshin finit de parcourir le morceau de parchemin avant de le tendre à son partenaire tout en signifiant à la jeune servante qu’ils acceptaient l’offre. Oronay, quant à lui, se contenta d’une moue peu convaincue mais il semblait tout de même plus satisfait que précédemment.
-Ravie d’avoir si rapidement trouvé ce que mon maître recherche. Je me nomme Grola Veko, servante dévouée de maître Artiny.
Elle exécuta une révérence minutieusement apprise auprès d’un maître rigoureux.
-Mon maître sera disponible pour vous recevoir en fin de matinée. Évitez tout retard, mon maître est très strict sur ces choses-là.
Elle repartit d’où elle était venue avec un air guilleret. Les deux compagnons, ayant un peu plus d’une unia devant eux avant de devoir se rendre au manoir, décidèrent de se séparer et de passer voir les artisans d’armes afin de trouver de l’équipement utile et peu onéreux. Au cours de ses flâneries, Steshin tomba nez à nez avec un individu des plus louches.
Il ne ressemblait pas à un voyageur, ni à un soldat ni à un brigand. Un elfe tout de noir vêtu d’une tenue moulante ayant un simple cercle argenté au centre du torse. Il était fin et musclé, plus agile que réellement fort au vu de la grâce de ses mouvements. Les traits fins et doux de son visage contrastaient avec son regard dur et froid, autant que pouvait l’être la lame d’une dague plongeant dans un cœur durant une froide nuit de Vima.
Steshin sentit tous ses sens se mettre en alerte, il était évident pour lui que c’était un individu dangereux, mortel et professionnel. Plus il y réfléchissait, plus il était évident que cet elfe était un assassin et pas de n’importe quelle guilde. C’était un agent de la guilde d’assassins de la Mona noire, la plus dangereuse de toutes ces guildes. Une fois un contrat accepté elle s’engage à éliminer la cible peu importe le coût final, bien que ce soit rarement un problème. La seule chose rassurante actuellement pour Steshin, c’est que ces assassins ne tuent que durant les nuits de Mona noire, aussi appelées nouvelle Mona et que cette fameuse nuit était déjà passée pour ce monas. Sa prochaine cible mourra certainement le quatorzième dan du monas prochain grâce au fanatisme zélé avec lequel il respecte certainement son credo.
En tout cas, l’assassin ne sembla pas prêter la moindre attention à l’ancien conspirateur, il achetait des sortes d’étoiles fines en acier à un marchand d’armes important ses biens depuis Forishny. Étrange pour quelqu’un ayant fait plusieurs dizaines de dano de voyage depuis ce royaume, depuis la ville de Pageny plus précisément. L’assassin finit ses emplettes et repartit au milieu des passants avant d’échapper à la vue de Steshin. Ce dernier fut intrigué par ces étoiles. Après tout, si un assassin expérimenté est intéressé par cela, c’est que ça doit avoir un intérêt quelconque. Il s’approcha de l’étal de l’artisan, celui-ci vendait essentiellement des armes légères, des arcs, des flèches et tout un tas d’équipements divers. Tout était d’origine elfe, sans le moindre doute.
Un jeune garçon, l’apprenti du véritable propriétaire très certainement, décrivit les mystérieuses étoiles comme étant des armes de jet particulièrement efficaces pour harceler une cible à faible coût. Steshin en prit une dans sa main. Elle était légère, très légère, trop légère même pour être utile sur une longue distance. L’acier dont elle était faite semblait de mauvaise qualité et à peine coulé à la va-vite, d’où le faible prix. Steshin la lança sur une poutre en bois à quelques metro et le résultat fut mitigé, l’étoile s’était plantée à peu près où il avait visé mais pas très profondément. Il décida néanmoins d’en acheter une dizaine pour quelques pièces de bronze afin de s’en faire une meilleure idée en condition réelle.
Steshin retrouva Oronay devant leur auberge à l’unia convenue et ils s’en allèrent en direction du quartier des mages. Pour y entrer il fallait montrer patte blanche, les accès étant contrôlés assez étroitement par les troupes de la lame ardente. Les trois soldats qu’ils croisèrent prirent un air mauvais en voyant passer le varvarish et son bâton de mage mais ne tentèrent rien car ils n’étaient que de simples fantassins, de la piétaille zélée certes mais insuffisamment entraînée pour lutter contre lui. En théorie. Avec un chevalier en renfort ils auraient été sans doute plus hardis. D’un autre côté, un mage rentrant dans ce quartier n’était pas un problème pour eux en principe, ce sont ceux qui en sortaient qui devaient être régulés. Par chance pour Steshin il n’y avait pas non plus de paladin en patrouille.
* * *
La demeure du mage était un manoir d’une belle taille, surtout pour quelqu’un qui n’était manifestement pas d’extraction noble. Elle possédait deux étages et était aussi large qu’un pâté de maisons. L’extérieur était d’une apparence simple mais possédait un style architectural inhabituel pour cette région de l’empire. Les murs extérieurs étaient finement ouvragés avec de nombreuses fioritures et possédaient de nombreuses fenêtres. Celles-ci comportaient même du verre et non de simples rideaux pour réaliser la séparation avec l’extérieur. Ce manoir aurait pu être un bâtiment municipal dans une ville du Sud particulièrement prospère, surtout avec sa petite place adjacente. Seule ombre au tableau, on pouvait observer la citadelle de la lame ardente surplombant le quartier depuis l’entrée.
Ils frappèrent à la porte, un vieil homme leur ouvrit. Celui-ci n’était pas très accueillant mais il les invita à entrer une fois le motif de leur visite connu. La jeune servante du panneau d’affichage les accueillit et les emmena voir son exigeant maître. Artiny était un vieil homme, maigre, sec et presque entièrement dégarni. Ses lèvres fines et pincées, son nez étroit, long et surmonté de petites lunettes ornant des yeux à demis clos offraient à son visage l’air d’une personne sévère constamment importunée par des intrus dans son bureau. Bureau qui, comme son occupant, ne donnait pas particulièrement envie de s’y attarder avec tout ces ouvrages entassés un peu partout. Tout et si bien qu’il était difficile de s’y mouvoir et visiblement, les servants n’avaient pas le droit de toucher à quoi que ce soit, pas même aux rideaux qui contribuaient à assombrir la pièce.
Steshin se présenta lui-même, ainsi qu’Oronay, en tant que lames itinérantes à louer et ce, avec le plus grand respect pour leur hôte. Malheureusement celui-ci n’avait que faire de ce genre de mondanités et alla droit au but, sans le moindre artifice. Étrange pour un mage de sa stature.
-J’ai besoin de gardes fiables pour une courte durée afin de protéger quelques objets inestimables. Quelles sont vos qualifications pour une telle tâche ?
-Mon compagnon est un varvarish, un merc…
Le mage le coupa net en levant la main rapidement comme si elle était montée sur un ressort.
-Je connais la réputation des varvarisho, ainsi que leur appréciation du pillage. Comment savoir s’il ne va pas en profiter pour s’approprier mes biens ?
Oronay s’échauda à l’idée qu’on puisse remettre en doute son professionnalisme et il prit la parole d’une voix forte.
-Ce serait une insulte à mon clan ! Vous me payez, je vous protège. Si vous n’honorez pas votre part, je vous garantis que ça va mal se passer.
Steshin tenta de rattraper vainement son partenaire tout en arborant un air embarrassé.
-Excusez-le, il a un tempérament flamboyant. Mais en effet, en dehors de la promesse faite sur l’honneur de son clan, je ne peux rien avancer de plus quant à son intégrité.
Le mage sembla esquisser l’ombre d’un sourire durant un court instant, ou peut-être fut-ce l’imagination à l’œuvre.
-Très bien. Ma jeune servante vous montrera vos quartiers et vous fera faire un tour du manoir.
La jeune Grola, servante de son état, leur présenta alors les différentes pièces en commençant par leur chambre, individuelle. C’étaient de petites pièces sobres situées au dernier étage et destinées à l’accueil de visiteurs de petite importance. Par la suite, ils découvrirent le reste de la demeure dont la salle qu’ils devaient protéger et qui se trouvait juste à côté de leur chambre.
Elle contenait tout un tas d’objets soigneusement entreposés derrière des vitrines. Oronay fut mi-intéressé mi-déçu par les différents ouvrages jusqu’à ce qu’il tombe sur un en particulier dont il ne pouvait déchiffrer la couverture et encore moins reconnaître l’alphabet, bien qu’il ait vu tout les alphabets du continent et même au-delà. Celui-là était bien trop différent. Pendant ce temps, Steshin passa rapidement devant diverses vitrines et ne vit que deux choses réellement dignes d’intérêt. Tout d’abord une pierre précieuse translucide parfaitement ciselée d’une taille impressionnante, un diamant bleu gros comme le poing en somme. Ensuite, ce fut une armure de plaques sur un présentoir qui le mit légèrement mal à l’aise lorsqu’il tendit les doigts pour l’effleurer. C’était comme s’il avait senti son sang être incité à refluer d’un coup.
* * *
Steshin prenait un bain bien mérité dans un simple baquet en bois avant de commencer la surveillance. La chaleur de l’eau était agréable.
Ce magicien a des moyens financiers conséquents au vu de sa demeure et de sa collection. Rien d’étonnant à ce que la paye soit si bonne. Je me demande juste pourquoi il nous a engagé finalement ? Pourquoi seulement deux gardes si c’est si important ? Ça doit forcément cacher quelque chose. Ça va encore mal tourner j’en suis sûr. J’espère qu’on s’en sortira.
Il se recroquevilla anxieux et après quelques instants, il finit par prendre une grande inspiration. Il se mit une claque sur les deux joues en même temps et sortit du bain avec son air habituel.
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La nuit était douce et calme, la Mona éclairait la cour intérieure. Oronay patrouillait le dernier étage avec un sérieux à faire bouillir de jalousie un chevalier. Steshin, quant à lui, profitait de l’ambiance nocturne depuis un balcon du dernier étage. Il appréciait pouvoir observer la ville à cette unia calme et reposante où seuls les palefreniers, les gardes et les individus louches mettaient le nez dehors.
Tout du moins jusqu’à ce qu’un bruit étrange l’alerte. Sur ses gardes, il jeta un rapide coup d’œil en direction du bruit, rien. Il regarda au-dessus, en-dessous, toujours rien. Puis il entendit la voix d’un homme hurlant en contrebas.
-Grola !
L’homme sortit d’une petite ruelle qui constituait un angle mort dans le champ de vision de Steshin. Au vu des mouvements de cet individu, il jetait de petits objets en direction d’une fenêtre, des pierres sans doute. Steshin prit alors une grande inspiration et lui hurla dessus avec un ton autoritaire.
-C’est ma fenêtre ! Dégage de là, maraud ! Ou je te ferrai bouillir !
L’homme l’aperçut subitement et prit la poudre d’escampette. Oronay accourut au cri et fut à la fois rassuré et déçu que ce ne fut qu’un soupirant.
La première nuit se termina sans autre incident. Avant de se coucher, Steshin apprit que cet homme était le soupirant officiel de la jeune servante Grola. Il ne put s’empêcher de sourire en se disant que c’était mignon.
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Iad 41 de l’ère impériale, vingt-et-unième dan d’Arntayo
La deuxième nuit fut bien différente, on sentait comme de l’électricité dans l’air. Les deux compagnons le ressentaient, la nuit allait être agitée. Oronay patrouillait de nouveau au dernier étage de la bâtisse mais uniquement à l’intérieur cette fois alors que Steshin se tenait non loin de la pièce à garder, sur une passerelle en bois s’étirant au-dessus de la cour intérieure, d’une aile à l’autre.
Le temps était semblable à celui de la nuit précédente, le premier quartier de la Mona possédait un éclat pur mais avec une couverture nuageuse plus importante. La Mona pleine approchait. Il n’y avait que quelques dano à attendre pour la voir éclairer le ciel nocturne. Vers le milieu de la nuit le nombre de nuages augmenta considérablement et ils masquèrent la Mona, assombrissant fortement la nuit.
Malgré les ténèbres, Steshin entraperçut deux individus se dirigeant vers l’aile gauche du rez-de-chaussée. Il s’y précipita, courut vers l’escalier central de la demeure, croisa rapidement Oronay qui fut étonné. Il lui fit signe de monter la garde devant la salle. Oronay comprit que quelque chose clochait et alla se mettre en position sans dire un mot. Steshin contiua sa descente et il arriva dans l’aile en question avant de se souvenir qu’au sous-sol se situait la trésorerie. Il y descendit prudemment tout en sortant sa dague.
L’escalier descendu, il n’était qu’à un peu plus d’une dizaine de metro des deux intrus. L’un des deux crochetait la serrure protégeant la trésorerie pendant que l’autre faisait le guet. Fort heureusement il n’y avait qu’une bougie allumée sur un support mais celle-ci n’éclairait pas suffisamment pour dévoiler la présence de Steshin. Ce dernier, face à ce qui semblait être deux membres de la guilde des voleurs, n’hésita pas un instant à les charger. Celui qui s’afférait au crochetage fut sauvagement écrasé contre la porte et s’écroula lourdement au sol, assommé, le visage marqué par le contour de la serrure. Son complice quant à lui, s’était écarté par réflexe en entendant la charge effrénée de leur ennemi.
À présent, ce voleur était seul face à une forme noire difficile à distinguer dans un sous-sol tout aussi sombre. Il vit comme un éclair dans ce qui semblait être les yeux de la silhouette ou peut-être ce ne fut que son imagination. En tout cas, il n’eut pas le temps de réagir, il vit tout juste la lame d’une dague qui réfléchissait à peine la lueur de la bougie. L’instant d’après il sentit un choc contre quelque chose de dur et de froid contre tout l’arrière de son corps. C’était quelque chose de dur et de froid. Il avait mal à l’abdomen, au torse et à la tête. Il sentit quelque chose de chaud couler sur lui. Il voulut hurler mais son cri se perdit dans un gargouillis répugnant.
* * *
Oronay de son côté était en faction devant la salle des artefacts. Il fut assailli par deux adversaires, un de chaque côté du couloir. Il ne put s’empêcher de sourire face à l’amusement proposé. Il frappa celui à sa gauche à l’abdomen avec son poing droit pendant que l’autre tentait de l’étrangler avec son avant-bras. La réponse fut sans appel, Oronay lui agrippa le bras et se jeta en arrière écrasant et sonnant l’étrangleur. Puis il se releva d’un bond avant d’attraper sa première victime qui s’était à peine remise de son coup précédent. Celle-ci reçut un violent coup de boule et fut projetée par l’une des fenêtres du couloir et s’écrasa lamentablement au sol, dans la cour extérieure de la demeure. Il avait des éclats de verre enfoncés dans le visage dont un profondément ancré dans son œil. Lorsque le second commença à reprendre ses esprits, il reçut un coup de botte en plein visage et son sort ne fut pas différent de celui du premier.
Il n’y eut pas d’autre incident cette nuit là et Sonse finit par se lever tranquillement.
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Iad 41 de l’ère impériale, vingt-deuxième dan d’Arntayo
Ce mage semble savoir qui sont nos ennemis. Il ne sembla même pas étonné de retrouver quatre cadavres de la guilde des voleurs. Mais cela ne devrait pas constituer une entorse à l’accord que nous avons conclu il y a trois dano avec la guilde. Nous devons redoubler de vigilance.
C’était désormais la dernière nuit, la tension était palpable. Un long affrontement se préparait. Cette fois, ce fut Oronay qui fut en charge de surveiller la salle pendant que Steshin patrouillait l’intérieur. Il ne pouvait s’empêcher de penser à la nuit qui venait et surtout à son départ prochain. Il avait hâte de mettre de la distance entre lui et l’ordre de la lame ardente. Entre lui et cette ville de malheur.
Peu avant le milieu de la nuit, Steshin descendit au rez-de-chaussée durant sa patrouille et faillit trébucher sur quelque chose. Il se retourna rapidement pour voir ce qu’il en était et…
La servante !
S’en approcha prudemment afin de voir ce qu’il en était. Si elle allait bien ou si…
Hum… Inconsciente et traînée dans un coin ? Ça ne me dit rien qui vaille. Je dois apporter la nouvelle à l’autre.
Il se retourna et aperçut une ombre se déplaçant subrepticement dans le couloir. Une planche grinçante trahit la présence de Steshin. Il vit l’autre personne tourner la tête rapidement et prendre ses jambes à son cou. Steshin la poursuivit alors aussi vite qu’il le put. Ils traversèrent le couloir en un instant, puis une pièce sans avoir le temps de savoir ce qu’elle contenait, puis une autre. En sortant de celle-ci, l’ombre tira sur une poignée appartenant à la porte d’une armoire. Elle s’ouvrit et Steshin ne l’aperçut que trop tard. Il percuta de plein fouet la porte de l’armoire et s’écrasa pitoyablement au sol.
Steshin se releva un peu sonné et ne trouva trace de sa proie. Il retourna alors en direction de l’escalier et remonta les marches quatre à quatre sa dague à la main. Arrivé au dernier étage, il frappa par deux fois une silhouette qui lui tournait le dos. Manque de chance les coups portés ne furent pas létaux. La victime fit un pas de côté par réflexe et se retourna brusquement sur Steshin tout en se tenant maladroitement ses blessures d’une main. L’espion tenta de profiter de l’effet de surprise pour achever sa cible mais une boule de feu perdue passa juste derrière elle et éblouit Steshin. Sa lame ne rencontra que du vide. Il reçut en réponse un coup de genou dans l’abdomen qui le coupa net dans son enchaînement. Il avait envie de vomir à genou au sol. Il porta instinctivement la main gauche sur la partie douloureuse et jeta un regard vers l’origine de la boule de feu.
Devant la salle aux artéfacts, Oronay était aux prises avec quatre assaillants, quatre voleurs, et il semblait parvenir à maintenir un statu quo mais il finira par fatiguer à force d’employer la magie.
Plus le choix maintenant. L’échec n’est plus permis !
Steshin marmonna à voix basse et il changea la prise en main de sa dague. La lame pointait désormais vers le bas et il se jeta sur sa victime. La pointe de la dague se planta à plusieurs reprises dans le torse et la gorge du voleur. La victime ne parvint pas à se débarrasser de Steshin, il l’agrippait de toutes ses forces comme une bête enragée. Finalement le voleur s’effondra au sol et plusieurs filets de sang s’écoulèrent rapidement des plaies avant de former une flaque de sang le long du corps dont la vie s’échappait peu à peu avec quelques hoquets de souffrance. Steshin ne prit pas le temps d’admirer le résultat, il s’élançait déjà vers une nouvelle cible telle un animal sauvage en chasse.
Il attrapa les cheveux d’une demi-elfe par derrière et s’apprêta à lui sectionner l’artère carotide mais elle tomba en arrière sur Steshin en tentant d’esquiver maladroitement un jet de flamme. Elle se retrouva avec la dague juste au-dessus de l’œil gauche. Elle attrapa le poignet de son assaillant et tenta de basculer sur le ventre mais elle ne parvint pas à se défaire de son emprise. L’espion profita de sa position pour l’entourer de ses jambes et l’empêcher de se relever. Malheureusement pour elle, son bras commençait à fatiguer et la pointe de la lame se rapprochait inexorablement de son visage. Finalement la lame se ficha lentement dans son œil et, dans une réaction à la douleur, elle hurla en relevant la tête enfonçant plus profondément la dague dans l’orbite. Elle finit par retomber mollement avec quelques spasmes.
Lorsqu’elle cessa de bouger, Steshin la jeta sur le côté tel un vulgaire sac de patates et il se releva péniblement. Malgré son intervention, le combat tournait en sa défaveur. Oronay commençait sérieusement à s’épuiser et il restait encore trois adversaires à vaincre.
On ne peut pas tenir à ce rythme. Il nous faut une meilleure position qui nous permettrait de souffler un peu.
Steshin se rua dans l’un des voleurs et le poussa avec force dans un autre avant de se jeter sur la porte de la salle aux artefacts. Avant de l’ouvrir il profita de son petit effet de surprise pour décrocher un direct du droit, la dague encore en main, directement dans la mâchoire du seul adversaire encore prêt à se battre. On entendit ses dents claquer violemment et il chancela. Steshin ouvrit la porte et se plaça derrière de façon à pouvoir la refermer rapidement.
-Oro, ramène-toi !
Steshin dut repousser l’assaut du voleur qu’il venait de frapper d’un coup de pied dans le bas ventre en attendant que son compagnon d’arme s’engouffre avec fracas dans la salle, renversant au passage un présentoir. Steshin claqua la porte et fit jouer la serrure pendant qu’Oronay prit le premier objet un tant soit peu de bonne taille, un petit meuble, et s’en servit pour renforcer la porte. On entendait tambouriner à la porte comme pour faire sauter le verrou sans réveiller les habitants de la demeure.
Peu habituel pour des voleurs, mais ça ne suffira pas.
Leur cœur battait à tout rompre et ils semblèrent s’arrêter l’espace d’un instant lorsque quelque chose tomba derrière eux dans un grand fracas.
Sans doute une conséquence de l’entrée en force de l’autre. Pour l’instant nous n’avons rien à craindre.
Les deux assiégés barricadèrent la porte avec davantage de meubles, dont deux présentoirs en bois de chêne finement sculptés. La porte tenait malgré tout mais cela était principalement dû au manque d’efficacité des assaillants. Au milieu de ce vacarme, ils entendirent quelques cliquetis métalliques derrière eux. Un frisson leur parcourut alors le dos et ils se retournèrent subitement. Comment cela avait-il pu arriver juste sous leur nez ? Non seulement le précieux grimoire avait disparu de son présentoir mais un non moins précieux diamant s’était également volatilisé. Ils s’éloignèrent de leur barricade improvisée et commencèrent à inspecter la pièce qui ne manquait pas de recoins où se terrer telle une créature prédatrice se reproduisant grâce au corps inconscient de ses victimes.
Au bout de quelques minuto, Steshin souleva le pan d’une tenture de velours et se retrouva nez à nez avec l’intrus. Ce dernier se montra plus réactif que lui. Il décrocha l’armure de plaque et s’élança vers l’une des fenêtres tout en s’en servant comme d’un bélier face à la ridicule plaque de bois qui devait servir de protection contre une intrusion et pas une évasion. Oronay, qui fut le premier à réagir, lui emboîta le pas pour l’intercepter mais n’y parvint pas avant qu’il ne fasse le saut de la foi. Cela n’empêcha pas le varvarish d’incanter et de lancer une boule de feu en un instant, puisant dans ses dernières réserves de puissance magique. La boule de feu fila, frappa l’armure qu’avait emporté le voleur et retourna au lanceur. L’arrière-bras droit d’Oronay s’embrasa, lui arrachant un râle plaintif.
Le voleur était passé au travers de la fenêtre avec l’armure sans faire attention à la boule de feu. Il se réceptionna convenablement au sol et tituba sur quelques pas avant de repartir en abandonnant son encombrant chargement. Steshin enjamba la fenêtre, sauta et heurta le sol misérablement. Un tremblement parcourut tout son corps. Il s’élança à la poursuite du voleur sur quelques metro et projeta une de ses nouvelles étoiles d’acier en direction de la cuisse. Celle-ci se planta dans la main de la cible. Steshin ne parvint guère à avancer d’avantage, son corps n’en pouvait plus et il s’effondra à genoux. Oronay passa à côté de lui à toute vitesse tel un prédateur en chasse.
Une véritable bête de guerre ! Il est à toi la brute. Fais-lui payer.
* * *
Le voleur parvint à courir à peu près correctement jusque dans une impasse et il tenta de passer par-dessus le fin mur du fond composé de simples planches de bois mais sa main ensanglantée lui fit perdre prise et il s’affala au sol. Un dernier regain de courage ou de panique lui permit de se relever et de lancer le précieux ouvrage par-dessus le mur.
-Vas-y cours ! Dépêche-toi autant que tu peux !
-Et toi ?
-Cours !
Il se retourna dos au mur espérant que son complice qu’il n’avait pu voir avait écouté son conseil. Oronay se tenait à l’autre bout de l’impasse et avançait lentement vers lui le dos voûté, prêt à bondir. Il avait un sourire sardonique aux lèvres. Le voleur se plaqua contre les pierres comme s’il espérait fusionner avec. Oronay marchait toujours. Le voleur sentit quelque chose de chaud couler le long de sa jambe. Oronay n’était plus qu’à quelques metro de lui. Le voleur glissa le long des pierres et sentit le sol dur et froid cogner ses fesses. Oronay se tenait juste devant lui.
-Pitié.
Son gémissement pathétique s’évanouit dans l’air estival. Il sentait la respiration chaude et calme d’Oronay contre la peau de son visage.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-troisième dan d’Arntayo
-Ils ont livré le grimoire à un autre mage dans une grotte à un demi-dan de marche. C’est ce qu’a dit celui que j’ai coincé.
Il a su se montrer très utile sur ce coup. Seul, je serais dans une bien plus mauvaise posture actuellement. Ou peut-être bien meilleure ? Je…
Leur employeur était assis dans un fauteuil des plus luxueux. Ses bras reposaient sur des accoudoirs et les mains lui pinçaient le nez. Cette position alliée à son visage sévère donnait l’impression qu’il était sur le point d’exploser de rage mais il n’en fut rien.
-Compte tenu des circonstances, voici la moitié de la somme convenue. Davantage comme un remerciement pour mes domestiques et mon diamant bleu.
Il marqua une assez courte pause avant de reprendre sur un ton plus grave.
-Mais je regrette profondément la perte de mon grimoire. D’autant plus que le messager devant l’emporter arrivera en fin d’après-midi. Oui c’est… Particulièrement dommage, n’est-ce pas ? D’autant plus que mon concurrent doit bien rire de moi en ce moment même.
J’ai compris. Pas étonnant qu’il en soit arrivé là où il en est.
-Si nous vous le rapportons avant l’arrivée de votre homme, nous aurons le reste pas vrai ?
La conversation se termina sur un silence tendu lourd de sens. Steshin le comprit comme une réponse affirmative.
Cette étoile a raté sa cible mais elle nous a donné une occasion de nous rattraper. Pour une fois que la chance est de mon côté, ça change !
* * *
La grotte en question n’était rien de plus qu’une grande formation rocheuse creuse s’enfonçant un peu dans le sol au bord d’un petit cours d’eau entre deux champs en train d’être moissonnés. En soi, rien d’exceptionnel mais visiblement, les superstitieux locaux pensent qu’il s’agit de l’antre d’un esprit quelconque au vu des offrandes disposées devant l’entrée. Des graines, du blé et des fruits. L’entrée du boyau était couverte de symboles ésotériques inconnus des deux compagnons d’infortune.
Oronay et Steshin s’approchèrent prudemment de l’entrée, on y entendait déjà les échos d’une personne psalmodiant dans une langue inconnue.
Encore un maniaque du décor pour rituel, comme tous les mages ceci-dit. Ou presque.
Ils pénétrèrent l’un derrière l’autre dans le boyau rocheux. Il était long d’une dizaine de metro plongés dans l’obscurité. Au bout de quelques metro, ils se plaquèrent dans des renfoncements entre deux roches afin d’observer ce qui se trouvait au bout du boyau. Ils entendirent ce qui semblait être un rituel en cours d’exécution dans une sorte de pièce rocheuse circulaire. Steshin se risqua à jeter un coup d’œil. Un homme faisant de grand gestes se tenait dos à lui. Sa tenue était trop ample pour son gabarit et elle semblait être faite de tissus de grande qualité et finement brodés. Sa main gauche tenait le fameux grimoire ouvert tandis que son autre main émettait des éclairs en direction d’une sphère lumineuse grossissant et crépitant davantage à chaque instant.
La sphère se mit à virevolter et foudroya le mage en plein torse. Il prit feu, sa tenue prit feu, il hurla de douleur en s’écroulant au sol non sans un certain panache grâce aux effets de l’électricité qui avait parcouru son corps. La boule virevolta davantage, telle une feuille au vent. Elle tourna quelques minuto dans la salle avant de finalement trouver la sortie. Steshin se colla à la paroi rocheuse et intima à Oronay de faire de même en lui plaquant la main contre le torse. Ils cessèrent même de respirer. La sphère crépita légèrement en passant dans le boyau juste devant eux et elle s’en alla paisiblement sans faire davantage de dégâts.
Une fois les crépitements suffisamment éloignés, ils s’approchèrent du cadavre. Le mage était méconnaissable tant les brûlures au tronc et à la tête étaient importantes, son vêtement était même collé à sa chair calcinée. Le grimoire n’avait fort heureusement rien, il était simplement couvert de poussières, de suie et de cendres. Steshin le ramassa et Oronay fouilla le corps, il ne trouva que quelques oshedo en bronze et une mota en argent. Maigre butin pour un mage soi-disant renommé et fortuné.
Nous arriverons à l’unia de justesse si nous nous dépêchons, c’est le principal. Plus qu’un contrat comme celui-ci et nous pourrons nous en aller de cette maudite ville. En y repensant, cette boule était un sort entropique je crois. Rares sont les mages à pouvoir les lancer. Rares et dangereux. Cette spécialité n’est pas interdite par l’ordre de la lame ardente d’ailleurs et très controversée au sein de l’académie d’Akia ? Il n’aurait pas fini autrement du coup.