Est-ce que les gens sont bons ? Voyons, ils ne sont composés que de pourriture fourrée à la pourriture. Certain sont simplement moins pourris que d’autre c’est tout. Les gens bons, ceux vraiment bons, ne vivent pas assez longtemps pour faire quoi que ce soit. Les seuls qui y arrivent sont ceux qui acceptent de se perdre en pourrissant au contact des autres, ce qui revient au même.
-Maître Risem, médecin et philosophe
* * *
Iad 40 de l’ère impériale
Un jeune homme était allongé dans un lit, la couverture remontée jusqu’en haut du torse. Il semblait avoir dans la vingtaine, le début de la vingtaine probablement. Son visage était carré avec un large front et des lèvres fines. Actuellement, il était assez anguleux et amaigri. Pour finir, il avait des cheveux en bataille bruns et très courts. Présentement, il dormait comme une souche. Sa chambre, quant à elle, était des plus simples avec un lit, une commode pour les vêtements et diverses affaires, un secrétaire, quatre murs blancs et une porte. La simplicité même.
* * *
Iad 40 de l’ère impériale, dix-huitième dan de Lonayo
Une elfe relativement jeune, avec un sendek minimum derrière elle tout de même, entra dans la chambre. Elle tenait à la main une bassine remplie d’eau et une serviette. Elle était vêtue d’une robe de bure grise ample avec l’emblème de l’ordre sacré de la Mona d’argent brodé sur le devant, au niveau de la poitrine. Elle posa sa bassine sur la commode, y trempa le linge, l’essora quelque peu et se retourna en direction du jeune homme.
-Oh ! Vous êtes éveillé.
Elle n’eut aucune réponse mais elle ne se laissa pas décontenancer pour autant.
-Cela fait-il longtemps que vous êtes éveillé ?
Toujours aucune réponse mais cela ne la découragea pas, elle était bien trop ravie pour ça. Ravie et ravissante selon le jeune homme.
-Très bien. Je vais chercher mon supérieur. Il sera très heureux de vous savoir éveillé. Ne bougez pas, d’accord ?
Elle était sur le point de quitter la pièce lorsqu’elle entendit une voix s’exprimer avec peine.
-Combien de temps ?
Elle jeta un coup d’œil interrogatif à l’alité, n’étant pas sûre de quoi il parlait.
-Hum ?
-Depuis combien de temps… Suis-je ici ?
Il s’exprimait avec difficulté, visiblement il était encore bien mal en point.
-Hum… Ça doit bien faire une monaison. Reposez-vous. Je vais chercher mon supérieur, il pourra vous en dire plus. C’est lui qui vous a retrouvé.
Et elle sortit souriante d’un pas léger et rapide, ravie qu’elle était de pouvoir annoncer une bonne nouvelle.
* * *
-Gudan à nouveau ! Je vous présente mon supérieur, le paladin Kashint Fanegy.
Elle désigna un elfe tirant davantage sur le milieu de la trentaine, physiquement parlant et selon des critères humain. Celui-ci se tenait droit, les mains sur sa ceinture. Une posture de combattant chevronné gardant constamment une main sur son arme. Son visage ovale était dur comme s’il avait été taillé dans un roc. Ses cheveux noirs de jais attachés en queue de cheval juste au-dessus de sa nuque, à l’exception de deux épaisses mèches encadrant son visage, renforçaient cette impression. Mais le sourire avec lequel il comptait aborder le jeune alité adoucissait considérablement ce tableau.
-Mes plus sincères salutations, jeune homme.
Il n’eut pas de réponse malgré que son interlocuteur le fixait intensément du regard avec ses yeux à demi-clos et ce, droit dans les yeux. Conjugués à son grand front, cela lui donnait l’image d’une personne dont l’esprit était écrasé sous le poids des réflexions.
-Je comprends votre silence, nous n’avons pas été présentés comme il se doit et donc vous vous méfiez.
Il prit le temps d’une pause afin de laisser la possibilité à l’autre de répondre mais il n’en fit rien.
-Soit, je me présente en premier alors. Je suis le paladin de l’ordre sacré de la Mona d’argent Kashint Fanegy, troisième fils de feu le comte Fanegy d’Ireko et second petit frère de l’actuel comte.
-Hum…
-Eh bien, qu’y a-t-il mon garçon ?
-Je…
Sa voix fut hésitante. Les deux autres le regardèrent avec attention, prêt à saisir la moindre bribe d’information.
-Je ne… Me souviens pas.
-Comment ça ?
-Comment ça ?
Ils le dirent en chœur et ne purent s’empêcher de se lancer naturellement un regard complice.
-Je ne me souviens de rien. De rien avant mon réveil ici.
-C’est fâcheux. Peut-être que la mémoire vous reviendra avec le temps. En attendant, il est hors de question que je refuse d’aider quelqu’un dans le besoin. Restez aussi longtemps que vous le souhaitez.
-Mise à part votre mémoire, avez-vous mal quelque part ?
-En effet, j’ai oublié ce point.
-Hum… Ah ! Ah !
-Restez allongé !
Elle s’était presque jetée sur lui pour l’empêcher de faire un mouvement trop brusque. Ou même un mouvement tout court à la vue de son état. Le haut de la couverture était tombé lorsqu’il avait essayé de se relever, dévoilant ainsi un torse couvert de bandages et de compresses.
-Tout mon corps me fait souffrir dès que je bouge.
-Vous étiez gravement blessé en arrivant. Je vous ai trouvé à une unia de marche d’ici environ.
-On peut dire que vous n’êtes pas du genre à vous plaindre.
Elle s’adressait à voix basse au jeune blessé qu’elle tentait de soulager pour qu’il se sente davantage à son aise dans cette situation peu enviable.
-En effet. En tout cas, je n’ai jamais vu quelqu’un avec vos blessures par le passé, même durant la guerre. Et j’ai encore moins vu quelqu’un y survivre. Les dieux ont décidé de vous épargner visiblement, ils doivent avoir de grands projets pour vous.
-Peut-être…
-Je suis heureux de voir que vous allez mieux. Je vous laisse entre les mains de Beshant.
-C’est moi Beshant.
-Mes excuses, mes plus plates excuses. Je ne vous ai pas présenté.
Elle tourna la tête en direction du paladin et afficha immédiatement un sourire taquin.
-Décidément, ces deux derniers sendeko à vagabonder loin de la cour ne vous ont pas réussis.
Elle appuya sa taquinerie d’un clin d’oeil, Kashint la prit avec humour et sortit de la chambre.
-Excusez-le, il a tendance à être distrait. Il n’est pas seulement mon supérieur mais c’est également le responsable de ce lieu.
-Je comprends. Il a dit que j’étais gravement blessé. À quel point ?
-Un instant, je reviens.
Elle sortit pour revenir au bout de quelques minuto avec des bandages et des compresses propres.
-Attention, ça risque de faire un peu mal.
Elle commença à changer les bandages en empoignant les usagés avec une extrême prudence. Elle en avait clairement l’habitude d’après le doigté dont elle faisait preuve.
-Pour répondre à votre question, Kashint a fait ce qu’il a pu lorsqu’il vous a trouvé mais il ne maîtrise pas tant que ça l’école du soin de notre ordre.
Il la regardait avec insistance, attentif au moindre détail, attentif à chacune de ses formes que l’on devinait à peine sous cette robe.
-Vous étiez pratiquement nu à votre arrivé. Vous aviez les deux jambes brisées, une épaule déboîtée et l’autre bras était tordu. Votre peau était déchiquetée à plusieurs endroits. Vous saigniez abondamment et… Oh !
Quelque chose lui revint en tête, son expression attisa la curiosité du jeune homme.
-Vous aviez également une grande plaie à la tête. Il en fallut de peu pour qu’elle soit fendue. Votre amnésie vient peut-être de là.
-Peut-être, en effet.
-Et vous aviez également l’abdomen perforé. De l’arrière vers l’avant. Votre survie est un miracle ! Même compte tenu de la magie que nous avons employée sur vous.
-Un miracle, oui.
Elle finit de changer le dernier bandage avec le même talent dont elle faisait preuve depuis le début.
-J’ai fini ! Je repasserai vous apporter de la lecture et un repas chaud.
-Merci, Beshant.
-De rien, c’est tout naturel… Hum… Vous ne vous souvenez vraiment de rien ?
-Non.
-Même pas de votre nom ?
-Absolument pas.
-Hum… Il va falloir vous en trouver un en attendant. Hum… Que diriez-vous de Kin ? Je trouve ce nom plutôt joli.
-Pourquoi pas. Pour le moment ça me convient.
-Très bien Kin, à tout à l’unia.
-Un instant !
-Oui ?
-Vous pensez que je serai convalescent pendant combien de temps ?
-Une demi iad au minimum je dirais. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’un autre miracle.
Elle lui fit un clin d’œil souriant emplis d’un enthousiasme nouveau dû à la bonne nouvelle du dan.
-Merci.
-Si c’est tout, je reviens tout à l’unia.
Elle s’en alla joyeusement, quittant la chambre avec une mine rayonnante de joie.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, troisième dan de Rusiv
-Eh bien ! Eh bien ! Mon jeune ami, vous vous êtes rétabli drôlement vite.
-Hum… Pas vraiment. Je boite encore et je ne me sens pas tout à fait à l’aise dans mes mouvements.
-Hum, je vois. Kin, voudriez-vous m’accompagner sur quelques pas.
Il acquiesça pour seule réponse. Kin et Kashint marchèrent tranquillement dans le parc attenant au temple.
-Kin, je dois vous avouer qu’en tant qu’elfe de foi, je suis intrigué par votre personne. Vous n’aviez aucune chance de survie et pourtant vous êtes bel et bien là. Je suis persuadé que les dieux vous ont choisi pour une mission bien précise.
-Je ne me souviens pas avoir été un dan un homme de foi, ni même avoir été choisi par qui ou quoi que ce soit. Alors je ne sais pas.
-Vous êtes drapé par le mystère.
Kin le dévisagea longuement avec ses yeux à demi-clos habituels, toujours aussi insondable.
-Cela ne me gêne pas. Tout le monde a le droit de garder quelques secrets. Je m’interroge simplement sur votre survie et vos blessures. Comme chaque dan depuis cinq monaisons.
-Vous ne semblez pas avoir beaucoup d’activité dans votre temple.
-En effet, nous sommes assez isolés.
-Kin, Kashint. Mes salutations.
Beshant les avait interceptés sans qu’il ne le remarque, créant ainsi un bel effet de surprise chez le paladin.
-Oh ! Gudan Beshant… Comment allez-vous aujourd’hui ?
-Très bien Kashint et ce, malgré votre manquement à l’étiquette.
-Euh…
Il fut totalement déstabilisé. Elle fit un clin d’œil à Kin pour lui signifier qu’il s’agissait d’une taquinerie à l’adresse du paladin.
-Mes excuses…
-Vous vous excuserez plus tard paladin Kashint Fanegy d’Ireko, je dois porter cette lettre à notre scribe préféré.
-Oh, lui…
Elle s’en alla de quelques pas vers le bâtiment principal avec un air faussement fière et hautain.
-Beshant ! Vous êtes ravissante aujourd’hui.
-Il en faudra plus pour vous excuser paladin.
Et elle repartit sur sa lancée d’un pas décidé tout en peinant à conserver sa moue jusqu’à ce que le paladin ne puisse plus la voir.
-Désolé pour cela, Kin.
-Que se passe t-il exactement entre vous ?
-Oh vous savez. Le genre de chose qui se passe entre deux êtres qui partagent plusieurs sendeko d’existence.
-Maintenant, c’est vous qui faites des mystères.
-Touché.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, cinquième dan de Dokoy
Kin marchait à nouveau dans le parc. Il entendit des voix ainsi que le rire d’une jeune femme provenant de derrière des buissons et un arbre. Il s’en approcha subrepticement par curiosité. Il découvrit Kashint et Beshant en plein tête à tête, assis sur un banc. Ils n’avaient pas encore remarqué sa présence. Les deux tourtereaux s’échangeaient des mots doux et entamèrent un long baiser.
-Hum !
-Oh !
-Oh !
Ils exprimèrent leur surprise en chœur, comme des adolescents pris la main dans le sac.
-Nous ne vous avions pas entendus arriver Kin. Cela fait-il longtemps que vous êtes là ?
-Je viens d’arriver.
-Kashint, j’ai encore quelques tâches à accomplir pour aujourd’hui. Retrouvons-nous pour le dîner.
-Avec plaisir, Beshant.
Elle partit en direction du temple avec un dernier regard pour son paladin. Ce dernier se leva également et s’approcha de l’intrus.
-Comment va votre corps, Kin ?
-Je ne sens plus les douleurs.
-C’est très bien.
-Je pense que je vais reprendre ma promenade.
-Oui, j’ai moi-même des tâches à accomplir mon ami. Par contre, attendez, j’ai une chose à vous annoncer.
-Qu’y a-t-il Kashint ? Quelque chose de grave ?
-Non, fort heureusement mais c’est tout de même important. Vous avez remarqué que Beshant et moi-même nous nous tournions autour.
-Exact.
-Eh bien, nous venons tout juste de nous fiancer.
-Vous n’en aviez rien laissé paraître.
Kin avait un visage impassible comme en toute circonstance. Cela fit naître un certain mal-être chez Kashint.
-En effet. Non pas que nous voulions le cacher mais comprenez qu’après plusieurs dizaines d’iado ainsi, cela devient comme une seconde nature. Je parle du comportement que nous avions l’un envers l’autre.
-Je comprends.
-Finalement, je lui ai proposé que nous soyons clairs l’un envers l’autre. Et comme nos sentiments étaient réciproques, je lui ai demandé sa main.
-Grande nouvelle. Cela fait-il longtemps ?
-À l’instant. Lorsque vous nous avez découverts.
-Mes félicitations.
-Merci. Vous êtes évidemment invité à notre union. Si vous êtes encore dans les parages bien entendu.
-Quand aura t-elle lieu ?
-À la prochaine pleine Mona comme le veut notre ordre. C’est court je sais.
-Je pense pouvoir y assister.
-Bien. Je vous laisse reprendre votre promenade en paix.
-Merci.
* * *
Iad 41 de l’ère impériale, vingt-huitième dan de Dokoy
Le temple tout entier s’était apprêté pour l’union du paladin Kashint et de la prêtresse Beshant. Fort heureusement, toutes les décorations furent terminées à temps, aucun retard n’était à prévoir pour l’instant. Même Kin, qui avait pris l’habitude de porter des vêtements simples, était préparé pour cet événement. Kashint était assez nerveux malgré le fait qu’il était affublé de son armure de cérémonie qui lui donnait pourtant une allure de conquérant. La dame du dan, quant à elle, était en train de terminer ses derniers préparatifs en étant quasi isolée dans sa chambre. Ce dan promettait d’être merveilleux et fatiguant. La cérémonie ne commencera qu’en début de soirée, lorsque la Mona se lèvera conformément aux rîtes de l’ordre sacré de la Mona d’argent.
* * *
-Oh ! Kin ! Que faites-vous là ? Que voulez-vous ? La cérémonie va débuter dans quelques dizaines de minuto !
Beshant était dans tous ses états et cette intrusion dans sa chambre ne l’aidait pas à aller mieux. Kin par contre, se maîtrisait comme à son habitude. Il était entré dans la chambre sans crier gare et en avait refermé la porte sans prononcer un mot.
-Je suis venu vous voir.
Beshant était ravissante dans sa robe d’une blancheur immaculée soulignant ses courbes féminines. D’habitude elle était une elfe presque quelconque, surtout avec sa robe de bure, mais aujourd’hui elle pourrait séduire n’importe qui. Kin s’approcha d’elle jusqu’à ce qu’elle puisse sentir le souffle de sa respiration.
-Alors ? Quelque chose ne va pas Kin ?
-Exact. J’ai envie de vous.
-Qu…
Avant qu’elle n’eut le temps d’exprimer son étonnement, Kin l’a retourna violemment retournée et il plaqua sa main sur sa bouche pour étouffer tout son. Elle comprit ce qu’il comptait faire lorsqu’elle sentit son autre main relever le bas de sa robe et remonter jusqu’à ses hanches. Elle tenta de se débattre en vain. Il défit son ceinturon et descendit son pantalon. Lorsqu’elle sentit la chair nue de Kin contre la sienne, elle tenta de hurler de toutes ses forces, en vain. Elle mordit la main de Kin. En réponse à cela, il lui chuchota à l’oreille.
-Doucement, ça va te plaire.
Ses hurlements se muèrent en sanglots de peur et de désespoir pendant qu’il profitait et abusait des plaisirs de la chair avec elle. Néanmoins, il termina rapidement au bout de quelques minuto qui parurent une éternité à la dame et il la jeta au sol tel un vulgaire torchon. Elle n’avait assez de force que pour gémir et elle était totalement assommée par ce qui venait de se passer. Kin, qui avait remis en place son pantalon, se pencha sur elle et il lui chuchota à l’oreille de nouveau.
-Kashint avait raison. Les dieux m’ont sauvé et ils m’ont offert une vie nouvelle. Ils me l’ont offerte pour que j’apporte à ce monde ce dont il a le plus besoin. Ce monde a besoin d’ordre et de sécurité et il l’obtiendra sous ma direction éclairée. C’était sans doute le but que je poursuivais avant et on m’a fait renaître pour ça.
Ce fut la première fois que Beshant vit Kin sourire. C’était un sourire malsain, sadique, sardonique. Elle était comme paralysée et elle ne put articuler le moindre mot. Kin se releva et se dirigea vers la porte. Il prit le temps d’adresser un dernier regard à sa victime ainsi que quelques mots.
-Merci Beshant. Tu as été très serviable jusqu’au bout.