Chapitre 12 : Persécutions

10 mins

Lorsqu’on voyage, on entend de nombreuses histoires. Des sortes de commérages la plupart du temps. Des contes et des légendes parfois. Que ces histoires soient véridiques ou non, elles ont l’intérêt de faire passer le temps. Et avec un peu de chance, il est possible d’en tirer un enseignement. Surtout si l’histoire en question est une véritable expérience vécue et qu’elle ne soit pas trop pitoyable à entendre. Ça arrive…
-Un père de Povistelag à son fils prenant la mer pour la première fois

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-deuxième dan d’Aised

Le navire sortit du port de Lorol à faible vitesse, se laissant porter par les vagues et le peu de vent que la voile parvenait à accrocher dans sa position actuelle. Une fois suffisamment éloigné, le port réduit à une masse aux contours difficilement discernables parmi les constructions du bourg, le capitaine, un demi-elfe bourru, ordonna de déployer totalement la voile à son équipage. Ce dernier se dispersa à chaque poste selon une habitude bien ancrée et en un clin d’œil la voile s’ouvrit en grand. Le “Morg’sterda” s’élança en mer avec grâce et vitesse par un beau dan. Le trajet s’annonçait sans remous.

* * *

Steshin, Oronay et la dizaine d’autres passagers profitèrent du grand air marin et de la vue malgré le froid matinal. Les autres passagers étaient composés d’aventuriers divers et de lames à louer ainsi que d’un jeune marchand et de son apprentie, une jeune femme élégante et ravissante à l’air espiègle.

* * *

-Oh ! Comme ça vous avez vaincu un ours géant ? C’est incroyable !
-En effet. Par contre, je ne me doutais pas que de telles créatures vivaient dans ces lieux.
-Je n’en avais jamais entendu parler jusque là. Je pensais que tous les ours faisaient la même taille.
-Loin de là, les amis ! Selon leur lieu de vie, ils sont plus ou moins grands et féroces. Mais pas à ce point là.

Un guerrier humain en côte de maille avec un bouclier rond dans le dos et une épée large à la ceinture s’était approché de Steshin et du jeune aventurier avec lequel il discutait.

-Et ce n’était sans doute pas vraiment un ours.

Lorsque Steshin et son interlocuteur tournèrent leur tête en direction du nouveau venu, la curiosité se lisait sur leur visage. Le guerrier portait une barbe épaisse couvrant un visage marqué par une grande balafre traversant la partie gauche du visage. L’œil du même côté était recouvert par un épais bandage. Steshin le toisa de haut en bas et il vit à son allure que ce n’était pas un débutant.

-Que voulez-vous dire ?
-C’était un change-forme.

Devant le visage interloqué des deux autres, le guerrier repris de plus belle.

-Ce sont des animaux pouvant prendre forme humaine. Ou l’inverse, je sais pas trop. Les druides de l’archipel disent que ce sont les messagers des dieux et qu’il faut respecter leur volonté.
-Croyez-vous que nous risquions quelque chose pour en avoir tué un ?
-Pas des mortels en tout cas ! Pour ce qui est des dieux, ils ne m’ont rien fait jusque là. Pourtant j’en ai éliminé deux.

Le guerrier pointa son œil gauche du doigt avec un sourire ironique aux lèvres.

-Le troisième m’a laissé cette cicatrice.
-Je ne pensais pas qu’il y en avait tant.

Il se gratta la barbe, fier de son petit effet, esquissant un demi-sourire de satisfaction.

-Selon les druides, y en avait plus avant. C’est la civilisation qui les fait disparaître apparemment. Si vous voulez en affronter, suffit donc de vous enfoncer dans les forêts vierges du Nord.

Raison de plus de ne pas y aller.

-Cela peut sembler étrange comme question mais ces change-formes sont-ils présents en Varvary ?

La bouche du guerrier s’entrouvrit d’étonnement mais il se reprit au bout d’un instant.

-Aucune idée. Je ne suis jamais allé là-bas. Je ne suis pas fou ! Et vous devriez faire de même, l’ami.

* * *

Tous les passagers étaient réunis en cercle pour le repas du soir, racontant anecdotes et histoires à dormir debout tout en étant bercés par le rythme régulier des vagues.

-J’en ai entendu une belle, moi.

Celui qui venait de s’exprimer devant le groupe entre deux bouchées était un jeune homme. Plus un grand garçon, qu’un homme à dire vrai. Il avait un visage avec des traits très fins, rappelant la présence d’un ou deux elfes dans sa généalogie ou peut-être une mère demi-elfe.

-J’étais arrivé dans un village dans le Nord de Forishny, à quelques kilometro au Sud de la limite entre le royaume et les terres sauvages de Tratoled.

Tout le monde l’écoutait attentivement par respect pour son histoire ou par manque de distractions supplémentaires.

-Donc, j’arrive dans ce village et je vois des masures éventrées, alors je demande si les orques les ont pillé récemment. Et vous savez ce qu’ils me répondent ? “Non, encore heureux ! Ce ne sont que les hommes d’acier.

Seuls les plus baroudeurs ne furent pas étonnés par cette appellation bien étrange.

-Alors je regarde le villageois pensant qu’il se paye ma tête ou qu’il n’a jamais vu une armure. Puis il m’explique ! Ce serait des gens comme vous et moi mais avec une peau en métal.

L’histoire suscitait de l’intérêt chez les autres passagers de par cette dernière particularité.

-Et de ce qu’il me dit, de temps en temps ils viennent au village prendre des bricoles sans demander l’avis de qui que ce soit et sans égard pour les portes et les murs. Mais à part ça ils n’ont jamais fait de mal à personne de ce que me disait l’autre.

Il s’arrêta pour boire un verre de vin. De la piquette bien amère mais on ne pouvait se plaindre sur un navire.

-Après un aussi long dan, je décide de rester pour la nuit et v’là qui arrive en plein milieu ?

Il se leva pour imiter une démarche saccadée et loin d’être humaine devant le regard curieux des autres.

-Les hommes d’acier ! Avec le vacarme qu’ils faisaient, je me suis levé de ma couche, l’épée à la main. Prêt à en découdre vous vous en doutez mais ils n’en avaient cure. C’était tout comme le villageois l’avait dit ! Ils ont marché au travers des chemins et des masures comme si c’était chez eux. Puis ils ont pris ce qu’ils voulaient. Par contre ils n’ont violenté personne.

L’étonnement se lisait sur le visage des auditeurs qui s’imaginaient le courage dont il aurait fallu faire preuve dans une telle situation.

-Je ne pense pas que c’était des humains, c’était plutôt comme si leur peau était d’acier. D’un acier légèrement bleuté.

Cette dernière affirmation avait jetée comme un froid et personne ne souffla mot durant quelques longues minuto.

* * *

Hum… Je suis sûr d’avoir quelque chose à ajouter sur le sujet. J’en suis sûr ! Mais ça ne me revient pas. Ma mémoire me joue encore des tours…

Le silence fut coupé par un autre voyageur qui avait visiblement quelque chose à ajouter.

-Ton histoire m’en rappelle une autre que j’ai vécue il y a quelques iado.

Tout le monde l’écoutait en espérant un récit tout aussi particulier au moins.

-Je me rendais à Tratoled, juste au Nord de la limite avec Plenovny. Dès qu’on la franchit, on sent la différence, même les orques de là-bas la respecte. La plupart du temps en tout cas.

Cela s’annonçait déjà comme une longue histoire qui intéressera fort peu l’auditoire.

-Alors nous marchions sur la voie impériale du Nord, entre deux collines boisées. Elles empestaient une étrange odeur que je n’ai plus jamais rencontrée depuis.

Il grimaça rien qu’en se remémorant ce dan, comme s’il sentait de nouveau cette odeur.

-Lorsqu’on s’est arrêté pour la nuit, je suis allé un peu à l’écart pour… Vous voyez… Soulager ma vessie. Et je suis tombé sur des empreintes de pas. D’immenses empreintes grandes comme ça !

Il mima la taille avec ses mains. Elles étaient aussi longues que son buste était large, ce qui déclencha deux types de réactions chez ses auditeurs, une première d’étonnement et une seconde d’amusement moqueur sous-entendant qu’il avait déjà trop abusé de la boisson ce soir-là.

-Hé ! Attendez la suite ! Bon j’en étais où ? Ah oui ! Alors ni une ni deux, je vais prévenir un des gardes de la caravane. Et en voyant les traces il me dit “Ça c’est un bon présage ! On pourra dormir tranquille ce soir.

Il avait réalisé une mauvaise imitation de soldat bourru pour accompagner sa citation.

-J’ai dû tirer une tête de six pieds de long parce qu’il s’est mis à me raconter le pourquoi du comment. Alors, ces traces appartiendraient à un golem d’acier traquant les démons survivants de la guerre de l’Unification.

Cette fois-ci ce fut une réelle et profonde interrogation qui traversa l’auditoire.

Bordel ! Ça me dit quelque chose, cette histoire !

-Apparemment les orques aussi l’évitent mais le garde n’a pu me dire exactement pourquoi. Mais c’est pas encore le plus dingue !

Il prit un temps afin de préparer la suite de son histoire qui lui tenait à cœur.

-Durant la nuit, j’avais du mal à dormir comme toujours en voyage et j’en ai profité pour retourner me soulager. Après avoir fini ma petite affaire, j’ai juste levé les yeux et j’ai vu les collines brillant de milles feux. Pour de vrai ! Elles étaient en feu ! Tant et si bien qu’on y voyait bien en pleine nuit.

Tout le monde retenait son souffle, attendant la suite et surtout la chute du récit.

-J’ai couru réveiller tout le monde et on s’est tenus prêts à en découdre ! Mais rien n’est venu ! Rien ! Et nous avons repris la route le lendemain. Ou plutôt le dan même.

La chute décevante laissa pantois l’auditoire qui ne put s’empêcher de railler le conteur.

* * *

Il restait encore quelques uniao avant le milieu de la nuit mais cette dernière était déjà bien sombre. Les nuages couvraient la Mona et les étoiles. Steshin et Oronay étaient montés sur le pont pour prendre un dernier bol d’air frais avant de se coucher dans la cale.

-Capitaine ! Capitaine ! J’crois qu’je vois que’que chose à l’horizon !
-Tu crois ou t’es sûr ?

Le jeune matelot hésita un instant, ne sachant ce qui serait le pire entre faire preuve d’assurance ou non.

-Mais qui m’a flanqué un marin d’eau douce pareil ! Montre-moi où !

Le matelot pointa d’un doigt tremblant une direction sans afficher plus de conviction.

-Nom d’une baleine à trois têtes ! Un navire de Povistelag et il fonce droit sur nous !

Steshin entendit tout juste la fin de l’échange entre le capitaine et son matelot.

-Capitaine, y a-t-il un problème ?
-Pas pour l’instant.

Le ton du capitaine se fit sec mais Steshin ne s’en formalisa pas étant donné le contexte.

-Ce n’est pas l’impression que vous me donnez.
-Il y a un navire à l’horizon et il semble vouloir nous rentrer dedans.

Oronay se déplaça au niveau du capitaine afin d’apercevoir la supposée menace.

-Dans ce cas capitaine, je vais prévenir les autres passagers. Ils ne seront pas de trop pour un combat.
-Inutile Stesh.

Le varvarish créa la surprise chez les deux autres qui ne s’attendaient pas à ce genre de réaction.

-C’est un petit navire conçu pour les abordages. Suffisamment petit pour que je puisse m’en occuper. Il suffit de les laisser s’approcher un peu plus.
-Je n’ai pas très envie de confier le sort de mon navire et de mon équipage à un inconnu.
-N’ayez crainte capitaine, c’est un mage-guerrier varvarish.

Steshin attendit un instant afin de laisser le temps au capitaine de digérer l’information.

-Un varvarish ! Ma foi, s’il s’en croit capable, qu’il tente sa chance.

Il s’adressa ensuite à un elfe de son équipage qui s’afférait non loin de là.

-Hé ! Toi, moussaillon ! Va prévenir le reste de l’équipage qu’on risque un abordage sous peu ! Et plus vite que ça ! Nom de nom…

Au bout de quelques dizaines de minuto, le navire d’interception s’était énormément rapproché, au point où l’on pouvait distinguer des visages lorsqu’un rayon de Mona perçait au travers des nuages. Le navire était bel et bien ce à quoi s’attendait Oronay, c’est-à-dire une embarcation légère, rapide, petite et dépourvue de cale. Elle avançait grâce à une voile carrée intégralement sortie tout comme les rames qui s’agitaient en cadence avec force et vitesse.

-Encore quelques metro et elle va tourner d’un coup pour débuter l’abordage…

Oronay commença à marmonner ses incantations à voix basse. L’équipage ennemi lâcha les rames pour se préparer à l’assaut. Les arcs se bandèrent et les haches sortirent de leur fourreau tout comme les épées. Leur navire entama sa manœuvre rapide ce qui constitua le signal qu’attendait le varvarish. Il joint les deux mains en avant et une véritable lance ardente en sortit.

Le navire assaillant était encore de trois quart lorsque le faisceau de flammes le frappa de plein fouet. Il n’était pas assez puissant pour transpercer le bois de la coque, certes, mais il embrasa la voile, les rames et le pont. L’équipage fut pris par surprise et seuls les plus réactifs purent se protéger à temps en se jetant au sol derrière les boucliers de la coque ou en usant de leur propre protection. Les autres, quant à eux, s’enflammèrent et se jetèrent à l’eau pour éteindre leurs brûlures.

Cet ennemi-ci était désormais cloué sur place et ne leur causera pas davantage de tracas. Oronay dut s’agripper au premier support possible tant le sort avait puisé dans ses réserves de magie. Malgré ça, sa victoire suscita de l’enthousiasme chez tout le monde. Steshin l’aida à retourner dans la cale pour se reposer sous les applaudissements de tout l’équipage.

-Tu m’avais caché que tu savais faire ça.
-J’ai quelques tours dans mon sac. C’est ça le talent.

J’ai plutôt l’impression que c’était un coup de chance. Ses sorts ne sont pas aussi purs d’habitude. Ou peut-être qu’il a besoin de plus de concentration.

* * *

Iad 41 de l’ère impériale, vingt-troisième dan d’Aised

Steshin fut réveillé durant son sommeil par un choc important. Il entendit de nombreux bruits de pas sur le pont, des pas rapides et désordonnés. Il prit conscience des échos qui lui parvenaient, des échos de voix hurlantes. Et surtout les échos de l’acier qui s’entrechoque.

Il se leva d’un bond et pendant qu’il s’équipa à la hâte, il tenta de réveiller les autres passagers. L’apprentie du marchand s’était réveillée avant lui visiblement et était déjà pleinement consciente de ce qu’il se passait. Au bout de quelques minuto, ils s’élancèrent tous en dehors de la cale une arme à la main. Les aventuriers, guerriers et autres mercenaires tout du moins. Le chaos régnait sur le pont du navire.

Des guerriers de Povistelag affrontaient l’équipage du “Morg’sterda” . L’avantage était aux pillards à n’en point douter. Steshin se servit d’un enchantement sur sa dague afin d’améliorer sa vitesse de réaction. Cela l’aida à survivre mais pas à renverser le cours du combat. Oronay, par contre, s’était lancé à corps perdu dans la mêlée avec ses poings et sa magie pour seules armes. Et dans un espace aussi réduit que celui du pont d’un navire, les sorts de feu voient leur efficacité augmenter sensiblement. Un combattant sautant ou tombant dans l’eau étant un combattant hors combat. Que ce soit par la difficulté de remonter à bord ou par la noyade tout simplement.

Les autres passagers s’étaient élancés dans la bataille avec plus ou moins de vaillance. Après quelques échanges de coups, le guerrier au bandage fit un mauvais pas et chuta en arrière. Il passa par-dessus bord et son lourd équipement couplé à sa fatigue l’emporta vers le fond avec les souvenirs de ses aventures passées.

Oronay tomba à genoux après une dernière boule de feu lancée au visage d’un pillard. Ses réserves de magie étaient épuisées, la fatigue lui coupa les jambes et une épouvantable migraine lui vrilla la tête. Un autre pillard s’approcha de lui la hache levée, prêt à l’achever. Une flèche lui transperça la gorge. Steshin était parvenu à en décocher une juste à temps.

Finalement, le combat touchait presque à sa fin. Sonse se levait à peine offrant un spectacle magnifique d’une eau jaune flamboyante et le dernier des pillards de Povistelag venait de tomber.

-Capitaine ! Comment avez-vous pu être surpris par un aussi gros navire !

Steshin désigna le navire des pillards, celui-ci était au moins trois fois plus gros que celui de la veille.

-La vigie l’a pas vu.
-Où est-elle maintenant ?
-Le marin d’eau douce a pris une flèche dans l’oeil. C’était une mauvaise vigie de toute façon.

Le capitaine vociféra quelques ordres et l’équipage, après avoir quelque peu nettoyé les lieux de la bataille, relança l’embarcation sur sa route initiale. Steshin en profita pour emmener le varvarish se reposer avant de retourner voir le capitaine.

-Allons-nous souffrir d’un quelconque retard ?
-Pas de beaucoup. Les manœuvres vont être plus délicates avec une moitié d’équipage. Mais on arrivera à bon port ce soir, soyez tranquille.
-Mes condoléances pour votre équipage.
-Merci.

Le “Morg’sterda” était à présent lancé à pleine vitesse sur les eaux. Les premières îles de l’archipel étaient visibles avant le milieu du dan et ils entrèrent sans plus d’encombre dans le port de Moron quelques uniao après le coucher de Sonse. Steshin et Oronay mirent enfin pied à terre sur l’archipel de Povistelag.

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