” L’appeler ? Ne pas l’appeler ? L’appeler ? Ne pas l’appeler ? ”
Son subconscient ou son inconscient (quelle importance ! de toute façon, il n’avait jamais bien su faire la différence) lui soufflait ces mots-là par le canal de son oreille qui ne voulait en aucun cas transmettre ces messages à son cerveau !
Il tendit un bras fatigué et désobéissant en direction du réveil qu’il envoya valser sur le parquet de bois blond. Pauvre parquet ! Il finirait par ne pas s’en remettre. De l’œil droit entrouvert, il réussit à lire l’heure qui lui sembla être celle la plus noire de cette nuit d’hiver.
6 heures. Le chiffre 6 ! C’était celui de l’Amoureux, la sixième carte du Tarot de Marseille. Le carrefour, la voie à suivre – mais laquelle ? –, la flèche de Cupidon qui se refusait à faire ce choix – l’aimer, ne pas l’aimer – à droite ou à gauche, où aller ? – Pourquoi choisir, pourquoi ne pouvait-on tout avoir ? A la fois la tranquillité et à la fois l’Amour ?
Sa mère lui avait pourtant si souvent répété « on n’a jamais tout dans la vie » qu’il aurait dû s’en souvenir. Pauvre maman ! Sa vie avait traversé toutes les étapes de ce maudit Tarot. Elle en avait même fait un livre !
Il se leva péniblement. A quoi bon rester couché ? Il ne fermerait plus l’œil. Il le savait. Dehors, il neigeait. Le temps était froid. Comme son cœur. Il suffisait pourtant de si peu de choses pour qu’il s’enflamme à nouveau.
” L’appeler ? Ne pas l’appeler ? L’appeler ? Ne pas l’appeler ? ”
Se caler dans ses bras, juste pour être au chaud. Juste pour se sentir bien. Juste pour se rendre compte que son corps est vivant et ne pas en oublier la chaleur.
Dehors, la tempête faisait rage. Les mille et un flocons tourbillonnaient, tourbillonnaient…
Se blottir sous la couette. Se raconter des histoires, les histoires de leurs vies. Des histoires d’eux, petits enfants et puis des histoires d’eux, devenus grands. Juste pour ne pas oublier les couleurs de leurs âmes.
Les mille et un flocons faisaient cligner ses yeux…
Se soumettre à son cœur, plaqué contre le sien, juste pour reprendre conscience du rythme de leurs battements. Boum… boum… boum…
” L’appeler ? Ne pas l’appeler ? L’appeler ? Ne pas l’appeler ? ”
Non qu’il avait été malheureux dans sa vie mais… il était resté sur une mauvaise impression de l’Amour ou plutôt de cette chose que l’on appelait ainsi. Une découverte de l’autre vite tarie, des différences, de l’incompréhension, parfois des pleurs, parfois des cris… et puis la lassitude, une telle lassitude… et plus aucun grain de folie ? Non, plus aucun grain de folie ! Mais il y avait surtout eu des chemins divergents – pas le même élan, pas les mêmes passions, pas la même optique de la vie, pas le même amour de la vie.
Une vie de solitude… à deux… vécue sur des chemins qui finissaient par ne plus être ni parallèles, ni même perpendiculaires. Mais où donc était passé LE point de rencontre ?
Alors…les envies, les délires… s’en étaient allé. Et les enfants avec…
Et puis, il y avait eu ELLE, celle qui lui faisait penser tout haut maintenant :
” L’appeler ? Ne pas l’appeler ? L’appeler ? Ne pas l’appeler ? ”
Revivre tout ça ? Au nom de qui ? Au nom de quoi ? Et à son âge, en plus !
Du lit, à 6 heures, il avait pris la direction du canapé. A midi, il avait fait le chemin inverse et s’était rallongé pour dormir. Mais il n’avait pas dormi. Alors, à 15 heures – c’était bien Le Diable dans le Tarot de Marseille, le chiffre 15, non ? – il s’en était retourné sur son canapé.
Toute cette journée, il l’avait passé à se poser cette question :
” L’appeler ? Ne pas l’appeler ? L’appeler ? Ne pas l’appeler ? ”
Et…
Ce jour-là, tout a changé.
Finalement, il avait le choix. On a toujours le choix ! Cela aussi, sa mère le lui avait assez répété.
De la journée, il n’avait rien mangé. Pas faim !
De la journée, il n’avait rien bu. Pas soif !
De la journée, il n’avait rien vu. Plus les yeux, fatigués par tant de neige !
De la journée, il n’avait rien vécu… Pas l’envie…
Plus l’envie… Plus l’envie… Plus l’envie….
Et soudain, vers les 10 heures du soir (eh oui, la roue tourne aussi dans le Tarot de Marseille ;-), il eut faim. Une faim de jeune homme, pensa-t-il. Il prenait dans ses tiraillements d’estomac la conscience de ce désoeuvrement traversé, de cette longue journée épuisée dans le rien.
Comme sa vie… du moins le pensait-il !
Alors, il décida que jamais plus, il ne s’épuiserait dans le rien.
Parce que demain, oui demain, il l’appellerait !
Bonsoir Sylvie,
Votre participation au concours a été prise en compte.
Très belle soirée !