Pour toi – Partie 1 La rencontre

14 mins

Résumé : Sacha Morin, chercheuse de talent en neuroscience dans le domaine des troubles de l’humeur, n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis quelques semaines. Elle cache un secret qui la ronge. La venue d’Alexander Smith, post-doctorant, la chamboule. Ils coopérèrent sur une étude et des liens forts se tissent entre eux. Mais Alexander cache lui aussi un secret. Emprunte d’ombres dissimulées, leur relation risque d’exploser à mesure qu’ils se rapprochent de la vérité.

PARTIE 1

La rencontre

     La pâle lueur du soleil traversait paisiblement la fenêtre de la salle de pause. C’était l’aube, cette heure qui chassait la nuit, et où tout était encore possible. Sacha serrait ses mains gelées contre le mug rempli de café brûlant. Il n’y avait personne d’autres dans la pièce silencieuse, où seul le distributeur ronronnait doucement. Elle regardait le plus grand arbre, dehors. Marc, le chef de service, lui avait dit un jour que c’était un sycomore. On racontait qu’il était déjà là bien avant la construction de l’institut de la Timone et que les plans avaient dû prendre en compte la présence de l’arbre. Chaque fois que Sacha posait les yeux sur cet arbre imposant, elle se réjouissait de cette belle histoire et de la survie du majestueux sycomore. Des oiseaux gazouillaient vivement, prouvant que l’on était au début du printemps. Le soleil se levait plus tôt, la lumière raz à l’horizon, se découpant le long des immeubles. Sacha soupira et avala une gorgée de son café. Cette contemplation l’apaisait et l’aidait à s’évader. Pourtant, elle savait que ce bref répit prendrait bientôt fin. Elle n’était pas partie de l’institut, mais ces collègues les plus matinaux allaient bientôt arriver. Faire semblant, encore… Elle souffla la fumée de son café, en rivant ses yeux sur un reflet bleuté du soleil qui se réverbérait contre une fenêtre. Elle entendit quelques pas traînants.

« Bonjour Sacha. Levée tôt ou pas couchée ? » lui demanda tranquillement le nouveau venu.

Elle se retourna lentement. Marc se tenait, serein, devant le distributeur, attendant son café sans vraiment la regarder. Grand, fin et les traits tirés comme la plupart des chercheurs. Ses cheveux grisonnants méritaient une petite coupe.

« Je ne suis pas vraiment partie. J’ai fait un somme sur le canapé… » lui répondit-elle en hésitant.

Marc était le chef de service. Il était doux, attentionné et humain. Mais il restait le chef. L’attitude de Sacha depuis quelques semaines avait tout d’alarmant. Néanmoins, Marc était resté en léger retrait, toujours présent comme un filet de sécurité. Il ne voulait clairement pas l’étouffer mais elle savait qu’il veillait au grain. Il siffla un instant un air connu, gai et récupéra son café. Ils se faisaient face désormais. Ses yeux chocolat étaient doux, chaud. Il avait un léger sourire sur ses lèvres. Sacha sentait la présence rassurante de Marc, ses mains tremblèrent un peu.

« Tu devrais plutôt rentrer chez toi pour dormir, tu sais… dit-il d’une manière faussement nonchalante. Une chercheuse qui dort au labo n’est pas très efficace. Tu te fais discrète ces derniers temps. Tu nous manques à l’entraînement du Krav Maga. »

Il souriait mais elle sentait bien qu’il lui faisait une suggestion des plus pressantes. Ce soir, elle rentrerait chez elle, même si cela la terrifiait. Elle ravala ses pensées et se força à sourire. Depuis deux ans, une partie de l’équipe de chercheurs mais aussi de techniciens s’étaient inscrits à un cours de Krav Maga, sur les conseils de Marc qui pratiquait ce sport depuis peu. Il espérait souder l’équipe et les aider à se défouler. C’était un franc succès. A présent, chaque membre était capable de mettre au tapis un agresseur. Sacha aimait beaucoup s’y rendre, mais cela faisait quelques semaines qu’elle ne les y avait pas rejoint. Marc s’installa sur le canapé et touilla son café perdu dans ses pensées. Sacha allait partir quand il la hélât doucement.

« Je ne sais pas trop comment te présenter ça, commença-t-il en mordillant sa touillette. Je sais que ce n’est pas facile pour toi en ce moment… mais je ne te demande pas d’explication, ajouta-t-il rapidement en la voyant réagir. Ta vie privée est privée. Néanmoins… Je vois bien qu’il te manque une sorte d’élan intellectuel on va dire. Ton étude avec l’outils MAThyS pour mesurer la réactivité émotive est intéressante. Mais… »

« C’est une étude encore inédite, réagit vivement Sacha. Je sais que ce n’est peut-être pas le plus impressionnant mais la recherche ce n’est pas seulement faire le spectacle à coup d’annonces spectaculaires. »

« Oui, tu veux parler de ces annonces spectaculaires qui ont fait la réussite de ta carrière, rétorqua Marc avec un léger sourire. Je ne voulais pas t’accuser de quoique ce soit. Mais tu sembles en difficulté. »

Sacha ravala sa réplique dans sa gorge. Elle savait bien que cet instant aller finir par arriver. Elle avait beau essayer de se maintenir, d’être autant elle-même que possible, elle finissait toujours par s’épuiser et se faire démasquer. Marc était compréhensif, certes, mais il était chef de service. Et le service devait tourner, rayonner à l’international pour avoir les crédits et attirer des chercheurs de renom. Sacha savait bien qu’en ce moment, elle n’était plus le joyau de la collection. Pourtant, elle faisait de son mieux… Elle sentit les traits de son visage s’affaisser, les larmes perler à ses yeux.

« Ne t’inquiète pas Sacha, je suis derrière toi. Je te soutiens. Toute l’équipe d’ailleurs, on est là pour toi. Je ne vais pas prendre de mesures négatives. »

Il se leva et s’approcha doucement. De sa main libre, il lui serra délicatement l’épaule. Sacha soupira face à ce réconfort qu’elle cherchait tellement. Elle avait presque envie de se blottir dans les bras de Marc, dans les bras de n’importe qui, pour sentir le contact d’un corps chaud contre le sien. Elle leva ses yeux pleins de larmes vers Marc, qui souriait paisiblement. Il serra un peu plus fort pour attirer son attention.

« Nous accueillons un nouveau post-doctorant venu d’Ecosse. »

Elle secoua la tête, cherchant à rassembler ses pensées pour comprendre en quoi cela la concernait.

« Je voudrais que tu l’encadres dans ses recherches. »

« Mais je ne fais plus ça depuis des années, je ne suis pas une… »

« Une baby-sitter, je sais, tous les chercheurs pensent ça en oubliant qu’ils sont passés par là avant d’être ce qu’ils sont. Et qu’ils étaient bien contents de trouver un chercheur qui accepte de les aider. Ecoute, son étude pourrait se nourrir de la tienne. Et peut-être que cela pourrait t’aider aussi. »

« Dans mes recherches ? » demanda-t-elle sarcastique.

Marc rit. Il s’éloigna, la démarche leste, pour prendre un sucre sur le comptoir.

« Je ne fais pas encore dans les agences matrimoniales. »

Il riait doucement encore, tout en remuant son café. Sacha ne savait pas si elle devait rire ou se plaindre.

« Il s’appelle Alexander Smith. Rencontres-le, discutez. Puis tu viendras me dire ce que tu en penses. Je prendrais une décision après avoir écouté monsieur Smith également. N’oublie pas Sacha, le plus important, ce ne sont pas nos états d’âme, c’est la recherche. Je suis compréhensif. Je sais que nous sommes des êtres humains et que nous vivons parfois des moments difficiles. Mais il faut de temps en temps que l’on nous pousse de l’avant. Et je pense que si tu reprends tes recherches plus activement, cela ne peut que t’aider dans ce qui te perturbe. »

Sacha hocha la tête sans rien dire. Marc avait totalement raison et il était son supérieur.

« Très bien. »

« Il sera là dans une heure environ. Je lui ai dit d’attendre dans la salle de repos de l’annexe. Vous serez plus tranquille pour faire connaissance dans une ambiance moins formelle et moins fréquentée. »

Sacha hocha la tête, fit un signe d’au revoir et sortit de la pièce. Elle se rendit compte qu’elle avait arrêté de respirer pendant quelques minutes.

    L’air était encore très frais, mais Sacha était partie finir son café sur un banc, face au grand sycomore. Elle ressassait la discussion avec Marc. Elle sentait bien qu’elle serait obligée d’accepter le jeune chercheur. Certes, il lui avait dit qu’il allait prendre en compte son avis. Mais cela serait sans doute trop demander à son chef de service de refuser et de ne rien changer dans son comportement – ce dont elle se sentait encore incapable. Néanmoins, elle se savait déjà épuisée de faire le spectacle devant les collègues qu’elle croisait au labo, dans les salles de pause ou au self. Mais être suivie par quelqu’un d’autre, passer des heures, des jours, des nuits à discuter, à comparer des notes, les contrôler et guider un jeune chercheur… Cela semblait au-dessus de ses forces. Comment allait-elle pouvoir cacher ce mal-être qui lui rongeait le cœur ?

Elle se retourna et fixa un bâtiment qui se dessinait au loin. L’hôpital semblait encore au ralentit à cette heure de la matinée. De là où elle était, elle pouvait voir quelques blouses blanches évoluer lentement devant l’entrée. Son cœur se serra si fort qu’elle crut qu’il allait imploser. Sacha se retourna vivement, les mains tremblantes. Le café était froid depuis longtemps quand elle réalisa qu’il était l’heure de son rendez-vous. Elle planta ses pieds profondément dans les gravillons comme pour se souder à la terre. Elle redressa le dos, inspira et expira profondément.

    Les semelles en caoutchouc de ses baskets grinçaient sur le vieux lino, lui faisant serrer les dents. Sacha marchait dans un couloir étroit, faiblement éclairé, et défilait devant une succession de portes d’une peinture blanche fanée. Elle s’interdisait de réfléchir et se concentrait sur les battements de son cœur. Finalement, elle arriva devant la porte de la salle de pause de l’annexe. Elle s’arrêta une seconde pour respirer et mettre ses idées en ordre. La porte était entrouverte et Sacha ne résista pas de se pencher pour voler une image, une information, avant de se lancer dans le grand bain. Un jeune homme, d’une trentaine d’années, se tenait assis sur une table. Sa posture respirait la nonchalance, un pied balançant doucement dans le vide. Ses cheveux jouaient entre le châtain et de légers reflets roux tendrement relevés par la lumière du soleil. Courts, ils tombaient en mèches désorganisées devant ses yeux. Son teint très pâle conjugué à la lueur vive du matin faisait resplendir deux yeux verts. Les longs cils plus foncés bordaient ses yeux, réajustant d’autant plus la couleur presque irréelle. Le cœur de Sacha rata plusieurs battements. Elle dut échapper un hoquet, le jeune homme se tourna vers elle et sourit. Un sourire avenant, de gamin malicieux toujours prêt à faire une farce. Il se redressa et descendit de la table avec un air un peu coupable.

« Bonjour, je suis Alexander Smith. Marc a dû vous parler de moi… »

Sa voix était douce, chaude avec un léger accent écossais adorable qui roulait doucement les r.

« Oui, bonjour. Je m’appelle Sacha Morin. » répondit-elle, étonnée de s’entendre parler.

Elle ne put s’empêcher de remarquer les traits fins de son visage. Mais aussi des contours pourtant anguleux qui lui donnaient un charme étrange, mais indéniablement attirant. La lumière se coupait le long de ses traits, plongeant un œil dans un vert sombre et l’autre dans un étincelant printemps. Il était vêtu comme bon nombre de jeunes chercheurs, un jean et t-shirt avec une veste grise. Mais quelque chose en lui paraissait comme dégingandé. Peut-être dans sa veste froissée et son jean (un peu) trop large…

« Je suis vraiment honoré de faire votre rencontre. Vos recherches ont fait le tour du monde. »

Sacha aurait presque pu sursauter, voire rougir de honte. Il ne pouvait qu’avoir remarqué comment elle l’avait minutieusement observé. Malgré elle. Mais elle réussit à garder contenance et à faire le vide dans son esprit.

« Je ne vais pas faire semblant d’être faussement humble alors je vous remercie beaucoup. Marc m’a dit que vous êtes écossais. Vous avez l’air de bien parler le français. »

La chercheuse en elle prenait le dessus, elle s’exprimait clairement. Elle osait le regarder dans les yeux et sourire légèrement en cachant terriblement bien son trouble. Plus tard, se disait-elle, on verra ça plus tard… Alexander ne semblait pas déstabilisé et suivait sans fausse note le ton de la conversation et l’attitude de Sacha. Il mit les mains dans ses poches et elle devina que ce devait être une habitude chez lui.

« J’ai eu des jeunes filles au pair françaises toute mon enfance et adolescence. Et je trouve que le français est une langue magnifique, alors c’est un plaisir de le parler. »

Elle ne put s’empêcher de sourire. Et de se surprendre en réfrénant des brusques questions plus intimes, qui n’avaient rien à voir avec ce qu’elle avait besoin de savoir. Il n’y avait nulle nécessité en tant que chercheur qu’il lui raconte son enfance, ses espoirs et les rêves qui avaient pu peupler ses jours et ses nuits. Elle se mordit les lèvres doucement, cherchant comment continuer la conversation comme l’attendait Marc. Elle s’assit sur le canapé le plus proche et il la suivit d’un pas presque aérien. Il s’installa en face d’elle, les jambes écartées et les mains sur les genoux comme s’il se retenait de quelque chose. Il avait la merveilleuse capacité de paraître détendu – nonchalant, c’était le mot – et à la fois grave, contracté.

« Vous êtes docteur en quelle spécialité ? » demanda Sacha.

« J’ai fait médecine, j’ai un diplôme de psychiatre. Et je me suis dirigé vers la recherche en neurosciences. J’ai fait ma thèse sur les troubles bipolaires. Je souhaite que mes recherches actuelles prolongent les hypothèses que j’ai déjà avancé. »

Le ton de sa voix était sûr de lui, mais quelque chose dans ses yeux la laissait indécise. Quelque chose était définitivement étrange chez cet homme mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Et cela affolait son cœur, pressant son esprit de s’accaparer pleinement de la question. Au-delà de son ressenti, elle avait conscience que la conversation avait un bon ton professionnel. Également, un observateur extérieur ne trouverait rien à redire d’une conversation entre collègue.

« Et quelles sont vos hypothèses ? »

« Je pense qu’il existe une hyperréactivité émotionnelle, dans tous les épisodes, surtout maniaque et mixte. Je veux aussi explorer l’implication des traumatismes et leurs conséquences. »

« C’est en cela que mon outils MAThyS vous intéresse alors ? » demanda-t-elle.

Un peu surprise, elle constata que sa voix n’avait pas l’inflexion d’une chercheuse qui proposait de l’aide mais celle d’une femme presque vexée de ne pas être le centre de l’attention. Elle rougit et serra les dents. Alexander eut un sourire à la fois doux et complice qui lui fit battre le cœur plus vite.

« Cet outil sera très utile, mais votre… expérience également. Je souhaite vraiment travailler à vos côtés. »

Ses yeux étaient braqués sur elle, un sourire presque insolent et canaille aux lèvres. Elle aurait voulu faire quelque chose pour remettre l’entretien sur les bons rails qu’ils avaient gaiment quitté, alors qu’elle se réjouissait quelques instants auparavant de la solennité de la conversation et de leur attitude. Elle aurait voulu redevenir plus professionnelle, plus détachée, plus… pas ce qu’elle ressentait actuellement en somme. Il ne profitait pas de son trouble, de son silence. Il semblait même le partager malgré son attitude décontractée. Quelque chose clochait chez lui, dans le bon sens. Ce mystère constamment relevé ne faisait qu’attiser son désir de le démasquer. Elle finit par se rendre compte que le silence durait depuis trop longtemps. Elle se râcla la gorge.

« Je veux bien vous aider avec MAThyS, je pense qu’effectivement cela vous sera utile. Savez-vous comment il fonctionne, dans les grandes lignes au moins ? »

« Il permet de décrire les états thymiques en fonction de la réactivité émotionnelle, la motricité, du niveau de motivation et de la perception sensorielle. » récita-t-il doctement.

Impressionnée, elle resta interdite un moment tandis qu’il souriait.

« Vous êtes bien renseigné alors que suis encore dans ma phase de test. »

« La bibliothèque universitaire de la Timone donne accès à certains contenus, notamment les demandes de financement… »

Sacha sourit devant la ressource du jeune homme. Passant sa main dans ses cheveux, elle essayait de garder une contenance.

« Au moins, vous avez une idée de ce que pourrait vous apporter cet outil. Quant a ce qui est d’encadrer vos recherches… Faites-moi une synthèse par écrit et je verrais comment nous pourrions organiser cela, si ça doit se faire… »

Sacha reprit sa respiration, presque soulagée d’avoir pu reporter une décision qui lui semblait, à cet instant, beaucoup trop dangereuse.

« Je peux vous rendre un rapport exhaustif d’ici quelques jours je pense. Je comprends que vous ayez besoin de temps et d’éléments pour… prendre une décision. »

Sacha hocha la tête, nerveuse. Ils eurent un léger sourire, complice. Comme s’ils se sentaient tous les deux soulagés de voir cet entretien terminé. Certes, cela avait été désagréable. Mais c’était seulement parce que leur présence l’un à l’autre leur semblait bien trop agréable justement… Il se leva, prêt au départ. Il planta son regard dans celui de Sacha, qui s’arrêta brusquement. Alexander détailla son visage, caressa ses lèvres du regard, glissa le long du nez et s’arrêta pour se perdre dans le gris des yeux de Sacha. Il avait l’air à la fois d’un gamin ébloui et d’un homme fasciné. Elle se prêtait à cette contemplation, ouverte, le cœur battant. Ces quelques secondes semblèrent une éternité délicieuse. Finalement, il s’ébroua, rougit et recula vers la fenêtre. Il se retourna pour cacher son trouble. Sans réfléchir, Sacha s’approcha de lui et plaça à ses côtés, devant la fenêtre. Ils ne se regardaient plus. Au dehors, on voyait le sycomore.

« C’est une belle vue, un très bel arbre. » dit-il lentement.

« C’est un sycomore. Il parait qu’il était là avant l’institut et qu’ils ont dû adapter les plans pour le garder … »

Il se tourna vers elle, un sourire doux mais lumineux sur les lèvres. Comme si, à cet instant, ils venaient de partager quelque chose d’important. Elle détourna les yeux, brûlée par tant d’émotion.

« Je vais dire à Marc que j’accepte de collaborer avec vous pour votre étude avec MAThyS. J’attends votre rapport pour décider si je suis en capacité de vous aider plus. »

Sa voix était froide, distante. L’alerte du danger finissait par la reprendre. Son sang se glaçait dans les veines, annonciateur d’une crise panique. Son visage se figea alors qu’elle n’essayait de ne rien laisser paraître. Alexander hocha la tête sans mot. Sacha sortit rapidement de la pièce.

    Plus tard, Sacha contemplait ses notes sans en saisir vraiment le sens. Son esprit était ailleurs. Pour une fois, ce n’était pas pour les causes habituelles. Sa tête était remplie des images qu’elle avait capturé d’Alexander Smith. Ses yeux verts, le sourire canaille enfantin mais aussi la gravité de son regard qu’elle avait aperçu quelques instants. Pour la dixième fois, elle relut le relevé des statistiques de son dernier test sur le groupe témoin. Elle soupira, rien à faire, elle n’arrivera pas à se concentrer. Ce n’était pas seulement Alexander qui la perturbait, mais bien la décision qu’elle allait devoir prendre. Encadrer ses recherches ou seulement lui expliquer le fonctionnement de MAThyS en quelques jours et essayer de ne plus jamais le croiser ? Son désir de le côtoyer, d’apprendre à le connaître et de s’enivrer de sa présence, la pressait pour de dire oui. Elle ne s’était pas sentie vivante depuis si longtemps… Mais Sacha savait que cela représentait un gros risque. Son secret, ce petit secret honteux, finirait par fuiter. Elle se refusait totalement à ce que l’on découvre ce qu’elle cachait. Elle ne connaissait pas Alexander, mais elle se doutait qu’il était bien en capacité de le découvrir. Peut-être même malgré lui. Passer autant de temps avec lui, ce serait avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Néanmoins, sa discussion avec Marc tournait comme un leitmotiv et elle sentait qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Sacha se sentait acculée, mise au pied du mur. Alors qu’elle ne souhaitait que s’allonger et dormir. Elle pensa alors à l’hôpital et cela lui serra le cœur. Elle ne pouvait pas se permettre de sombrer. Pas elle, pas maintenant. Elle devait tenir. Sacha rangea ses notes en soupirant, consciente qu’elle n’arriverait pas à travailler dans ses conditions. De toute façon, elle devait recevoir un patient, elle avait à peine le temps de rejoindre son bureau et de consulter ses notes pour être à jour. Andreas, un collègue espagnol qui était assis un peu plus loin, leva la tête et lui sourit doucement. Cette compassion qu’elle ressentait chez chacun de ses collègues aurait dû lui mettre du baume au cœur. Mais parfois, comme à cet instant, elle avait envie de lui faire ravaler son sourire compatissant à grands coups de poings. Elle ne supportait plus d’être l’animal de foire, la pauvre Sacha Morin, grande chercheuse qui s’effondrait, s’effaçait comme on retire du maquillage pour montrer un visage fatigué et ridé, à bout de course.

    Sacha consultait les dernières notes qu’elle avait prise sur monsieur Pons. Bipolaire de type 2, il était plus souvent en dépression, parfois profonde. Il naviguait fréquemment entre son bureau et l’hôpital psychiatrique qui partageait le campus avec l’institut de la Timone. Au dernier rendez-vous, il venait justement d’être hospitalisé là-bas, il n’était donc pas sûr qu’il vienne pour continuer à participer à son étude sur l’hyperréactivité émotionnelle. Quelqu’un frappa à la porte et un infirmier entra. Antoine Pons, un homme d’une quarantaine d’années, entra, l’air un peu hagard.

« Je vais attendre dans le couloir » annonça l’infirmier qui se retira prestement.

Antoine s’assit avec difficulté, il n’osait regarder Sacha.

« Comment allez-vous monsieur Pons ? » demanda-t-elle doucement, avec toute l’empathie dont elle était capable sans se laisser débordée.

« Je suis de retour chez les fous alors… » marmonna-t-il dans sa barbe.

Sacha se tourna vers son ordinateur et consulta à nouveau le dossier d’Antoine. Hospitalisé à sa demande, incapable de prendre en charge seul le quotidien. Idées suicidaires. Son cœur se serra un instant.

« Monsieur Pons, vous avez pris la bonne décision. Ce n’est pas la première fois, je sais que ce doit être difficile. Mais au moins, vous pouvez vous reposer. Mes confrères font leur possible pour trouver le traitement qui vous aidera à ne plus… sombrer. »

Antoine leva finalement les yeux, humides, il esquissait un sourire las.

« On peut toujours espérer… »

Sa détresse était palpable. Et elle le comprenait. Chronique, il n’y avait aucune guérison possible pour eux, seulement l’espoir de garder une certaine stabilité malgré toutes les fragilités qui accompagnaient ce trouble et le rendait d’autant plus pénible. Ce qu’elle étudiait précisément, l’aspect cognitif, émotionnel, moteur, motivation… Tout ce qui permet à un être de vivre et non uniquement de survivre. Sacha afficha son sourire rassurant de médecin, celui qui la mettait à distance de la souffrance des autres pour pouvoir continuer à travailler pour les aider.

« Vous allez trouver, monsieur Pons, je vous l’assure. »

Il soupira puis farfouilla dans la poche de sa robe de chambre. Il en ressorti plusieurs feuillets, plus ou moins froissés.

« J’ai fait vos devoirs quand même, dit-t-il d’un ton bourru. Si ça peut aider quelqu’un, je veux pouvoir participer. »

Sacha récupéra les feuilles et les lu en diagonale. Puis elle sourit à Antoine.

« Je suis sûre que vous trouverez l’équilibre. Et je vous remercie pour votre implication. »

« N’hésitez pas à me demander, je veux aider hein. Dites, vous vous appelez Morin non ? »

Elle hocha la tête, curieuse.

« Y a un mec à l’asile de fou qui s’appelle Morin. Il joue aux échecs dans le parc. C’est marrant non ? »

Son visage devint blême et son cœur arrêta de battre. Heureusement, elle n’avait pas à répondre. Les yeux d’Antoine papillonnaient et elle se demanda à quel point l’HP l’avait shooté.

« Je vais chercher l’infirmier et vous pourrez vous reposer. »

Quand Antoine Pons quitta la pièce, elle regarda les résultats du test qu’il avait passé. Elle s’efforça de respirer profondément quelques instants avant de commencer à analyser les documents.

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1 Commentaire
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Ferra Laurianna
Ferra Laurianna
1 année il y a

Sacha est très mystérieuse et Alexander assez idéalisé. C’est à se demander ce que ces deux peuvent bien dissimuler… Je suis surtout impressionnée par l’incipit in media res qui maîtrise à la perfection une introduction en plein mouvement pourtant figé par la fatigue. On ressent l’instant présent avec une précision presque éreintante et on fusionne aussitôt avec Sacha. Les enjeux deviennent clairs instantanément et la curiosité s’éveille. Juste un petit bémol personnel sur la rencontre entre Alexander et Sacha. Il y a énormément d’insistance sur leur attirance et cette redondance peut faire relâcher l’attention du lecteur pourtant si bien happée dès les premières lignes. En conclusion, bravo pour cette première partie, je serais là pour la suite bien évidemment 😉

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