9- Psychê Délices

4 mins

« …Vous n’êtes pas à votre place, dans la lumière. Vous êtes une Ombre Blanche, immatérielle autant qu’intemporelle. Je vous sens, mais ne vous vois pas ; je vous entends, mais ne vous situe pas. Je me lève, vous me suivez ; j’entame une danse que vous menez »

Une explosion.

Un choc.

Une secousse et une douleur.

Valentine entends son pouls dans ses tympans, il s’entend respirer par à coups.

Un bref de jeux de lumières.

Il ouvre les yeux : le monde tangue devant ses yeux. Sa posture est particulièrement inconfortable mais ses membres semblent s’y engluer sans pouvoir changer de position. Il distingue des formes, objectif au focus mal réglé, et puis… et puis.

Un souffle imperceptible du bout des lèvres. Infiniment faible, infiniment éphémère.

-… Cam-my, a-t-il jamais murmuré.

Ce qu’il voit sont des parcelles de souvenirs dans l’espace, des fragments d’instants brisés, un temps violemment hachuré. Ce qu’il voit à ce moment-là, est une Cammy Logan qui lui semble étrangement lucide et clairvoyante à tel point qu’il croirait même entendre son prénom à travers le doux sourire serein qu’elle lui adresse. Quel beau visage.

Leur regard s’accrochent ainsi, Cammy lève les yeux pour voir Yui Valentine. Il pense qu’elle va lever les bras et les poser autour de lui dans un étau salvateur, une dernière douceur dans ce monde fait de vies tumultueuses aux courbes aléatoires.

Mais Cammy Logan a le visage contre son torse, une expression pleine de douceur figée dans le temps tandis que celui de Valentine sent que les battements de son propre cœur se rapprochent dangereusement au bords de ses lèvres, prêts à s’éjecter depuis la vague d’horreur qui le traverse en apercevant la tige de métal plantée dans le corps de la jeune femme.

Ne dis plus rien. 

Son souffle s’accélère, halètements miséreux pour voler quelques secondes de vie supplémentaire. Son regard se brouille un instant, Cammy esquisse des mots mais ce sont des bulles de sang sombre qui sortent de ses lèvres, puis forment une longue traînée entre eux pour terminer dans une tâche écarlate grandissante, chaleur singulière.

-Cammy… 

Un murmure perdu dans le temps. 

Yui se penche davantage vers la rouquine dans l’espoir d’effacer le surplus de rouge qui entache ce visage normalement épuré de toute violence.

-Cammy!

Des chuchotements, un crissement de pensées impuissantes. Dans cette scène tragique, elle lui sourit et dans ce dernier regard, elle ferme les paupières. 

A ton tour de me rejoindre. Viens à moi. 


***

Spirale infernale, brouhaha flou de concepts lointains, avant que le sol ne se dérobe sous sa propre entité. Dans une agonie lente et certaine, il entend les sirènes en arrière plan se rapprocher et alors, Yui Valentine s’est brutalement levé d’un bond en hurlant à s’en déchirer les cordes vocales. 

Véritable cri d’effroi d’un détraqué mental, il est recouvert de sueurs et tremble comme une feuille morte, grelotte et sanglote. Sa voix se brise, et Cammy s’éteint tandis qu’il se laisse retomber sur le bord de son lit en frottant ses yeux humides et enfiévrés pour cacher un visage honteux entre ses deux paumes. Le regret est encore un peu trop violemment douloureux.

Il n’a plus rien à déclarer pour sa défense.

***

Une main caresse son dos, de haut en bas, lentement, va et revient. Il y a dans ce contact répétitif, quelque chose d’apaisant et de familier. Yui est resté immobile depuis tout à l’heure, réveillant Cammy en sursaut au beau milieu de la nuit. Ce n’est pas la première fois qu’il en est ainsi, elle le sait. 

La jeune femme se glisse silencieusement derrière son dos pour l’encercler de ses bras frêles et sans dire un mot. Elle sent que Valentine ne peut pas lui faire face de toutes manières. Cela aussi elle le sait, bien que c’était il y a cinq ans. Et encore comme d’habitude, Cammy Logan prédit que Valentine va se lever pour aller se faire chauffer un café en regardant d’un air vide, à travers la fenêtre.

Froissement d’ailes, petits pas de pieds nus. 

– Tu sais Yui…

Il se retourne machinalement, l’air serein malgré son humeur entièrement chiffonnée. Jamais il ne lui a paru plus incomplet.

-Bonjour Cammy.

Cette dernière se tient sur le pas de la porte, se balançant lentement d’un pied sur l’autre comme si le sommeil entrecoupé n’avait pas eu d’effet sur son apparence féerique. Valentine s’appuie sur le rebord de la porte et porte le café à ses lèvres.

Il abhorre le goût amer du café. 

– Est ce que je te propose un thé ? Souffle -t-il doucement.

-Non, non merci. 

-Tu voulais me dire quelque chose ?, demande t-il. Il la scrute sans ciller.

-Non… oui… Tu sais…

-Cammy.

Valentine pose le café sur le rebord de la fenêtre et se dirige silencieusement vers la jeune femme. Il la fait pivoter et en posant les mains sur les épaules, les redirigent vers la chambre. Il est trop tôt pour ouvrir les yeux vers un jour absent de luminosité.

– …Allons nous coucher. 

Mais Cammy se retourne pour lui faire face.

-Tu sais… le jour de l’accident. 

Elle lui enlace les mains entre ses doigts pour les avoir contre ses paumes et lui fait face. Elle sent qu’il se fige, hésitant mais ne cède pas, en se rapprochant de lui.

Valentine n’est pas certain de vouloir revoir ce jour-là mais il se contente de fixer la jeune femme en face de lui. Il jurerait voir une paire d’ailes de libellule derrière son dos…

Il cille.

– Yui, le jour de l’accident, il y a tant de choses que je voulais te dire, commence Cammy, lancée. Je voulais…

Elle sent la pression des phalanges de l’homme sur ses mains. Un toucher éphémère qui pendant un instant, se fait plus appuyé.

– Je sais, coupe doucement Yui. 

Un long regard douloureusement tendre, un moment empreint d’émotions indéfinissables.

 – Est ce que tu penses… que c’est trop tard? Cammy rapproche leurs mains et leur visage. 

– …Je ne sais pas. 

Valentine se redresse.

– J’ai aimé… j’ai vraiment beaucoup aimé cette personne. 

Un aveu, un verdict sans pareil. Cet amour inachevé et éperdu qui l’aura plongé dans les abysses de la déraison.

– Et maintenant … ?, une question oubliée dans les méandres d’une valse temporelle. Psychê tremble de ce regard gris qui l’observe.

Ce n’est jamais un regard intense mais un regard inquisiteur, qui fouille et veut comprendre la quintessence de l’univers. Elle s’y perd.

Psychê aimerait marcher avec cet homme sur la route de Rhode, un jour. L’accepterait-il?

– Je t’aimerai toujours.

Elle cligne des yeux, tandis qu’il l’enlace dans ses bras, doucement. 

Déboussolée.

Mais tu ne m’aimes pas maintenant. Tu ne m’aimes pas moi, Psychê, l’âme bien heureuse qui a remplacé l’entité de Cammy Logan.

Frissons, caresses, délices.

Psychédéliques, psychê délices.

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