HAIR PIN

4 mins

Bill soupira avant de regarder son coéquipier :
« – Bon ! On remet le couvert ? »
Tous les deux se tenaient devant la verrière de la salle d’interrogatoire. Dans la pièce éclairée par deux néons, un homme était assis à l’unique table, les yeux posés sur ses mains menottées.
« – Ouais, histoire qu’on y passe pas la nuit, déclara Holden, rajustant sa cravate »
Bill finit d’une traite son café, et jeta le gobelet dans la corbeille.
Tous les deux rentrèrent dans la pièce. L’air empestait le tabac froid et la sueur.
Alors qu’ils tiraient chacun une chaise, l’homme prisonnier soupira à son tour, rendu las par les dernières heures d’entretien. Holden alluma une cigarette avec son Zippo, avant d’en proposer une à Bill. Ce dernier déclina. Il se racla la gorge :
« – M. Carson, nous allons reprendre votre histoire depuis le début. Il nous reste quelques points à éclaircir. »
Le détenu, par dépit, leva les yeux au ciel.
Il reprit, la voix enrouée :
« – Ca s’est passé le 23 septembre 1964, je marchais en ville sur Arch Stanton Street.
– Quelle heure était-il ? demanda Holden, inspirant une bouffé de tabac.
– Minuit, minuit trente je pense. Je rentrais du travail. J’empruntais les ruelles de Baton-Rouge Square.
– Pourquoi cet itinéraire ? Vous savez à coup sûr que ce secteur est malfamé à cette heure-là, interrogea Bill.
– Oui effectivement, acquiesça Carson. Je devais être pressé de rentrer chez moi à Harahan. Cela me permet d’emprunter le pont piéton Lafayette Bridge au-dessus de la voie rapide. Quand le dernier bus est passé, je gagne dix minutes de marche.
– C’est donc à cet instant que vous êtes tombé sur le corps de Mlle Callahan ? demanda Holden.
– Exacte, répondit Carson, elle était adossée au mur. Du sang coulait de sa gorge.
– A quel moment avez-vous rencontré M. Martins ?
– Juste après avoir découvert le cadavre. Il s’est enfui en me voyant avec elle. Il m’a pris pour le tueur, supposa Carson.
– Connaissiez-vous M. Martins ? questionna Holden.
– Non, je ne l’avais jamais vu avant, déclara Carson, mal à l’aise sur sa chaise.
– Même pas de visage ? insista Bill.
– Non.
Les deux officiers de police se regardèrent, marquant une pose. Bill reprit :
« – Pourquoi ne pas avoir appelé la police directement. Il vous suffisait de crier, le voisinage aurait réagi.
– Je l’ignore, je pensais que Will Martins s’en chargerait, imagina Carson.
– Heureusement, dans sa course, il est tombé sur une patrouille de vos collègues.
– Vous n’avez pas eu le moindre échange avec lui ? demanda Holden, tapotant sa cigarette.
– Aucun, je n’en ai pas eu le temps. En ce qui concerne la patrouille, c’est vous qui m’en avez parlé. Je ne sais rien de lui. »
Bill regarda soudain son partenaire avec intensité. Ce dernier hocha la tête, avant de se tourner vers le suspect.
Les choses sérieuses commencèrent :
« – M. Carson, nous avons étudié votre parcours et votre état-civil. La police d’Etat nous a transmis votre dossier militaire. Vous avez servi dans la NAVY en 1959. Vous êtes parti à deux reprises au Vietnam, sur la base militaire de Da Nang. Vous confirmez ? »
Carson, l’air interrogatif, demanda :
« – Oui, mais quel rapport avec le meurtre ?
– Le dossier de M. Martins indique qu’il a servi sur la même base, les mêmes années et dans la même section.
– Ah vraiment ? s’exclama Carson »
L’étonnement du détenu semblait feint aux yeux des enquêteurs.
« – M. Carson, commença Bill, nous savons que M. Martins est une de vos connaissances de longue date. Nous ne vous avons communiqué que son nom. Et vous avez malgré cela prononcé son prénom. Vous le connaissez c’est indéniable.
– Pourquoi nous le cacher ? finit Holden
Carson ne sourcilla pas et se mura dans un silence. Holden sortit de sa poche un sac plastique scellé et le jeta sur la table :
« – Voici une broche de cheveux ayant été retrouvée dans le coffre du véhicule de M. Martins. Les empreintes relevées correspondent à celles de la victime »
Le prisonnier resta de marbre face aux déclarations des policiers.
« – Un échantillon de cheveux est en analyse au laboratoire, ce n’est qu’une question de temps pour les résultats nous confirment l’appartenance de la broche à Mlle Callahan. »
Bill s’avança vers Carson, mains sur la table :
« – Inutile de nous faire perdre notre temps, avouez ! S’énerva l’enquêteur. Vous y êtes impliqué jusqu’au cou !
– Je vous rappelle que dans l’Etat de Louisiane, vous risquez, sinon la peine capitale, la réclusion criminelle à perpétuité, déclara Holden en soufflant un nuage de fumer vers Carson. Votre coopération jouera en votre faveur.
Ce dernier sembla réagir à leurs propos. Il se redressa sur sa chaise, posant ses mains menottées sur la table. Enfin il passait aux aveux :
« – C’était un accident… commença Carson, nous l’avons mise dans le coffre avant de l’emmener dans la zone industrielle. Will l’a… enfin on l’a… hésita-t-il. Je l’ai cognée trop fort et elle ne bougeait plus. Nous avons décidé de l’emmener ailleurs. Will a utilisé son couteau sur son cou, et lui a pris ses papiers, pour faire croire à une agression. On a laissé le corps dans la ruelle. On s’est disputé moi et Will. J’ai menacé de balancer aux flics, et il est parti en courant. »
L’accusé raconta les détails du meurtre aux policiers. Enfin tous les morceaux du puzzle coïncidaient. Holden de dégoût, écrasa sa cigarette dans le cendrier :
« – M. Carson, sachez que cette broche à cheveux appartient à ma fille. Et je compte bien la récupérer, déclara-t-il, un demi-sourire sur les lèvres. »
Le visage de Carson se décomposa, il prit sa tête dans ses mains. Il comprit qu’il venait de se faire posséder par les deux officiers.
Il avait admis le meurtre dans ses moindres détails, en impliquant son ami et complice. Tout en se basant sur cette fausse pièce à conviction qui n’en est même pas une.
« – Vous me le paierez très cher ! Bande d’ordures ! Insulta le criminel.
– On en a terminé M. Carson, vos droits vous ont déjà été énoncés, dit Bill.
– Allons couper l’enregistrement, dit Holden, se levant de sa chaise.»
Les deux lieutenants de police quittèrent la pièce, laissant  le meurtrier les yeux rivés sur la broche à cheveux.

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